Défaut de surveillance d’une patiente césarisée

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Défaut de surveillance d’une patiente césarisée

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La communication et la concertation entre professionnels de santé sont deux piliers du fonctionnement d’une équipe.
Une insuffisance de l’un, voire de ces deux fondamentaux, peut générer des événements indésirables pouvant impacter le pronostic vital des malades pris en charge.

Auteur : Candice LHAUTE – Sage-Femme & Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques - MACSF / MAJ : 07/11/2022

Présentation du contexte

Mme G. est une patiente de 32 ans suivie à la maternité pour son 2e enfant. Elle n'a pas d'antécédents médicaux particuliers, on peut uniquement noter un surpoids (IMC à 29). Elle n'a pas d'antécédents familiaux, ni gynécologiques. Sur le plan obstétrical, la patiente a accouché 3 ans auparavant par césarienne pour anomalies du rythme cardiaque fœtal, à terme, d'un bébé eutrophe et en bonne santé.

Pour cette grossesse, du fait de l'antécédent d'utérus cicatriciel, elle est orientée pour son suivi vers un gynécologue-obstétricien. La grossesse est sans particularité, le fœtus est eutrophe. A la 36e semaine, une échographie de croissance montre un fœtus au 60e percentile se présentant par le siège. Il est alors expliqué à la patiente les différentes options possibles : version par manœuvres externes dans le but d'une tentative d'accouchement par voie basse ou césarienne programmée (l'accouchement par voie basse d'un siège sur un utérus cicatriciel n'étant pas pratiqué dans cette maternité).

Après réflexion, la patiente ne souhaitant pas revivre l'angoisse ressentie lors de sa première césarienne en urgence, une césarienne est programmée à 39 SA.

Le jour de la césarienne Mme G. se présente à 7h30 à la maternité selon le protocole du service. 

À 9h45 est posée sans difficulté au bloc opératoire une rachianesthésie par l'anesthésiste de garde, et à 10 heures naît un garçon de 3 500 g, Apgar 10/10 avec des pH/lactates normaux.

La patiente peut immédiatement rencontrer son enfant au bloc opératoire, de même que son mari qui a assisté à la césarienne.

Lors des 30 minutes suivantes, la sage-femme se rend en salle de réanimation néonatale (qui se situe à quelques mètres du bloc opératoire) pour réaliser les premiers soins et l'examen clinique du nouveau-né. Elle est assistée d'une auxiliaire puéricultrice qui réalise la pesée et montre les soins au père, puis le nouveau-né est placé en peau à peau le temps que la patiente sorte du bloc opératoire.

La sage-femme réalise ensuite les formalités administratives concernant cette naissance (finalisation du dossier obstétrical, déclaration de naissance, carnet de santé du nouveau-né). L'activité en salle de naissance est très calme, il n'y a aucune parturiente en travail, aucune accouchée.

La sage-femme demande alors à sa collègue si elle peut se rendre à une réunion de service du fait de l'absence d'activité, dans le même bâtiment. Devant son approbation, elle prévient le père, resté en salle de réanimation, et le reste de l'équipe de son absence momentanée de la salle de naissance, sachant qu'elle n'est pas en charge de la surveillance post-opératoire de la patiente césarisée (protocole de service désignant l'IADE comme surveillant en SSPI).

Elle se rend donc à la réunion avec un téléphone permettant de la joindre en cas de besoin.

1h30 plus tard, l'auxiliaire en charge du nouveau-né appelle la sage-femme pour lui dire que la patiente est algique. La sage-femme comprend alors que la patiente est présente en salle de naissance et décide de regagner immédiatement sa place dans le service.

Elle découvre la patiente césarisée dans une des salles de naissances, la dernière tension a été prise 1h30 plus tôt : la patiente explique que c'était au moment de son arrivée dans la salle. La sage-femme lui demande qui est venu réaliser la surveillance post-opératoire (vérification du globe utérin, des saignements, du bloc moteur etc..) : la patiente lui dit n'avoir vu personne, sauf l'auxiliaire puéricultrice qui l'a aidée pour allaiter le nouveau-né.

La sage-femme réalise alors immédiatement une expression utérine mettant en évidence de gros caillots en grande quantité… puis elle note la persistance de saignements pathologiques lors des expressions suivantes. Les constantes hémodynamiques restent stable.

Elle reprend le dossier d’anesthésie qui retrace le déroulement de l’intervention et qui précise que la patiente a bénéficié d'une injection de Pabal® per-césarienne selon le protocole du service. Elle lui administre aussi des antalgiques (EVA =7) et trace sa surveillance dans le dossier de la patiente.

Après 10 minutes de massage utérin et devant la persistance des saignements, elle appelle le gynécologue-obstétricien de garde qui préconise l’administration de 5 UI de Syntocinon® après avoir réalisé une révision utérine et de la filière génitale, à renouveler une fois si nécessaire. Il précise qu’il termine sa consultation et qu’il passe faire le point de la situation.

Elle appelle alors l'IADE pour comprendre ce qu'il s'est passé : ce dernier, vacataire mais ayant l'habitude de travailler dans la maternité, explique ne pas avoir été informé qu'il devait réaliser la surveillance lui-même puis raccroche.

Elle avertit également l’anesthésiste qui était présent en salle d'opération lors de la césarienne de la nécessité d’une dose anesthésique par péridurale en lui expliquant la situation.

Le praticien de garde arrive pour examiner la patiente césarisée : le globe est devenu tonique avec l’administration des 5 UI de Syntocinon®, les saignements se sont normalisés et sont décrits comme physiologiques par les 2 professionnels. 

La patiente ayant été recouchée, l’estimation des pertes sanguines est difficile. Il est décidé de réaliser un bilan sanguin pour connaître le taux d’hémoglobine.

La sage-femme précise qu’elle va poursuivre la surveillance 2 heures supplémentaires et créer une fiche d'évènement indésirable. 

La surveillance des 2 heures suivantes confirme la régularisation de la situation. Les résultats de la Numération Formule Sanguin (NFS) montrent une hémoglobine à 7,8 g/dl. Les saignements totaux sont alors estimés à 1 800 ml (dont 700 ml per césarienne). Ces chiffres objectivent le contexte d’Hémorragie du Post Partum (HPP).

Une transfusion de deux concentrés de globules rouges sera proposée à la parturiente devant une mauvaise tolérance maternelle de cette anémie (qui l’acceptera). Cette transfusion est réalisée par l’IADE sur la demande expresse du médecin anesthésiste.

La patiente remonte dans le service à 18h. Du fait de l'heure tardive, il est décidé de ne pas réaliser de réhabilitation précoce (ablation de la sonde urinaire principalement) car la nuit, une seule sage-femme est en charge de 25 patientes et dans ce contexte les conditions ne sont pas optimales pour s'occuper du premier lever et de la surveillance mictionnelle de la nouvelle césarisée.

Les suites du séjour en maternité : la parturiente supportera bien son anémie résiduelle et n’aura pas besoin de transfusion complémentaire. Elle sortira au 6e jour de son accouchement.

Conséquences

  • Une HPP (Hémorragie Post Partum) non détectée précocement.
  • Une transfusion sanguine reconnue comme évitable si la prise en charge de cette HPP avait été plus précoce.
  • Pas de réhabilitation précoce possible, avec l’objectif non atteint d’autonomie et de confort pour la patiente en fin de journée et prolongation de son hospitalisation de 2 jours par rapport à la durée moyenne de séjour du service pour ce type de prise en charge.
  • Séparation de la cellule familiale, père et nouveau-né/mère lors de la révision utérine-filière génitale.
  • Une difficulté dans la gestion des lits de suites de couche sur une période où le nombre d’accouchements est très élevé (mois de mai).
  • Une patiente mécontente, car elle a compris que la surveillance post-interventionnelle a été défaillante. Elle a accepté la transfusion à contre cœur… et a verbalisé un stress de devoir subir les gestes de surveillance invasifs.

Méthodologie et analyse

L’équipe médicale et la cadre du service ont souhaité une analyse de cette EI dans le cadre d’une démarche de gestion des risques, car les conséquences de ce défaut de surveillance auraient pu être plus graves pour la mère.

Une analyse de risque à postériori est donc réalisée.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, et relecture du dossier par la cadre du secteur et les professionnels concernés. La méthode ALARM est retenue.

Cause immédiate

Défaut de surveillance d'une multipare césarisée avec antécédent d'utérus cicatriciel.

Causes profondes

 

Barrière qui a détecté l’incident

  • Récupération : c’est la sage-femme, grâce à l’appel de l’auxiliaire puériculture, qui a pu reprendre en charge la surveillance de la parturiente.

Barrières qui n’ont pas fonctionné et qui ont permis l’incident

  • Prévention : absence de transmission orale ou écrite lors du transfert de la patiente du bloc opératoire vers la salle de naissances.
  • Prévention : aucune surveillance post-anesthésique de l’IADE après l’installation de la parturiente en salle de naissances.
  • Prévention : prise d’initiative de l’IADE sans concertation avec l’équipe soignante du secteur naissance.
  • Prévention : aucune surveillance du post-partum immédiat.
  • Prévention : pas de consigne particulière de l’équipe médicale sur le lieu de surveillance du post-partum immédiat. 

Barrières qui ont fonctionné et qui ont permis de récupérer l’HPP

  • Prévention : présence effective des médecins de garde et disponibilité de ces derniers du fait d’une activité raisonnable en secteur naissance.
  • Récupération : bonne connaissance de la procédure de prise en charge des HPP.
  • Atténuation : mise en œuvre des gestes conservatoires nécessaire à la maîtrise de cette HPP par la sage-femme dans un premier temps, et par les praticiens présents.
  • Atténuation : surveillance prolongée en secteur naissance lorsque la situation s’est stabilisée avant d’être prise en charge par le secteur suites de couches. 

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

Revue de la procédure de prise en charge des césariennes

Toutes les situations ne peuvent être prévues, c’est pourquoi il est précisé que cette procédure prévoit les modalités de prise en charge générale. Pour les situations particulières, il a été rajouté dans la procédure qu’une concertation était nécessaire et que l’équipe médicale gardait le leadership, et que toute décision hors du cadre de la procédure devait être validée et tracée par le corps médical.

Réunion des différents acteurs participant à la prise en charge d’une patiente césarisée

Rappel des fondamentaux de la communication entre professionnels de santé, avec une grande place pour la concertation et la prise de décision collective. Avec un focus sur la collaboration sage-femme/IADE pour améliorer la prise en charge conjointe, en insistant sur la complémentarité des métiers et des compétences.

De manière plus générale, une formation institutionnelle sera développée sur la place de la communication entre professionnels de santé et dans la pertinence de l’utilisation des outils proposés par la Haute Autorité de Santé.

Conclusion

  • La communication orale et écrite reste un pilier incontournable de la sécurité des soins.
  • La prise en charge des malades en établissement de santé est pluridisciplinaire et nécessite une communication interprofessionnelle optimale.
  • Le processus de coordination doit être au centre du travail en équipe. Pour ce faire, le leadership est une composante importante et permet une efficience dans les prises en charge. Les prises d’initiative doivent toujours s’appuyer sur la concertation des différents acteurs, et non être le fruit d’une décision individuelle sans étude des impacts générés.