Lisez le témoignage d'un chirurgien ayant fait une erreur de côté et le commentaire de René Amalberti...
Un patient monsieur X, de 30 ans est pris en charge en ambulatoire pour le traitement d’une hernie inguinale gauche. Le patient a reçu un SMS la veille pour confirmation de l’heure d’arrivée, du type d’intervention prévu, du code pour le parking.
Le patient entre à l’heure à 7h15, est pris en charge par une IDE en ambulatoire. Le dossier est complet et le patient confirme le type et le côté de l’intervention. Le patient confirme qu’il a bien pris sa douche la veille selon les recommandations et le matin. L’infirmière d’ambulatoire vérifie puis réalise la préparation cutanée selon le protocole en vigueur. Le patient est amené au bloc avec son dossier complet à 7h45.
Monsieur X est reçu par l’IADE et l’IDE en salle de transfert : il est de nouveau interrogé sur son identité, le type d’intervention prévu, le côté, le chirurgien qui doit intervenir. Le patient confirme son identité, le type d’intervention, le côté. Le patient entre en salle opératoire à 8h00. C’est le premier patient. L’anesthésiste est présent. L’anesthésiste consulte le dossier confirme avec le patient le type d’intervention et le côté gauche afin de réaliser une anesthésie au masque laryngée et une anesthésie loco régionale du côté gauche. L’IDE appelle le chirurgien qui confirme qu’il est à l’entrée du bloc, devant le vestiaire et qu’il arrive. L’IDE de salle qui a accueilli le patient remplit informatiquement la première partie de la check-list réalisée avec l’IADE et le patient en transfert. Pendant ce temps l’IBODE se lave les mains. L’anesthésie est faite et la loco régionale est faite du côté gauche. Puis l’anesthésiste s’en va.
L’IBODE rentre en salle. Le chirurgien arrive et vérifie le dossier : il confirme qu’il va opérer du côté gauche pour une hernie inguinale monsieur X. L’IDE et l’IADE confirment.
L’IBODE prépare sa table. L’IDE réalise la préparation cutanée classique selon le protocole : tout le bas ventre est inclus. La salle étant relativement petite, la table est préparée du côté gauche du patient vers le fond de la salle afin de permettre une meilleure circulation et d’éviter d’être devant la porte. Le chirurgien entre en salle, s’habille puis, après la préparation cutanée, met en place les champs avec l’IBODE qui lui donne les champs. Le time out est réalisé : l’IDE demande s’il s’agit bien du patient X : « oui », répondent le chirurgien et l’IADE, devant être opéré d’une hernie inguinale « oui » répond le chirurgien ; du côté gauche, « oui côté gauche» répond le chirurgien. L’IDE remplit sa fiche sur informatique et le chirurgien incise à 8h30. L’IDE assure la traçabilité informatique. L’IADE s’occupe des constantes derrière son champ. Le chirurgien trouve un lipome puis après dissection d’une hernie. Après 20 minutes, l’IADE regarde le champ opératoire : effarée elle dit : « mais c’était bien le côté gauche à opérer! ». Le chirurgien, l’IBODE et l’IDE réalisent l’erreur de côté. Le chirurgien a incisé à droite.
Ce cas, réel, illustre des mécanismes connus en ergonomie cognitive. Ces mécanismes interviennent dans un contexte où le travail est bien maîtrisé.
L’absence de perturbation renforce la confiance générale qui, en retour, relâche le niveau de contrôle attentionnel et laisse des actions se développer automatiquement sur la base d’affordances du monde extérieur (un mot compliqué qui rend compte du pouvoir d’attirance spontané des objets ou des postures pour déclencher des actions réflexes, par exemple une poignée coudée sur une porte attire à appuyer dessus). En quelque sorte l’environnement devient le déclencheur d’actions sans qu’on s’en rende compte. On est proche également des mécanismes de « capture attentionnelle » : par exemple, on part à un rendez-vous et on se retrouve à son travail parce que le début de la trajectoire est commun, et que l’on a serré à droite sur le premier carrefour du trajet (comme on fait tous les jours), et de fait cette posture sur le carrefour a déclenché une action automatique de tourner à droite vers son lieu de travail (mais qui n’était pas voulu ce jour-là).
Dans l’histoire de l’erreur de côté, le mécanisme est proche : on s’installe dans la confiance, on relâche le contrôle sur les gestes, et certains gestes finissent par être déclenchés par une simple relation spatiale et par une position des acteurs qui font bifurquer l’activité. On peut penser dans le cas présenté que le fait de se positionner à la fois comme aide opérateur et chirurgien à gauche de la table, peut, dès qu’on relâche l’attention, pris dans la confiance de la routine, favoriser une capture du geste automatique pour mettre les champs controlatéraux à droite, puis ouvrir à droite.
On comprend que la check-list possède des limites dans ce cas. Ce n’est en rien pour en diminuer l’intérêt. Simplement, le cas présenté nécessite plus qu’une check-list : il faut pour se prémunir du problème penser une organisation du monde physique autour de soi qui soit robuste aux attractions de gestes automatiques qu’on ne veut pas voir arriver. Le grand psychologue Donald Norman avait parfaitement décrit cette sécurisation de l’environnement de tous les jours dans son ouvrage de 1988. Cela s’appelle de l’ergonomie cognitive.
Pour aller plus loin :
Norman, d ; The design of everyday things, NY Basic Books, 1988
Reason, A life in error, Ashgate, 2013
"Le chirurgien trouve un lipome puis après dissection d’une hernie" il y avait donc néanmoins une HI du coté droit également ?? le préjudice est moindre.