La communication entre professionnels de santé est réputée essentielle dans le parcours de soins des patients pour une sécurité optimale. Lorsqu’elle est déficiente, cette communication devient source d’erreurs pouvant créer des situations délétères pour le malade.
Monsieur D., 56 ans, est suivi conjointement par son médecin traitant et un oncologue en établissement de santé pour une leucémie lymphoïde chronique. Il n’a pas d’autre antécédent particulier, et avant la découverte de cette pathologie hématologique, il était très sportif puisqu’il alternait course à pied et sortie vélo de 100 km plusieurs fois par semaine.
Le protocole oncologique a retenu 6 séances de chimiothérapie (association de 3 molécules). Les premières séances se sont déroulées sans complication particulière.
J0 : à l’issue de la dernière cure (12 jours plus tôt), le patient est très asthénique et il a perdu 6 kilos. Il consulte son médecin traitant : le point clinique réalisé relève une soif importante régulière ; il a la bouche pâteuse et décrit une prise alimentaire normale qui l’oriente aussitôt vers son oncologue, sans prescrire de bilan sanguin. Il prescrit seulement un antimycosique pour une mucite buccale vers 18 h.
J1 : l’oncologue n’étant pas présent sur l’établissement, Mr D. est pris en charge par le service des urgences de la structure vers 10 h. Un médecin urgentiste l’interroge et l’examine : il notera que le patient est très asthénique, qu’il a perdu 6 kilos depuis la dernière cure de chimiothérapie, qu’il se plaint d’une soif importante et que le problème de mycose buccale est en cours de traitement.
Il prescrit un bilan sanguin (Numération Formule Sanguine entre autres) pour vérifier les lignées sanguines. Le patient ne souhaitant pas être hospitalisé, il rentre chez lui.
J3 : l’oncologue voit le patient en consultation urgente : il constate que le patient est très asthénique, qu’il présente une mucite, un amaigrissement de 8 kg et une soif importante persistante. Pas de notion de fièvre, et les 2 dernières prises de sang réalisées dans le suivi de la dernière cure sont normales.
Au vu de la situation, il propose à Mr D. une hospitalisation pour comprendre les raisons d’un tel tableau clinique, mais le malade refuse et rentre à son domicile.
Dans la nuit de J3 à J4 : l’épouse de Mr D. accompagne de nouveau le patient aux urgences devant une nouvelle dégradation de son état de santé.
J4 à 5 h 30 du matin : le médecin urgentiste de garde le prend en charge : il retrouve un malade apyrétique, tachycarde à 105 bpm, une tension artérielle de 157/91 mm Hg de mercure, une perte de poids de moins 8 kilos en quelques jours. Outre l’Altération de l’État Général (AEG), le praticien focalise sur une soif intense constante, une pollakiurie décrite par l’épouse. Il prescrit un bilan biologique "large", une perfusion de Bionolyte 5 % 500 ml sur 8 heures.
Le bilan biologique (NFS, glycémie, créatinémie, ionogramme et biologie hépatique) est prélevé à 6 h 15 et envoyé au Laboratoire de Biologie Médicale (LBM) aussitôt.
Le patient est cette fois d’accord pour être hospitalisé, non pas en médecine faute de place (service où exerce l’oncologue) mais en chirurgie. Mr D. quitte les urgences à 6 h 45, le praticien urgentiste s’étant assuré que la NFS n’objectivait pas d’aplasie et que le patient pouvait être installé dans une chambre à 2 lits si nécessaire.
L’urgentiste prend la peine d’appeler l’oncologue à sa sortie de garde pour lui expliquer la situation : l’oncologue lui précise qu’il va faire le nécessaire pour le transférer dans son service dans la matinée. Le transfert n’aura pas lieu immédiatement, mais l’oncologue passera voir le patient 2 fois dans la journée pour l’examiner et vérifier si le traitement médicamenteux est adapté.
Dans la nuit de J4 à J5, vers 4 h : le patient est retrouvé baignant dans ses urines et en coma. L’IDE de nuit fait un relevé de constantes complet : pouls à 135 bpm, une tension artérielle de 80/50 mm de Hg, une saturation d’oxygène à 92 % et une glycémie capillaire à HI, soit supérieure à 6 g/l.
L’oncologue est immédiatement prévenu, demande de débuter l’insulinothérapie, d’arrêter tout apport sucré, demande de débuter une hydratation par sérum physiologique et précise qu’il arrive dès que possible.
A son arrivée à 4 h 20, il contacte le SAMU pour organiser un transfert en réanimation. Le SAMU arrive rapidement, vers 4 h 35. Quelques minutes plus tard, un arrêt cardiaque survient : les tentatives de réanimation permettent de récupérer un pouls, de stabiliser le patient avant un transfert en réanimation.
Lors de la préparation du dossier pour le SAMU, l’IDE retrouve les résultats du bilan très complet prélevé aux urgences qui montre une glycémie à 9,9 g/l, une acidose, un début d’insuffisance rénale avec une kaliémie supérieure à la norme…
Le bilan sanguin prélevé vers 4 h 20 montrera une hyperglycémie à 11,8 g/l…
Son séjour en réanimation durera plusieurs semaines, et le bilan neurologique sera catastrophique puisque le patient restera en coma pauci-relationnel…
Cet incident a eu plusieurs conséquences :
- une hospitalisation non programmée et en urgence en secteur conventionnel,
- la mise en œuvre de mesures conservatoires pour un arrêt cardio-respiratoire,
- un séjour en réanimation de plusieurs semaines,
- un patient qui présente de grosses séquelles neurologiques,
- une famille désespérée de la survenue de cet accident estimant qu’il aurait pu être évité. Un des enfants de Mr D., professionnel de santé, ne décolère pas et demande des explications par courrier au directeur de l’établissement en relatant certains faits qualifiés d’inadmissibles.
L’oncologue a déclaré cet Événement Indésirable par le système de déclaration de l’établissement de santé.
La commission Qualité-Gestion des risques lors de leur revue des EI l’a classée comme très grave.
Avec la réception du courrier de la famille, le Directeur Général demande au gestionnaire de risque de procéder à une analyse dans le cadre d’une démarche de gestion des risques en priorité absolue.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge du patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier selon la méthode ALARM validée par la Haute Autorité de Santé.
Malaise du patient avec arrêt cardiaque.
Sur la communication entre professionnels au sein d’un établissement de santé
Lors d’un transfert patient d’un secteur à un autre, des points de vigilance doivent être respectés entre équipes de soins :
Un temps de transmissions organisé entre praticiens :
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Un temps de transmissions entre équipes paramédicales :
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Sur l’alerte du médecin biologiste lors de résultat pathologique, il est rappelé la nécessité de joindre impérativement le médecin prescripteur ou son remplaçant (lors des gardes) et/ou le médecin en charge du patient en particulier en cas de résultat très anormal.
Sur l’organisation du travail
Une nécessaire réflexion au sein de la structure sera initiée :
Une communication maîtrisée entre professionnels de santé est incontournable pour offrir des soins sûrs et de qualité. Et ce d’autant que les établissements de santé sont reconnus pour être des organisations complexes. Elle est essentielle pour une continuité des soins sécure. |
Cette transmission d’informations entre acteurs de santé doit être organisée pour être performante, et surtout systématique même si on considère que l’exhaustivité des données est consignée dans le dossier patient.
Un résumé synthétique de la situation comme le propose la méthode SAED permet d’aller à l’essentiel et de ne pas générer de situation à risques.
Pour aller plus loin :
> La méthode SAED : un guide pour faciliter la communication entre professionnels de santé - HAS
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