Les USA ont imposé en 2003, avec un renforcement en 2011, le repos compensateur et la réduction du temps de travail des internes. Résultat décevant, plus de complications, moins de formation. La réglementation est revue à la baisse en 2017. L’article analyse le pourquoi de cet échec.
Comme souvent l’aéronautique était supposée donner les bonnes directions de réforme pour la sécurité, notamment en matière de gestion de la fatigue et de repos compensateurs. Les spécialistes facteurs humains en médecine ont été très actifs sur ce sujet, avec des preuves évidentes et de bon sens.Dès 1998, plusieurs analyses d’accidents confirmaient sans surprise le risque d’erreur accru avec des internes fatigués. Les gardes successives font baisser la vigilance, et favorisent une alcoolisation, avec des pertes d’habilités montrées par exemple dans les laparoscopies.
Les Etats-Unis décident alors en 2003 de limiter le temps de travail des internes en chirurgie à 60heures hebdomadaires (par une loi au niveau fédéral (Pape 2009).
En juillet 2011, l’organisme en charge des cursus Universitaires US (Accreditation council for Graduate Medical Education-ACGME) décide même d’aller plus loin et d’imposer une limite au temps de garde à 16hoo (et non 24hoo) pour toutes les spécialités (Antiel 2012).
Très vite les évaluations de ces réformes vont s’avérer plutôt mitigées voire franchement négatives : hormis un bénéfice perçu (et attendu) de moindre fatigue par les internes, aucune amélioration ne peut être prouvée, et même plusieurs études retrouvent une augmentation du taux de complications, et une baisse de compétences des internes aux évaluations cliniques.
Les obstacles au succès d’une telle réforme sont de deux natures :
- Le premier est le coût et le nombre d’internes nécessaire à une réforme intelligente.
Une estimation de la mise en place de réglementation nationale du temps de travail en médecine calquée sur le modèle de l’aviation a été réalisée en 2009 aux USA, et elle a abouti a des chiffres énormes (Payette 2009) : 1,000,000$ par patient par an, avec l’exigence de 71% de médecins en plus, et 174% du nombre des internes. Cette stratégie s’est révélée juste inimaginable, d’autant que la simple augmentation mécanique des médecins ne suffirait pas, il faudrait aussi réorganiser la permanence des soins se heurtant cette fois au second problème d’un cartographie médicale ingérable.
- Le second est la conséquence d’une mesure qui fait sens et repose l’interne, mais qui lui fait rater bon nombre d’opportunités de formation.Le temps nécessaire pour former un chirurgien resurgit ainsi comme un problème central (Purcell Jackson, 2009).
Le temps maximum autorisé réservé à la formation sur site hospitalier varie considérablement d’un pays à l’autre, de 37h / semaine au Danemark à 80h aux USA . La directive Européenne impose 48h maximum.
Le problème est que la directive n’est pas sans effet pervers sur la formation. Les psychologues parlent de 10 années d’expérience et 10,000 heures de pratique pour atteindre un bon niveau, en médecine comme ailleurs. Si l’exposition se réduit, il faudra mécaniquement plus de temps, et notamment plus de 5 ans pour atteindre ce niveau. La directive 60h représente 4,000h annuelles, soit 20,000h en 5 ans. 37h autorisent 1850h par an, 48h représentent 2400h an.
Si l’on prend le passé, on voit que les internes en chirurgie passaient en moyenne et au total (sur 5 ans) 2753h comme opérateur au bloc, 272h comme assistant, et 939h sur des actes techniques dans le pré-op et post-op. Ces 3963h (sur 5 ans) au bloc sont évidemment compatibles avec toutes les restrictions citées précédemment ; elles ne représentent que 20% du temps d’un interne US. Mais ce serait une erreur de considérer que c’est la seule fraction est utile. Il faut aussi passer du temps à étudier l’anatomie, consulter, et maîtriser le pré et post op.
Dans la réalité, les nouvelles directives impactent significativement même la fraction du temps passée au bloc (pour des raisons de disponibilité aux bons horaires) et du temps passé avec les seniors au point de représenter moins 85% d’exposition pour les internes de 1° année. Paradoxalement, le nombre d’EIG a plutôt tendance à augmenter avec l’application de la directive. Enfin, la directive rend les staffs très aléatoires car on a jamais tout le service et elle impose des transmissions plus fréquentes avec le risque associé d’oublier des points importants.
Pour le dire autrement, la chirurgie est un métier manuel, et réduire l’expérience manuelle est forcément associé à une moins bonne maîtrise.
Pour toutes ces raisons, l’organisme en charge des cursus Universitaires US (Accreditation council for Graduate Medical Education-ACGME) vient de décider de réviser pour juillet 2017 sa politique de repos compensateurs accordé aux Internes. Les nouvelles règles maintiennent le temps de travail max par semaine à 80 heures en moyenne sur 4 semaines, mais étend l’autorisation de prendre des gardes de 24 heures (contre 16 heures actuellement) et de cumuler des heures sans repos immédiats. En redonnant la main aux internes avec un mot clé ‘flexibilité’ pour mieux s'autoréguler dans leur temps de travail, l’ACGME espère un réel bénéfice à la fois pour la gestion de la fatigue, la formation et la sécurité.
Au bilan, on retiendra que le bon sens ne suffit pas. On ne peut pas prendre sur étagère une mesure de bon sens (la réduction de la fatigue réduit les erreurs) sans assumer une vision globale de son implémentation : toute réduction de temps de travail suppose une augmentation des effectifs, et une augmentation de la durée de formation (puisque l’exposition est moindre). Si l’on accepte ni l’une ni l’autre de ce contraintes, ce qu’a fait précisément la médecine aux USA comme ailleurs dans le monde, la réforme n’a aucune chance d’être efficace et vertueuse.
Pour aller plus loin