Le périmètre de la sécurité du patient est une cible en perpétuelle expansion, l’EIG n’est rien en lui même (nda pour l’intérêt de l’analyse), il n’existe que par son interprétation.
L'effet domino de ces constats, et les conséquences complexes pour nos mesures et nos politiques.
Notre ambition sans limite dans le domaine médical nous pousse à adopter un flux constant d’innovations, à inclure des patients jusque là exclus, à utiliser des protocoles plus complexes et plus exigeants, à considérer un nombre croissant de normes et de référentiels ; assez logiquement cette prise de risque croissante et ce périmètre en expansion résultent dans un nombre événements indésirables croissant. C’est bien ce que l’on observe. Pratiquement toutes les études de comptage des EIG au niveau national et même d’un Hôpital montrent une augmentation du nombre brut d’EIG, malgré les efforts objectifs dévolus à la sécurité du patient.
À cet égard, la santé diffère de presque toutes les autres industries. Ce qui est considéré comme indésirable dans l'aviation civile ou le nucléaire par exemple, reste stable dans le temps quelle que soit les avancées techniques de ces industries. En revanche nous changeons constamment de références sur ce que nous considérons à la fois mal et évitable. Difficile dans ces conditions de comparer les évolutions dans le temps. Les chiffres sont forcément trompeurs.
Dans les années 1950 de nombreuses complications étaient jugées comme des aléas (1). Au fil du temps une grande partie de ces complications sont aujourd’hui considérées comme inacceptables et potentiellement évitables. Il en va ainsi pour la majorité des infections (2). Et la liste des never events s’étend aussi d’année en année (3).
On trouve maintenant dans le périmètre des EIG toute une série de problèmes considérés comme des aléas dans les années 90 : escarres, chutes, embolies, infections sur cathéters et sur sondes urinaires ; et même si tous les cas ne sont pas évitables, l’évitabilité partielle devient au moins la norme de l’analyse (4, 5). Au Royaume-Uni, le rapport Francis – produit suite au scandale récent des hôpitaux du Mid Staffordshire- a mis en évidence des risques supplémentaires inacceptables pour les patients, tels que la malnutrition, la déshydratation et le délire qui sont tous maintenant considérés maintenant comme les questions de sécurité du patient (6, 7). Il en va de même pour toutes les erreurs médicamenteuses (8).
Le périmètre de la sécurité du patient est donc en incroyable et rapide expansion. C’est sûrement une bonne nouvelle pour les patients et victimes à de multiples titres, et notamment parce que cette extension reflète l'amélioration du niveau de soins et des aspirations du système médical. Toutefois, cette expansion pose aussi de sérieux problèmes, à la fois théoriques et pratiques.
La définition du préjudice semble de plus en plus difficile à cerner car de plus en plus d'événements sont ‘badgés’ comme des questions de sécurité. Dans ce contexte qui grossit sous la pression de l’innovation plutôt que de se stabiliser, il nous faut d’urgence reconsidérer la définition, l’analyse et la mesure des événements indésirables.
Rappelons qu’historiquement, un événement indésirable a été défini comme une blessure involontaire causée par les soins qui se traduit au minimum par un prolongement d’hospitalisation, pouvant aller jusqu’à une incapacité temporaire ou permanente, ou la mort.
Cette définition instaurée en fin des années 90 s’appliquait aux patients hospitalisés sur des durées assez longues, pour lesquels on jugeait d’erreurs assez évidentes ; elle a été très utile pour sensibiliser les professionnels et s’inquiéter du nombre beaucoup plus grand qu’imaginé de ces EIG (9, 10). Cette définition a servi aussi pour constater que les progrès n’étaient pas très faciles (11, 12).
Mais cette définition est aussi l’objet de tous les biais actuels.
Les standards de 2005 ne sont plus les standards de 2015.
Plusieurs exemples concrets montrent comment le même mécanisme d’accident est analysé différemment à 8 ans d’intervalle (en 2001 il est vu comme un problème professionnel, en 2005 comme un problème managérial, puis en 2009 comme un problème de gouvernance).
Ce constat conduit à une très forte phrase utilisée dans un article récent (13) : l’incident n’est rien en lui-même (nda pour l’intérêt de l’analyse), il n’existe que par son interprétation ; et cette vue doit évidemment influencer grandement un professionnel de l’analyse et un système national d’analyse. Il nous faut nous concentrer sur la leçon tirée plutôt que sur le fait lui même et sa conséquence. Mais évidemment se concentrer sur la leçon tirée suppose d’autres pré requis, notamment une culture juste, ce qui est loin d’être simple. Le vrai EIG grave dans ce contexte est d’inverser le ratio bénéfice/risque à venir se faire soigner.
En conclusion, le terme «événement indésirable» a des parallèles avec le terme «maladie». Au départ il est clairement peu sensible, trop général. On progresse en disposant de classifications et d’actions spécifiques pour chaque maladie, et on est tenté de suivre la même logique avec des familles d’EIG (14, 15). Certes, cela ne nous donnera pas une solution complète car il y aura toujours des EIG rares ou échappant à une définition précise qui exigera une catégorie générique «autre», mais l’analyse par catégorie ouvrira de façon certaine des actions plus pertinentes que nos analyses globales.
Il nous faut aussi adopter une vision nettement plus systémique pour chaque catégorie d’EIG, ne recherchant pas seulement les causes, mais incluant dans l’analyse la récupération des événements en réfléchissant sur une mesure d’équilibre global des avantages et inconvénients à faire un parcours de soins qui reflète mieux les succès comme les problèmes de la prise en charge (16).
A lire aussi :
Signalement des EIG par des enquêtes nationales
Signalement des EIG par les professionnels de santé
Les évènements indésirables graves (EIG) liés aux soins en Ile de France
Références
1. Sharpe VA, Faden AI. Medical Harm. Historical, conceptual and ethical dimensions of iatrogenic illness. Cambridge: Cambridge University Press; 1998.
2. Burke JP. Infection Control. A Problem for Patient Safety. NEJM. 2003;348(7):651-6.
3. Milstein A. Ending Extra Payment for "Never Events" -- Stronger Incentives for Patients' Safety. NEJM. 2009;360(23):2388-90.
4. Sullivan N, Schoelles KM. Preventing In-Facility Pressure Ulcers as a Patient Safety StrategyA Systematic Review. Ann Int Med. 2013;158(5_Part_2):410-6.
5. Chopra V, Anand S, Hickner A, Buist M, Rogers MAM, Saint S, et al. Risk of venous thromboembolism associated with peripherally inserted central catheters: a systematic review and meta-analysis. Lancet. 2013;382(9889):311-25.
6. Francis R. Independent Inquiry into care provided by Mid Staffordshire NHS Foundation Trust January 2005 – March 2009. London: 2013.
7. Long SJ, Brown KF, Ames D, Vincent C. What is known about adverse events in older medical hospital inpatients? A systematic review of the literature. Int J Qual Health Care. 2013;25(5):542-54.
8. Gandhi TK, Weingart SN, Borus J, Seger AC, Peterson J, Burdick E, et al. Adverse drug events in ambulatory care. NEJM. 2003;348(16):1556-64.
9. Woloshynowych M, Neale G, Vincent C. Case record review of adverse events: a new approach. Qual Safety Health Care. 2003;12(6):411-5.
10. de Vries EN, Ramrattan MA, Smorenburg SM, Gouma DJ, Boermeester MA. The incidence and nature of in-hospital adverse events: a systematic review. Qual Safety Health Care. 2008;17(3):216-23.
11. Vincent C, Aylin P, Franklin BD, Holmes A, Iskander S, Jacklin A, et al. Is health care getting safer? BMJ. 2008;337.
12. Landrigan CP, Parry GJ, Bones CB, Hackbarth AD, Goldmann DA, Sharek PJ. Temporal Trends in Rates of Patient Harm Resulting from Medical Care. NEJM. 2010;363(22):2124-34.
13. Leistikow I.,Mulder S., Vesseur J., Robben P. Learning from incident in healthcare: the journey, not the arrival, matters, BMJ Qual Saf Published Online First: doi:10.1136/bmjqs-2015- 004853
14. Amalberti R, Benhamou D, Auroy Y, Degos L. Adverse events in medicine: Easy to count, complicated to understand, and complex to prevent. J Biomed Inform. 2009.
15. Wong BM, Dyal S, Etchells EE, Knowles S, Gerard L, Diamantouros A, et al. Application of a trigger tool in near real time to inform quality improvement activities: a prospective study in a general medicine ward. BMJ Qual Saf. 2015;24(4):272-81.
16. Vincent C., Amalberti R. Safety in healthcare is a moving target editorial BMJ Qual Saf 2015;24:539-540