Fin juin 2011, à l’issue d’une mammographie réalisée dans le cadre d’une campagne de dépistage, une patiente âgée de 62 ans (ATCD de cancer du sein chez une tante paternelle) est invitée par courrier à reconsulter son médecin du fait d’une « anomalie » repérée au niveau du sein gauche, incitant à la pratique d’examens complémentaires.
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La première réunion, (expert Professeur des Universités, médecin légiste) a lieu fin 2013 et sera suivie de la mise en cause d’autres médecins puis de l’avis d’un sapiteur psychiatre. Le rapport définitif parvient en novembre 2014.
L’expert a examiné l’ensemble des documents fournis et réuni les parties de façon contradictoire.
L’anatomopathologiste numéro 1 dit qu’il s’agissait, non pas de macro-biopsies, mais de micro-biopsies et que d’habitude, il en faut une douzaine. L’expert n’est pas d’accord car il est recommandé 4 à 5 biopsies. Les prélèvements étaient de bonne qualité et le médecin n’a émis aucun doute sur leur interprétation. De plus, lors de la relecture des lames, le compte rendu précise : « sein normal sur une carotte, foyer d’adénose inflammatoire sur un fragment et sur le reste, large plage de fibrose hyalinisée ou de fibro-élastose, peu cellulaire avec architecture fasciculée par place où vient s’accoler un foyer « glandulaire » à cheval sur le tissu graisseux. Ce foyer d’1 mm maximum ne comporte aucune atypie ou mitose ». L’expert souligne qu’il n’y a donc pas de « nécrose étendue » ou de « scléro-nécrose calcifiante » et que l’erreur d’interprétation d’une fibro-élastose a, en partie, fait porter le diagnostic de carcinome. Elle s’interroge sur l’absence d’utilisation d’un marqueur des cellules myoépithéliales, même s’il n’est pas indispensable dans tous les cas et dont le premier anatomopathologiste n’a pas jugé l’utilité.
Dans le Timing de la prise en charge et des échanges avec les anatomopathologistes… après la relecture des lames…
Concernant l’intervention :
Pas de RCP avant la décision thérapeutique chirurgicale. Néanmoins, en cas de prise en charge clinique faisant l’objet d’une prise en charge standard de validité incontestable, celle-ci peut être mise en route sans attendre une réunion de concertation, mais le dossier devra ultérieurement être présenté pour être entériné et cette prise en charge enregistrée et archivée. Le cas de cette patiente relève de cette situation.
L’expert ajoute qu’il y avait nécessité de tumorectomie car cette lésion a un risque relatif de transformation maligne et qu’elle peut être associée à des foyers de carcinomes in situ ou infiltrant. En revanche, sa prise en charge ne nécessitait pas l’ablation du ganglion sentinelle dont la réalisation dépendait de l’examen extemporané.
Concernant les anatomopathologistes :
La lettre datée du 15 septembre à l’anatomopathologiste numéro 1 a été adressée à l’adresse de son ancien cabinet (sans recommandé)….et il a déclaré ne pas l’avoir reçue. Pourtant l’anatomopathologiste avait fait son changement d’adresse postale et depuis son déménagement avait eu des relations avec le Centre de soins. Il est impossible de savoir si un contact téléphonique entre les 2 médecins a eu lieu à ce moment-là.
La décision de débuter la radiothérapie a été prise le 19 octobre sans fiche RCP « actualisée » ou un écrit. En réponse aux commentaires du radiothérapeute, l’expert indique qu’en l’absence de chimiothérapie adjuvante, le délai de mise en route de la radiothérapie ne doit pas excéder 12 semaines. Précisons que ce critère était valable en 2011 et que les recommandations actuelles n’ont pas changé même s’il peut exister des questionnements scientifiques sur l’intérêt de débuter une radiothérapie après 7 ou 8 semaines. Il peut, en revanche, être indiqué que le protocole suivi est conforme à celui préconisé si un carcinome était effectivement présent.
Le 27 octobre, l’anatomopathologiste numéro 3 a pris contact téléphonique avec le numéro 1, en l’absence de réponse de ce dernier….Celui-ci confirme ne pas avoir réceptionné cette demande qui n’aurait pas été transmise par la poste ou ses anciens associés. Envoi immédiat des lames. Quelques jours plus tard, les deux médecins auraient échangé à propos de la nouvelle interprétation de ces lames.
Le 17 novembre 2011, une seconde réunion de RCP a eu lieu conformément aux règles. Cette réunion, où étaient présents le chirurgien, et d’autres médecins dont des radiothérapeutes, a bien noté « la cicatrice radiaire, l’absence d’autre lésion. Dossier à repasser après relecture… Si confirmation d’absence de carcinome canalaire infiltrant, pas d’hormonothérapie ». Ce document porte aussi la mention « fiche non envoyée ». On peut remarquer que pourtant le compte rendu de relecture est déjà édité…
Le lendemain, la patiente revoit le radiothérapeute qui écrit : « il a été proposé une radiothérapie suivie d’hormonothérapie, sous réserve de la relecture des lames ». L’expert fait remarquer que ce n’est pas ce que ce médecin avait écrit lors de sa consultation le 21 septembre. « Elle a reçu 36 grays. Nous apprenons que le bloc a été communiqué à notre service d’anatomopathologie qui a répondu : cicatrice radiaire avec lésions d’adénose dépourvue d’adénocarcinome ». Il prévient la patiente d’arrêter la radiothérapie.
Le 24 novembre, la RCP confirme cette décision.
Le 21 décembre, un anatomopathologiste référent numéro 4 confirmera le diagnostic de bénignité.
La patiente n’a pas été informée d’un doute sur la nature de la lésion mammaire, a été informée de la relecture mais pensait qu’il s’agissait d’une procédure normale. En avril 2012, selon un certificat, la patiente dépressive doit poursuivre son traitement antidépresseur. Quand elle a appris qu’elle avait un cancer, « je me suis dit qu’il faut se battre et suis restée solide à ma façon. Apprendre trois mois plus tard que l’on n’a pas eu de cancer m’a complétement déstabilisée. Je ne savais pas qui croire et aujourd’hui encore, je suis en droit de me poser des questions et je ne sais plus où j’en suis…. ».
Les conclusions du rapport sont les suivantes :
Il existe donc deux niveaux de dysfonctionnements entraînant des préjudices propres :
1. Une interprétation erronée des biopsies par le premier anatomopathologiste qui porte le diagnostic de tumeur maligne infiltrante mammaire alors que la lésion présentée est une lésion bénigne. « … Il n’y avait pas d’argument formel pour un carcinome. A minima le doute aurait dû être exprimé. Il y avait plusieurs niveaux d’alerte : architecture, scléro-élastose, absence de nécrose, continuité de la couche myofibroblastique et la cellularité (pas d’atypie ou de mitose)… ». De cette erreur de diagnostic découle initialement un repérage et une exérèse du ganglion sentinelle inutile et a conduit à envisager des traitements complémentaires à l'acte opératoire : radiothérapie et hormonothérapie...
2. Un défaut de transmission d'information entre les deux praticiens (le chirurgien et le radiothérapeute) sur l'absence des résultats de la relecture de la lame qui a conduit le radiothérapeute à débuter la radiothérapie sans s'inquiéter des résultats de cette relecture. De plus, cette radiothérapie a été poursuivie 10 jours après l’écrit de relecture qui confirme la lésion bénigne.
L’expert dit « difficile » de ventiler la part de préjudices entre la gêne fonctionnelle induite par la chirurgie mammaire (justifiée), la chirurgie ganglionnaire (a postériori non justifiée) et la radiothérapie.
Il considère que la faute du premier anatomopathologiste a entraîné un repérage ganglionnaire inutile, source de conséquences fonctionnelles sans lymphœdème et d’un préjudice psychologique allégué de ne plus savoir si l’erreur diagnostique est réelle…
Le défaut de transmission entre les deux praticiens salariés d’un centre, sur l’absence des résultats de relecture a entraîné : une radiothérapie inutile avec ses contraintes (se rendre aux séances) et ses conséquences temporaires (brûlures…).
L’évaluation des préjudices sera répartie, en fonction des préjudices somatiques (et non des conséquences financières alléguées) : il s’agit essentiellement d’une partie du déficit fonctionnel temporaire, du préjudice esthétique, des souffrances endurées y compris psychiques. En effet l’avis du sapiteur psychiatre indique « que les souffrances psychiques sont liées à une anticipation anxieuse réactionnelle à l’erreur diagnostique ». Une aide par tierce personne non spécialisée est accordée temporairement.
Les magistrats considèrent :
« Un professionnel de santé engage ainsi sa responsabilité civile contractuelle dès lors qu'il est établi qu'il a commis une faute dans le diagnostic, dans le choix du traitement, dans la réalisation de l'acte médical ou dans la surveillance de son patient, et si ce lien est direct et certain avec le préjudice subi par ce dernier.
En l'espèce, il résulte du rapport circonstancié de l'expert et de ses conclusions précises et dénuées d'ambigüité que le premier anatomopathologiste a commis une erreur de diagnostic en concluant à l'existence d'un carcinome canalaire infiltrant. Le diagnostic de cancer du sein invasif ainsi établi par erreur a été associé à la recherche d'éléments pronostiques (invasion et grade histio-pronostique) et prédictifs de la réponse attendue à certains traitements (expression des récepteurs hormonaux et HER2). Ces données anatomo-pathologiques ont été déterminantes pour la décision thérapeutique prise par le chirurgien à la première consultation et qui ont entraîné l'indication d'une tumorectomie et d'une exérèse du ganglion sentinelle suivies d'une radiothérapie et d'une hormonothérapie.
L'expert précise que, dans l'hypothèse où le diagnostic finalement retenu de cicatrice radiaire ait été porté dès le temps des biopsies, il aurait été également proposé une tumorectomie dans la mesure où cette lésion bénigne est classée comme à potentiel prolifératif et à risque relatif de transformation en carcinome. De plus, il n'était pas exclu qu'elle s'associe à un authentique foyer carcinomateux in situ ou infiltrant. En revanche, il n'était pas nécessaire d'envisager l'exérèse d'un ganglion sentinelle en l'absence de carcinome mammaire avant l'intervention. C'est au cours de l'intervention chirurgicale qu'un examen extemporané de la tumeur aurait permis d'apprécier la nécessité de ce geste selon son résultat. En l'espèce, l'examen extemporané s'étant révélé négatif (pas de cellules carcinomateuses identifiées), cette exérèse n'aurait pas eu lieu. De plus, en l'absence de carcinome invasif, il n'y avait plus d'indication de radiothérapie et d'hormonothérapie.
De cette erreur de diagnostic histologique découle une stratégie thérapeutique initialement conforme aux recommandations présentes en 2011 concernant la prise en charge d'un carcinome mammaire invasif, compte tenu de la demande de relecture faisant suite à la première analyse, ainsi que de la demande de temporisation de la mise en route de la radiothérapie dans l'attente des résultats de cette seconde lecture. Néanmoins, cette notion de relecture nécessaire avant la radiothérapie, pourtant retranscrite deux fois dans le dossier médical ouvert au centre de soins, « a sans doute été oubliée » puisque le protocole de radiothérapie a été débuté en l'absence de coordination entre les différents médecins partageant le parcours de soins et en particulier entre le chirurgien réfèrent et le radiothérapeute.
Il existe donc selon l'expert deux niveaux de dysfonctionnements ayant entraîné des préjudices propres :
II ressort de l'ensemble des éléments susvisés que l’anatomopathologiste a indéniablement commis une faute en concluant à l'existence d'un carcinome canalaire infiltrant alors que la lésion présentée était bénigne.
Les deux autres médecins ont quant à eux commis des manquements dans la coordination des soins donnés, à l'origine d'un traitement de radiothérapie qui n'était pas nécessaire.
Ainsi, l‘anatomopathologiste et le centre de soins, en sa qualité d'employeur, engagent leur responsabilité sur le fondement de l'article L 1142-1 du code de la santé publique.
La patiente est par conséquent fondée à solliciter l'indemnisation des préjudices en lien direct et certain avec les manquements susvisés.
Le Tribunal rejette la demande d’indemnisation suite à une interruption partielle de travail de cette femme commerçante, faute de documents probants.
Indemnisation de l’ordre de 27 800€, comprenant l’article 700, (inégalement) répartie entre le Centre et l’anatomopathologiste.