Depuis 2020, la profession vétérinaire s’avère être majoritairement féminine (les vétérinaires ou leurs auxiliaires). La problématique des risques au travail dans cette profession pour les femmes enceintes est majeure. En effet, peu de professions cumulent à ce point les facteurs de risques chimiques, biologiques et physiques. Il est donc important de se pencher sur l’identification et la prévention de ces risques.
Le 1er février 2017, la profession vétérinaire, essentiellement masculine pendant les deux premiers siècles de son existence, devenait strictement paritaire : il y avait autant de femmes que d’hommes en exercice. Déjà, moins de trois ans plus tard, au 31 décembre 2020, selon le rapport d’activités de l’Ordre national des vétérinaires, sur près de 20 000 vétérinaires en exercice il y avait plus de 2 000 femmes de plus que d’hommes ! C’est dire si cette profession, devenue majoritairement féminine, évolue rapidement vers une profession à large dominance féminine. Cela fait naturellement écho au fait que, partout dans le monde, les établissements de formation vétérinaire comportent au moins trois quarts d’étudiantes.
Pendant longtemps, trop longtemps, la grossesse de la praticienne a pu être vécue de façon quelque peu négative dans une profession masculine et machiste. Cette période paraît bien révolue.
En mai 2017, rendant compte d’une publication du JAVMA(1) qui passait en revue les articles de 99 auteurs, mon confrère Jean-Pierre SAMAILLE faisait un point de situation dans la revue L’ESSENTIEL(2).
La Revue de l’Ordre de février 2022(3) faisait état, sous la plume de ma consœur Corinne BISBARRE et du Professeur Didier TRUCHOT, des premiers résultats d’une enquête nationale sur la santé au travail des vétérinaires : La grossesse, sans y être frontalement abordée, y est implicitement positionnée à travers la crainte des blessures. Plus récemment encore, LA SEMAINE VÉTÉRINAIRE(4) s’interrogeait sur la manière de gérer sa grossesse en tant que praticienne vétérinaire. Passons ici en revue, à partir de différents dangers, les principaux risques pour la vétérinaire enceinte en exercice ou, de la même manière, l’auxiliaire vétérinaire, notamment l’auxiliaire spécialisée vétérinaire (ASV), et les mesures de prévention.
S’agissant de l’ensemble des auxiliaires vétérinaires, notons qu’elles sont majoritairement, pour ne pas dire presque exclusivement, des femmes depuis que cette activité existe. Et n’oublions pas, comme le rappellent les auteurs de la revue ci-dessus citée(1) qu’aucune autre profession médicale ne cumule à ce point les facteurs de risques chimiques, biologiques et physiques.
Les anesthésiques volatils ont pu être considérés, même si le sujet est controversé, comme facteurs d’avortements spontanés ou de naissances prématurées.
Il convient donc, par principe de prudence :
Les anticancéreux sont également reconnus comme possiblement à l’origine d’avortements ou de naissances avant terme.
La vétérinaire enceinte devrait plutôt s’interdire de telles manipulations, ce qui lui est plus facile quand elle exerce en groupe.
En période de grossesse, la femme vétérinaire :
C’est un risque assez considérable en milieu vétérinaire. Les personnes doivent se montrer d’autant plus prudentes qu’elles sont, le cas échéant, immunodéprimées.
Même si la brucellose est beaucoup moins fréquente aujourd’hui qu’elle ne pouvait l’être dans les années 70, elle doit rester présente à l’esprit en tant que danger et facteur de risque générant des précautions classiques.
La leptospirose, susceptible de se manifester par une infection grave de la mère, de l’embryon ou du fœtus et un avortement en milieu de grossesse, est un danger zoonotique et un risque certains qui doivent se traduire par de grandes précautions. Le port de gants devient par exemple obligatoire pour la manipulation d’un rat de compagnie.
C’est plutôt en exercice rural (ovins, bovins, caprins) que le risque de contracter la listériose ou la fièvre Q à coxiella burnetii est présent. Chez la femme enceinte, les risques concernent aussi le fœtus ou le nouveau-né.
La chorioméningite lymphocytaire (rongeurs), la psittacose (oiseaux), la chlamydiose (avortements d’ovins ou de caprins) sont des infections à risque pour la vétérinaire ou son auxiliaire.
Lors de morsures ou griffures, les infections à Pasteurella multocida mais aussi à Bartonella henselae doivent être considérées avec attention. D’où la prudence accrue dès lors que le risque de griffure ou morsure augmente en fonction des actes pratiqués.
Bien sûr, le risque toxoplasmique est le premier auquel pense la femme enceinte en milieu vétérinaire. On connaît le risque gynécologique : avortements, naissance avant terme, troubles neurologiques chez le fœtus, choriorétinite congénitale, hydrocéphalie, encéphalite, retard mental… D’où la nécessité pour la vétérinaire ou l’ASV de vérifier son statut sérologique. Le nettoyage journalier des litières ne doit pas être pratiqué par la femme enceinte. Le port de gants constitue une barrière éminemment utile.
Cette liste ne saurait être exhaustive. Et les risques des zoonoses émergentes ne sont pas forcément bien connus.
La seule crainte des blessures, celle des maladies zoonotiques ou celle des risques chimiques s’ajoute, comme facteur de stress, aux risques objectifs précédemment évoqués.
Toutefois, selon l’étude révélée par l’Ordre, la crainte des blessures, au sens le plus large du terme, ne semble associée ni au burn-out ni aux idéations suicidaires des vétérinaires. Ce risque ne paraît donc pas ici à retenir comme un risque principal dans le cadre de la grossesse.
Les moyens de prévention ont été évoqués en déroulant la liste des dangers et des risques associés. Ils sont parfaitement connus des vétérinaires. Il convient surtout d’intégrer les changements culturels intervenus au sein de la profession, en termes de protection des femmes salariées mais aussi, s’agissant des professionnelles libérales, par une adaptation organisationnelle au sein des équipes.
Il est évident que la femme vétérinaire enceinte doit s’interdire en milieu rural d’effectuer des prophylaxies collectives, lesquelles sont à haut risque traumatique pour les praticiens. Même chose pour les vêlages ou poulinages…
A cet égard, la profession paraît en bonne voie d’adaptation. La prévention ne doit pas cependant en rester aux pratiques relatives à l’exercice, elle doit aussi passer par la prévoyance : une grossesse peut se prévoir et s’organiser ! L’anticipation est une règle d’or, notamment pour la vétérinaire libérale, laquelle ne doit pas hésiter à considérer ou reconsidérer son contrat de prévoyance. Il faut prévoir le cas de la grossesse pathologique. Dans l’idéal il faut anticiper la baisse de trésorerie. Il faut penser à l’inscription précoce à la maternité et surtout aussi à la crèche…
Aujourd’hui, dans les établissements de soins vétérinaires et au sein des équipes, la grossesse doit être sereinement considérée et anticipée. Les risques pour la femme enceinte doivent être identifiés et réduits au minimum. Tout cela est possible. Une situation qui a pu, dans un passé encore proche, être mal vécue, en tout cas mal appréhendée, doit, dans une profession qui a pour slogan "VETERINAIRE POUR LA VIE", devenir une véritable plus-value dans la vie des équipes.
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