Le NHS soutient depuis des années une politique publique d’information aux patients (patient empowering) basée sur la transparence de l’offre médicale via des indicateurs très détaillés de performance. Cette stratégie est censée jouer un effet levier décisif sur la direction des hôpitaux.
La principale leçon du scandale de Mid Staff est la distance constatée entre bonnes intentions et réalité. Les hôpitaux anglais ont appris à manipuler les données des indicateurs (burnishing outcomes) pour tromper la surveillance globale des autorités et maximiser leurs performances économiques au détriment de la sécurité du patient.
Les hôpitaux de la région du Mid Staffordshire sont l’objet d’un incroyable scandale public qui secoue toute l’administration de la santé anglaise. Le scandale couvait depuis 2009 et vient d’éclater au grand jour avec le rapport de la commission d’enquête Francis présenté en février 2013.
Ce sont les patients et les associations qui ont révélé le scandale au départ par des plaintes répétées depuis 2008 au niveau local, puis régional, puis national sur des séries d’évènements indésirables graves survenus dans ce réseau d’hôpitaux : patients laissés à l’abandon, absence élémentaire d’éthique sur la prise en charge de la douleur, soins erronés, etc.
Les enquêtes ont été lentes à être diligentées par l’administration centrale, tant les premières plaintes n’ont pas été prises au sérieux dans un contexte de déni de la direction des hôpitaux et des professionnels, déni aidé par des indicateurs publics tous « au vert » et au-dessus de la moyenne nationale.
C’est l’accumulation des plaintes, et leur nature particulièrement choquante qui a fini par déclencher les premières inspections sérieuses en fin 2008-2009, puis de façons répétées jusqu’à 2011, année de déclenchement d’une commission nationale d’enquête pour un nombre de décès cumulés excédentaires qui se chiffrerait par centaines.
La surveillance du système hospitalier anglais et l’information aux patients s’appuient sur un grand nombre d’indicateurs publics.
L’indicateur de mortalité (HSMR, Hospitalized Standardized Mortality Ratio) est le plus emblématique. Il sert officiellement à comparer les hôpitaux. Il a été mis au point conjointement dans les années 90 par Bryan Jerman et l’institut lobbyiste pro patients « Dr Forster » (qui en vit de fait par la publication d’un classement annuel des performances des hôpitaux anglais).
Hélas, cet indicateur s’est avéré très biaisé en excluant (légalement, puisque ces ajustements sont autorisés) plusieurs types de décès du décompte officiel : le mode de calcul, assez complexe, intègre en effet des pondérations multiples par âge, sexe, ratio, et surtout une exclusion totale des soins palliatifs, et peut-être pire encore, compte tenu du mode de calcul, une inclusion ou pas des patients sortant au dernier moment de l’hôpital pour décéder au domicile ou dans une autre structure, et inversement les patients de chirurgie ambulatoire ou les simples consultations externes qui grossissent le dénominateur et réduisent mécaniquement l’index de mortalité.
Le Mid Staff Hôpital avait ainsi un HSMR meilleur que la moyenne nationale, un chiffre qui a pu tromper (sic rapport Francis) le Conseil d’Administration de l’hôpital, peu au fait de ces détails de codage de l’indice.
La discussion publique sur le HSMR et le rapport Francis qui s’en fait son écho, ont mis l’accent sur plusieurs défauts majeurs.
Le plus patent de ces défauts est que le calcul d’inclusion ou d’exclusion des pathologies dans l’indicateur est finalement très subjectif, ce qui est un comble pour un indicateur à priori totalement objectif.
L’interprétation concerne d’abord la majorité des dossiers (cas mixtes) où la pathologie et le soin ont chacun joué un rôle partiel dans le décès, particulièrement chez les sujets âgés ou les pathologies graves.
Dans le cas des hôpitaux du Mid Staf, on note par exemple une augmentation des exclusions de l’indicateur de décès liés aux cas déclarés relevés de soins palliatifs qui sont passés d’un volume inférieur à la moyenne nationale en 2007 (8% de la totalité des décès) à un volume très supérieur à la moyenne nationale en 2008 (37% de la totalité des décès).
Dans le même temps le rapport Francis souligne aussi l’existence d’une diminution importante des patients décédant de fractures de col du fémur, diminution qui a impacté très favorablement le HSMR.
Ces changements de stratégie de codage sont arrivés précisément lorsque les premières plaintes inquiétantes sont parvenues au NHS et que les premiers audits ont été commissionnés par les autorités publiques, masquant pendant une durée de plusieurs mois voire années des chiffres de mortalité qui s’aggravaient objectivement.
La directrice responsable de la gestion des risques (RAQ) de l’hôpital a plaidé qu’il s’agissait d’un hasard (elle n’a pas vraiment convaincu les enquêteurs…). Elle explique par exemple que les patients âgés victimes de fractures du col du fémur ont souvent des complications secondaires sous forme de pneumonie, or ce diagnostic de pneumonie est logiquement coté par le DIM dans la logique du PMSI anglais en priorité sur celui de fracture (codage du diagnostic le plus grave), et ce diagnostic de pneumonie grave pour les patients plus âgés est dans la liste des diagnostics que l’on peut exclure du bilan de mortalité et associer à une fin de vie palliative… rien que la logique de la loi selon cette directrice…
Les mêmes interprétations ont été produites pour expliquer les exclusions de décès chez des patients diabétiques et dans plusieurs autres pathologies.
Le rapport officiel sur le scandale (rapport Francis) conclut évidemment à la nécessité de réviser cet indicateur caduque, et en tout cas sans lien avec la Qualité globale des soins.
Mais les tenants de l’indice (particulièrement Dr Forster, Jarman Bryan) le défendent et pointent plutôt des interprétations coupables du management de l’hôpital.
Le NHS vient de proposer une évolution mineure du HMSR sous le nom de SHMIs (Hospital level mortality indicators) incorporant les décès à 30 jours. La polémique continue.
Le pilotage par des indicateurs n’est pas une panacée… on le savait, et on a la preuve ; attention quand même à bien tirer les leçons qui s'imposent ; nous allons mettre en route l’indicateur mortalité probablement en fin 2013, et il n’est pas radicalement différent dans sa composition par rapport au HSMR, dont acte.
La France a tout de même 3 avantages sur le système anglais qui la protègent (peut-être) un peu plus :