Désertification de la médecine générale et apparition de professions de substitution : l'Angleterre en avance... mais l'évolution est mondiale

Tout sur la gestion des risques en santé
                et la sécurité du patient

Désertification de la médecine générale et apparition de professions de substitution : l'Angleterre en avance... mais l'évolution est mondiale

  • Réduire le texte de la page
  • Agrandir le texte de la page
  • Facebook
  • Twitter
  • Messages0
  • Imprimer la page
  • Un stéthoscope posé sur le drapeau du Royaume-Uni - La Prévention Médicale

La crise de la démographie médicale et les difficultés d’accès aux soins qui en résultent concernent malheureusement de très nombreux pays. L’Angleterre ne fait pas exception et a mis en place, depuis plusieurs années, un système de substitution, avec intervention de nouveaux métiers dans le domaine du soin. 

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 16/01/2025

Une crise de démographie médicale sans précédent : le Royaume-Uni encore plus touché que les autres pays

Tous les pays riches sont entrés dans une profonde crise de démographie médicale et de couverture territoriale - particulièrement en médecine générale - liée à un effet croissant de ciseau entre :

  •  d’une part, une crise motivationnelle d’attrait pour le métier de généraliste et les départs précoces de l’activité, sans précédent surtout depuis le Covid ;
  • et, d’autre part, une demande médicale considérablement augmentée par une population vieillissante et fragile.
     

C’est particulièrement vrai au Royaume-Uni, dont le déficit en médecins généralistes dépasse de loin celui de tous les autres pays, et a débuté bien avant le Covid pour s’aggraver encore bien plus dans l’après Covid.

À titre d’exemple, entre 2015 et 2022, l'équivalent temps plein (ETP) médian d'un médecin généraliste pleinement qualifié a diminué de 0,80 à 0,69 en Angleterre, signant une modification profonde sociologique des désirs de la profession et l’impact de la demande augmentée de Qualité de vie au travail pour ces professionnels.

Parallèlement, on observe sur la même période une augmentation de 9 % de la population inscrite par ETP de médecin généraliste (ratio du taux d'incidence - Parisi, 2024). 

Si l’on considère l’ensemble des professionnels du secteur des soins primaires et médico-social, l’Angleterre souffre de l’ordre de 250 000 postes vacants (Jefferson, 2022).

L'évolution vers des solutions de substitution, plus que de compensation nombre à nombre

Les Anglais ont repris et accéléré à grande échelle des propositions de solution pour résoudre cette immense crise de soins primaires.

  • La première solution, qui devrait s’imposer à tous, est aujourd’hui reconnue naïve et non viable. Elle aurait été de croire que la crise n’est que temporaire et que les effectifs vont revenir au meilleur niveau. Plus personne n’y croit vraiment pour les 10 prochaines années. On doit se préparer à vivre avec.
  • Une autre solution, qui a "marché longtemps", consistait à faire appel aux remplaçants mais elle ne s’avère plus très efficace (Gigorouglou, 2023). En 2019, environ 4,4 % des soins primaires anglais étaient faits par des remplaçants, mais avec une forte variation régionale (2,2-6,2 %). Toujours en 2019, 11,3 % des demandes de remplacements n’avaient pas trouvé preneur. Entre 2019 et 2021, le nombre de remplacements a augmenté de 19 % et, pire, le nombre de remplacements non assurés (n’ayant pas preneur) a augmenté de 54 %. 
  • Les Anglais - comme d’autres pays - ont donc commencé à penser à grande échelle à des solutions alternatives basées sur la création de nouvelles professions venant remplacer les médecins généralistes, sur tout ou partie de leurs prérogatives de consultations et prescriptions. Les cabinets de consultation anglais ont ainsi été renforcés progressivement depuis 2003 par de nouveaux professionnels "assistants" médecins (Curran 2018), puis depuis 2015 par des pharmaciens "cliniques" autorisés à consulter au cabinet de généraliste et à prescrire (Claire 2022). Enfin, depuis les années 2010, les infirmiers certifiés de pratique avancée sont également autorisés à recevoir les patients en consultation et à réaliser un certain nombre de prescriptions.

Qui sont les nouveaux intervenants ?

La nouvelle catégorie de professionnels de santé (Physician associates - PAs), appelés "médecins associés" (Curran, 2018), et longtemps appelés "médecins adjoints" - physician assistants -, est ainsi apparue au Royaume-Uni en 2003. 

Leur rôle reprend celui de leurs homologues américains, qui existe depuis 40 ans. Ces professionnels permettent d’accélérer l’accès des patients à un examen et une prescription, notamment en période épidémique, et plus généralement à traiter la masse des cas cliniques les plus simples sous la supervision de généralistes patentés. 

Cette catégorie de professionnels intermédiaire est apparue depuis en Australie, aux Pays Bas, en Allemagne, en Inde, et au Canada. Ces "Médecins associés" sont des professionnels "intermédiaires" de santé en médecine générale, formés à :

  • récupérer l’anamnèse du patient,
  • faire un examen clinique,
  • prescrire des examens complémentaires,
  • poser des diagnostics,
  • formuler des plans de soins,
  • et faire les visites à domiciles. 
     

À partir d’un niveau général BAC+4 (souvent – mais pas exclusivement - en biologie), les candidats reçoivent une formation intensive de 24 mois, basée soit sur des situations de résolution de problème, soit sur des cours magistraux. Le contenu est spécifié dans un compendium (Competence and Curriculum Framework) et un autre document spécifie les limites des privilèges autorisés (Matrix Specification of Core Clinical Conditions for the Physician Assistant). Les deux documents ont été établis par le collège de médecine générale en lien avec les facultés de médecine. La formation est validée par un examen national. 

Une mise en œuvre qui continue à susciter des débats

Dès le départ, ces nouvelles solutions ont provoqué de multiples débats.

  • Au Canada, le manque de médecins a poussé à renforcer le nombre et l’autonomie des infirmières cliniciennes et des assistants médecins, en espérant que l’harmonie et la collaboration s’installent entre ces (nouvelles) professions et les généralistes. Mais ce n’était pas encore le cas (Owens, 2019).
  • En Nouvelle Ecosse, les différents collèges des infirmières (DE, interventionnelles) envisagent de se fondre entre eux mais avec un contournement de la règle qui veut que toute infirmière interventionnelle soit obligatoirement associée nominalement avec un médecin généraliste ou un groupe de médecins généralistes (avec un agrément écrit et validé). Il s’agit, selon ces collèges infirmiers, de s’éviter des contraintes administratives excessives avec les dossiers d’agréments spécifiques à renouveler sans arrêt. Évidemment, la modification pourrait fortement augmenter l’autonomie des pratiques des infirmières, ce qui plaît à la profession et aux autorités mais rend nerveux une partie des généralistes. 
  • Aux États-Unis, le débat fait rage aussi. Les patients américains sont plutôt contents d’avoir des infirmiers plus accessibles que les médecins et plus prescripteurs. 
  • En Angleterre, les médecins généralistes sont aussi assez réservés, malgré le constat de leur nombre réduit, sur l’extension des prérogatives confiées au médecins assistants (Abrams, 2020).

Un programme national coordonné anglais

Toutes les solutions alternatives ont été regroupées et fédérées en Angleterre depuis 2019 dans le programme national de déploiement des adjoints de santé (Additional Roles Reimbursement Scheme -ARRS). 

On comprend que le déploiement à l’échelle nationale d’un tel programme (c’est le cas avec plusieurs milliers de professionnels autorisés en Angleterre dès aujourd’hui) réclame des évaluations continues de sa performance et de sa sécurité.

Une des dernières évaluations est basée sur une collecte systématique des données entre septembre 2022 et novembre 2023. Des entretiens semi-structurés ont été menés avec des directeurs cliniques de ces réseaux de soins primaires territoriaux, des médecins généralistes, des gestionnaires de cabinets de soins primaires et des nouveaux personnels auxiliaires de santé (n=42). 

Les résultats montrent que les modèles d'emploi direct des auxiliaires de santé ont favorisé un plus ou moins grand développement et une fidélisation de ce personnel selon la confiance établie entre les cabinets de médecine générale. La sous-traitance a été privilégiée pour atténuer les risques liés à l'emploi, mais elle pourrait avoir des conséquences imprévues telles que des responsabilités conflictuelles et une intégration moindre avec le personnel des cabinets de médecins généralistes existants. 

Le modèle de déploiement optimal prévoyait des rotations des personnels auxiliaires dans un nombre limité de cabinets de médecins généralistes, idéalement deux, dont l'un servait de base, ce qui garantissait la cohérence de la formation et de la gestion. Ce n’est pas exactement ce qui a été observé.

Le sujet est encore en évolution, à la fois dans la façon de la déployer et du fait de la crise qui s’amplifie sur le manque croissant de généralistes au Royaume-Uni (Curran 2019).

L’ensemble des pays riches regardent ces résultats anglais en avance de phase sur leurs propres difficultés. Mais l’avance de phase reste une notion relative, mesurée en quelques années à peine ; des approches similaires ont déjà commencé à poindre en France, notamment avec les nouveaux métiers des infirmiers de pratique avancée. 

On notera que nous sommes en France moins-disants que tous les autres pays riches pour publier l’ampleur et la réalité de nos problèmes, nos choix de solutions et les débats qui les accompagnent, et encore plus des évaluations, et c’est sans doute regrettable car nous ne sommes pas exempts des mêmes maux.

Pour aller plus loin
- Abrams, R., Wong, G., Mahtani, K. R., Tierney, S., Boylan, A. M., Roberts, N., & Park, S. (2020). Delegating home visits in general practice: a realist review on the impact on GP workload and patient care. British Journal of General Practice, 70(695), e412-e420.
- Claire, M., Claire, A., & Matthew, B. (2022). The role of clinical pharmacists in general practice in England: impact, perspectives, barriers and facilitators. Research in Social and Administrative Pharmacy, 18(8), 3432-3437.
- Curran A., Parle J. Physician associates in general practice: what is their role? Br J Gen Pract 2018; 68 (672): 310-311. DOI: 10.3399/bjgp18X697565
- Grigoroglou, C., Walshe, K., Kontopantelis, E., Ferguson, J., Stringer, G., Ashcroft, D., & Allen, T. (2023). Use of locum doctors in NHS trusts in England: analysis of routinely collected workforce data 2019–2021. BMJ open, 13(6), e065803.
- Owens B., Roles of nurse practitioners and physician assistants in medicine still under debate, CMAJ February 19, 2019 191 (7) E203-E204; DOI: https://doi.org/10.1503/cmaj.109-5708
- Parisi, Yiu-Shing Lau R., Bower P., Checkland K., Rubery J., Sutton M., Giles S., Esmail, Sharon Spooner A., Kontopantelis E. GP working time and supply, and patient demand in England in 2015–2022: a retrospective study British Journal of General Practice 2024; 74 (747): e666-e673.
- Shemtob, L., Asanati, K., Pahl, N., & Majeed, A. (2023). What needs to be done to address staffing shortages in health and social care?. British Journal of General Practice, 73(728), 102-103.