Le travail est basé sur une analyse étendue de la littérature sur les résultats objectifs obtenus par les démarches de qualité et sécurité des soins et sur une étude clinique de deux exemples internationaux ayant démontré une performance originale et exceptionnelle de leurs hôpitaux : le canton de Jonkoping en Suède, et le réseau des hôpitaux d’Intermountain dans l’UTAH (USA).
Pourquoi penser amélioration de la valeur plutôt que démarche d’amélioration classique de la Qualité ?
La réponse est simple : quelques rares exemples mis à part, l’amélioration de la Qualité n’a pas tenu ses promesses dans le domaine de la santé. Les résultats sont mal compris, décevants, et se heurtent trop souvent à d’autres réalités concurrentes, budgétaires ou tout simplement prioritaires dans la délivrance du soin. L’hôpital doit en effet résoudre en permanence un système de forces contradictoires entre amélioration de la Qualité des soins, augmentation du Volume de soins, et diminution des coûts. Certains hôpitaux arrivent mieux que d’autres à maîtriser cette équation impossible. La solution semble clairement organisationnelle.
L’amélioration de la valeur répond à cette demande. C’est la recherche active du meilleur compromis entre ces trois systèmes de tensions. La Qualité peut et doit s’améliorer mais ne peut le faire concrètement qu’en acceptant de ne pas dégrader les autres dimensions, ou mieux encore, en améliorant aussi les autres dimensions.
A noter que cette approche n’est pas contradictoire avec le fait que certaines améliorations de la Qualité, qui n’apportent pas d’économies, peuvent être importantes et - protégées ... mais elles sont relativement rares en comparaison des solutions de Qualité qui demandent des arbitrages.
La sécurité des patients liée aux erreurs et multiples défauts d’organisation qui éloignent les professionnels des meilleures pratiques (faillites diverses dans les prises en charge et les coordinations interprofessionnelles) apparaît comme un domaine typique pour lequel l’amélioration de la valeur a un grand impact, à la fois sur le volume de soin (le soin mal fait prolonge l’hospitalisation et surcharge le système de santé), le coût, et bien sûr in fine la Qualité et la Sécurité.
La démarche d’amélioration de la valeur consiste à faire un compromis entre l’importance attendue pour le patient, la lourdeur de la mise en œuvre, l’impact sur le coût (espéré positif mais souvent négatif) et le modèle de retour sur investissements.
Deux exemples de méthodes disponibles pour calculer ce compromis.
1. Le modèle d’analyse de rentabilité « coût-dépense- économie » :
- Coût occasionné par le problème de qualité, à savoir l’estimation du coût annuel pour l’organisation d’un déficit de qualité.
- Dépenses consenties pour réduire le problème (de 50 %) : à savoir estimation des ressources que l’organisation devrait investir pour réduire le problème de 50 %, en incluant les dépenses liées à la mesure du problème et de son évolution
- Économies/pertes nettes à un an et pour les années suivantes : à savoir coût annuel occasionné par le problème, duquel est déduite l’estimation des dépenses pour une année d’activité d’amélioration, montrant combien l’organisation pourrait économiser à une échéance de un an et pour les années suivantes.
Exemple : Intervention visant à réduire les escarres dans un hôpital de 600 lits
- Coût du gaspillage = $3 millions, si réduction de 50 % = $1.5 million
- Dépenses consenties pour une réduction de 50 % = $150'000 : temps de l’équipe $30'000, formation $70'000, matelas $50'000
- Économies nettes de la première année : $600'000 (en supposant qu’il faut six mois pour concevoir un plan et qu’il se met sur pied durant les six mois suivants)
Economies annuelles pour les années suivantes : $1.4 million.
2. La méthode du « coût d’obtention de la Qualité) consiste à limiter le déploiement de la Qualité aux seuls domaines dans lesquels on a une chance réelle d’avoir des gains. Elle repose sur un estimé de la somme des différents coûts réels potentiellement induits par la démarche de la Qualité
- Coûts de la prévention : coûts occasionnés par les activités visant à prévenir les défaillances de qualité.
- Coûts de l’évaluation de la qualité : coûts de la mesure et de l’inspection des produits ou services pour assurer la conformité aux standards de qualité (maîtrise de la qualité).
- Coûts de défaillances internes : coûts des défaillances du produit ou de la prestation avant qu’ils ne soient fournis au client.
- Coûts de défaillances externes : coûts induits par les défaillances après réception du service par le client.
5 points nécessaires pour construire et réussir une démarche d’amélioration de la valeur:
- une vision pour le système médical, comprise de tous, patients et professionnels
- une stratégie ciblée porteuse de sens
- Un crescendo sur 10 à 20 ans pour assurer le parcours organisationnel nécessaire pour atteindre le but avec son bénéfice maximal: RIEN NE PEUT ETRE OBTENU A TRES COURT TERME dans les deux premières années, il FAUT SAVOIR INVESTIR ET DURER DANS LA MEME STRATEGIE en acceptant que les premières années (0- 3 à 5 ans) coûtent puis que le bénéfice augmente progressivement
- Une identification des processus, de leurs buts et de leurs interactions
- Un vrai leadership, reconnu et pérenne
Deux exemples particulièrement étudiés pour leur valeur pédagogique :
Le canton de Jonkoping en Suède est un exemple connu dans le monde entier pour la Qualité des soins dispensés à ces patients : adhésion complète de la population et des professionnels, réduction spectaculaire du nombre d’EIG, efficacité, proximité et soutien pour tous.
- La vision commune de la démarche est simple et ambitieuse (le slogan fédérateur): une vie attractive et bonne pour tous dans le canton (nda, cette vision ne fait même pas mention du fait médical).
- La stratégie d’amélioration de la qualité est vue comme un parcours d’apprentissage, plutôt que comme une méthode toute faite. Une veille à l’égard des nouveaux outils et des nouvelles méthodes systématiquement étudiées et testées, adoptées seulement si elles s’insèrent avantageusement dans la vision et dans la culture.
- La durée est prise en compte avec la stabilité et la continuité au sein des équipes
- Chaque cible visée est priorisée, analysée pour sa valeur ajoutée, connue de tous de la secrétaire au patron, et valorisée.
- Les processus sont identifiés, et le soutien de leur pilotage assuré y compris financièrement. Le DG est personnellement impliqué dans le pilotage, tout comme le directeur de l’innovation et le directeur médical
Le système des hôpitaux d’Intermountain dans l’UTAH aux USA (non profit organization) offre un autre exemple mondialement connu de réussite dans l’analyse de la valeur
- La vision proposée et partagée par tous est celle de ‘l’excellence clinique’
- Tous les processus sont priorisés pour ne garder que ceux qui ont la meilleure preuve clinique (EBM) tout en ayant la meilleure valeur économique. 8 spécialités ont analysé et produit leurs guidelines dans ce sens après un long processus d’apprentissage de la méthode.
- Chaque programme clinique fait l’objet d’un projet de déploiement complet avec des compétences dans tous les secteurs, bien sûr médicaux, mais aussi administratifs, informatiques, statistiques. Les résultats sont suivis et commentés en continu chaque mois pour décider de corrections ou d’améliorations (y compris dans le déploiement de nouveaux emplois ou ressources si nécessaires)
- Le partage d’information est au cœur de l’engagement des professionnels et des patients (informatisation, dossier médical informatisé, PC dans chaque chambre de patient, application intranet pour suivre les résultats cliniques processus et outcomes)
Le système a mis plusieurs années à s’organiser dans ce sens, mais le bénéfice actuel est tout simplement remarquable : des ressources (moyens humains et techniques) très supérieures à la moyenne des hôpitaux Américains, pour une valeur et un service rendu au patient très supérieur.