Péritonite après oubli d’une compresse lors d’une hystérectomie

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Péritonite après oubli d’une compresse lors d’une hystérectomie

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  • Un soignant compte les compresses stériles au bloc opératoire - La prévention Médicale

Pour sécuriser le comptage des compresses et textiles, il faut effectuer un comptage initial précis avant l’intervention et un comptage final obligatoire avant la fermeture de la plaie. Deux membres de l’équipe (chirurgien-infirmier) doivent réaliser une double vérification pour assurer la correspondance des chiffres. Toutes les étapes sont documentées dans le dossier du patient pour une traçabilité complète. 

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 11/12/2024

Cas clinique

Depuis 2016, une femme née en 1973 est suivie en clinique par un chirurgien gynécologique pour deux fibromes utérins. Dans ses antécédents, on note une obésité (79 Kg pour 1,57 m soit un IMC à 32,1) ; un diabète de type 2 diagnostiqué en juillet 2015 traité par Xelevia® (100 mg/j) et Amarel® (1 mg/j).

Elle consulte début 2020 un chirurgien gynécologique, qui note "47 ans, (...) de plus en plus gênée par ses fibromes, augmentant progressivement de taille : 35 et 50 mm en octobre 2016, 65 et 50 mm en avril 2019, 80 et 60 mm en janvier 2020 (...). Dysménorrhée et ménorragies (...). Souhaite chirurgie. IRM avant pour choix du traitement".

Quinze jours plus tard, une nouvelle consultation avec le chirurgien gynécologique mentionne : "IRM : fibromes de 80 et 60 m. Indication : hystérectomie totale avec salpingectomie bilatérale par laparotomie. Modalités et risques expliqués. Bloc le 18/02/2020".

En février 2020, Consultation préanesthésique cotée ASA 2.

Hospitalisation en clinique.

Compte rendu opératoire : hystérectomie totale avec salpingectomie bilatérale par laparotomie transversale sus pubienne. Pas d'incident signalé. Anesthésie générale. Incision transversale de Pfannenstiel. Exploration de la cavité pelvienne qui montre un volumineux utérus myxomateux, annexes sans particularité. Utilisation de la pince LigaSure pour les coagulations-sections. Section ligature des ligaments ronds. Décollement de l'espace vésico-utérin. Section ligature des ligaments utéro-ovariens. Salpingectomie bilatérale. Section ligature des pédicules utérins et cervico-vaginaux. Ouverture du vagin. Exérèse de la pièce. Surjet de Vicryl 1 sur la tranche vaginale. Péritonisation au Vicryl 2/0. Hémostase difficile au niveau des pédicules utéro-ovariens et de la tranche vaginale nécessitant des points de Vicryl 2/0 et une mèche de Surgicel®. Pas de saignement en fin d’intervention. Lavage abondant de la cavité péritonéale.

Compte correct des compresses et des champs. Redon de 10 dans le Douglas. Surjet de Vicryl 2/0 péritonéal. Surjet de Vicryl 1 aponévrotique. Surjet intradermique de Monocryl 3/0.

À noter : la check-list HAS, non signée par les intervenants, fait état d'un compte final exact des compresses et des champs. Il en est de même pour une fiche intitulée Fiche d'écologie du bloc opératoire).

Examen anatomopathologique : léiomyomes typiques bénins. Absence d'élément suspect de malignité.

Le lendemain de l’intervention, visite du chirurgien gynécologique : "... va bien ; quelques douleurs mais abdomen souple. Pas de gaz. Redon 50 cc. Cicatrice RAS. CAT : retrait sonde urinaire, retrait Redon, repas BYC (Bouillon, Yaourt, Compote)".

Deux jours après l'intervention : "… va bien, abdomen souple et indolore. Pas de saignement, pas de signe fonctionnel urinaire. Gaz +. Sortie demain si RAS avec antalgiques, fiche info, RDV chirurgien dans 3 semaines".

Trois jours après l'intervention, sortie de la clinique. Une fiche d'information postopératoire a été remise à la patiente.

À son domicile, la patiente a mal au ventre, prend du Doliprane®, sa température est à 38°C. Dans la nuit, les douleurs abdominales augmentent malgré le Doliprane®

Dans la journée du lendemain, sensation de froid avec des tremblements. Son mari appelle le 15 et l'amène aux urgences du Centre hospitalier.

Arrivée aux urgences du Centre hospitalier : "Patiente présentant des douleurs constantes depuis ce matin avec une EVA à 7/10 et apparition d'une hyperthermie à 41°C au domicile. Le bilan biologique retrouve un syndrome inflammatoire certain avec une leucopénie à 3,1 giga/L, une CRP à 287 mg/L et une procalcitonine positive à 1,68 ng/mL. Le bilan biologique révèle également une insuffisance rénale et un bilan hépatique perturbé. Au total, tableau de choc septique avec une instabilité hémodynamique nécessitant la mise en place de noradrénaline". 

Scanner thoraco abdominal injecté :

"Conclusion :

  • Présence d'un épanchement hydroaérique au niveau pelvien au sein du cul de sac de Douglas, de 5,5 cm de diamètre, avec infiltration au contact, en cours de collection mais non totalement collecté. Lâchage du fond vaginal ?
  • Présence d'une image d'origine indéterminée, ovalaire, bien limitée de 9 cm de grand axe de topographie médiane en sus-ombilical avec présence d'une lame métallique en son sein, d'étiologie indéterminée. Il n ’est pas noté de communication digestive évidente : textilome ? Autre ?
  • Signes de surcharge au niveau thoracique.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, décision d'intervention chirurgicale en urgence.

Compte rendu opératoire : "Reprise de la laparotomie transversale sus-pubienne, péritonite, prélèvement bactériologique, ablation d'un textilome (champ intrapéritonéal), lavage, drainage. Prélèvement bactériologique. Culture : peptostreptococcus anaerobius et propionibacterium avidum".

Service de réanimation pendant 5 jours. Les suites opératoires, sont marquées par :

  • La poursuite de la noradrénaline introduite pour le traitement de l’état de choc initial, puis sevrée.
  • Une antibiothérapie initiale par Tazocilline®, Amiklin®, Dalacine®, puis Tazocilline™ seule. 2 hémocultures positives à Peptoniphilus harei
  • Une insuffisance rénale à diurèse conservée d'évolution progressivement favorable. 
  • Une insuffisance hépatique s'améliorant progressivement avec un taux de prothrombine (TP) normal à la fin du séjour en réanimation.
  • Une thrombopénie d'origine septique, se normalisant en fin de séjour. Anémie inflammatoire avec transfusion d'un culot globulaire.
  • Au niveau abdomen : reprise du transit avec reprise progressive de l’alimentation.

Service de gynécologie : évolution progressivement favorable ; ablation des drains.

Retour à domicile. Soins par une IDE pendant environ 4 semaines.

Notes médicales récapitulatives du chirurgien gynécologique :

  • Appel du mari de la patiente pour signaler qu'elle est en réanimation au Centre hospitalier.
  • Réa appelée : patiente hospitalisée pour choc septique sur péritonite. Reprise opératoire : péritonite sur compresse.
  • Mari rappelé pour discuter de sa femme. Une proposition de rendez-vous est faite mais déclinée pour le moment.
  • Patiente vue au Centre hospitalier 2 jours après son admission. Elle est toujours en réanimation mais va mieux. Je l’ai informée que les mesures pour comprendre l'incident étaient en cours à la clinique. Écoute de la patiente qui semble comprendre l'accident même si elle déplore que ça lui soit arrivé.
  • On lui propose un rendez-vous dès qu'elle se sentira mieux pour rediscuter du problème.

Un signalement de l'événement, oubli d’une compresse, a été fait auprès de l’ARS par la clinique.

Consultation chirurgien gynécologique : "Patiente sortie la semaine dernière du CH. Douleurs pelviennes à la marche, douleurs en position assise. Traces occasionnelles. Pas de SFU, pas de troubles digestifs. Histo : fibromes typiques bénins. Rediscussion autour de l’intervention et de la complication. Informée des procédures locales (déclaration ARS et HAS-RMM). Abdomen sensible mais souple. Bonne cicatrisation. Sécheresse vulvaire. Spéculum : cicatrisation en cours, inflammation cicatricielle".

Consultation, chirurgien du Centre hospitalier : "... va bien ; moins algique ; cicatrice propre ; abdomen sensible, pas de défense ; écho abdominale : pas d'épanchement".

8 mois plus tard, consultation avec le chirurgien du Centre hospitalier : "79 kilos ; se plaint de pesanteur intermittente abdominale hypogastrique, de prurit au niveau de la cicatrice ; présente toujours des épisodes d'asthénie ; abdomen souple et indolore ; cicatrice propre fermée ; examen gynécologique normal ; échographie endovaginale normale. Bonne évolution globale".

Prise en soins à l'unité de psychotraumatologie du secteur à raison d'une consultation par semaine.

Lors de l’expertise (octobre 2021) :

  • Poids : 78 kilos pour 157 cm (IMC : 31,7) ; le poids était de 79 kg au moment des faits ;
  • Patiente en bon état général et nutritionnel, mais déclare être fatiguée.
  • Elle a une mobilité normale.
  • Traitement : dernière ordonnance non disponible malgré la demande de l'expert.
  • Même régime alimentaire qu’avant les faits en cause, régime lié à son diabète.
  • Elle déclare avoir des nausées et mal à la tête ; elle n'allègue pas de douleurs abdominales.
  • Le transit intestinal est normal.
  • À la palpation, la paroi est solide ; il n'y a pas d'éventration.
  • Le reste de l’examen est sans particularité.

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par la patiente pour obtenir réparation des préjudices subis (mai 2019).

Expertise (octobre 2021)

Pour l’expert, chirurgien digestif exerçant en libéral :

"(…) La cause du dommage est l'oubli d'un champ dans l'abdomen au cours de l’hystérectomie.

Le dommage comporte des séquelles physiques et psychologiques après consolidation. La patiente a des douleurs cicatricielles résiduelles et des réminiscences pénibles des faits en cause. Il n'y a pas de séquelles pariétales et digestives.

L’indication de l’hystérectomie était justifiée. La patiente avait 2 volumineux fibromes qui augmentaient régulièrement de taille, responsables de douleurs pelviennes, d'une dysménorrhée et de ménorragies. Ils n’étaient pas accessibles à un autre traitement que l’hystérectomie.

Concernant l'information, la patiente a signé un consentement sur la chirurgie (3 pages) et un consentement sur l'anesthésie (1 page). Le chirurgien gynécologique a déclaré lui avoir remis une fiche d'information du Collège de Gynécologie Obstétrique.

À partir des informations communiquées, les moyens techniques et/ou en personnel de santé qui étaient nécessaires ou requis à la Clinique, étaient adaptés à la pathologie de la patiente. 

L’oubli d'un champ abdominal lors de l’hystérectomie est une maladresse du chirurgien. Il s'agit d’un accident médical fautif. 
Il implique également un défaut d'organisation du bloc opératoire de la clinique concernant le personnel paramédical de la salle d'opération.

Le comptage des compresses et textiles pendant une intervention chirurgicale est une procédure obligatoire associant l'instrumentiste assistant le chirurgien et l'infirmière de salle d'opération dite infirmière circulante, sous la responsabilité du chirurgien :

  • Un premier compte est fait pendant l'intervention par l'instrumentiste au fur et à mesure que lui sont donnés les compresses et les champs (le comptage est fait compresse par compresse, champ par champ, leur nombre annoncé à l'infirmière circulante qui le note).
  • Un compte intermédiaire est fait pendant l'intervention au fur et à mesure que les compresses et les champs sont récupérés par l'infirmière circulante avant le compte final au moment de la fermeture de l'abdomen.
  • Un dernier compte est fait une fois le dernier point sur la peau posé. C'est à ce stade que l'annonce "le compte est bon" peut être fait et annoncé au chirurgien qui confirme la réception du message.

Le compte des compresses et champs doit être consigné par écrit dans la check-list "Sécurité du patient au bloc opératoire" de la Haute Autorité de Santé (HAS), mise en place en janvier 2010.

Le compte des compresses et champs a été consigné par écrit dans la check-list de la HAS, mais celle-ci n'a pas été signée par les intervenants : chirurgien, anesthésiste, instrumentiste et infirmière circulante.

Le compte des compresses et des champs a été indiqué comme exact. Le compte a aussi été consigné comme exact dans un document intitulé fiche d'écologie du bloc opératoire, document également non signé.

Les échanges contradictoires au cours de la réunion d'expertise n'ont pas permis de comprendre les circonstances ayant amené à un compte en définitive inexact et à l'oubli d'un champ dans la cavité péritonéale.

Ce comportement non conforme a été à l'origine d'une évolution postopératoire anormale avec la survenue d'une infection péritonéale et la nécessité d'une réintervention. 

En ce qui concerne les équipes médicales du Centre hospitalier, établissement qui n'est pas dans la cause, leur comportement a été conforme.

Il sera retenu un lien direct et certain entre le dommage et le comportement non conforme du chirurgien gynécologique et du personnel du bloc opératoire de la clinique. L'expert suggère la répartition suivante : 60 % pour le chirurgien gynécologique, 40 % pour la clinique (…)"

Avis de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation

Pour la Commission, "(…) la réparation des préjudices subis par la patiente incombe au chirurgien gynécologique pour une part de 60 % et à la clinique pour une part 40 %".

Commentaires

Cette observation permet de poser plusieurs questions :

1 - Les oublis de corps étrangers lors d’interventions sont-ils aussi exceptionnels que le voudrait leur dénomination internationale "never events" (identifiés par le Ministère de la Santé et l’ANSM, comme des événements qui ne devraient jamais survenir, le 25 juillet 2022).

Dans une mise au point récente(1) portant sur une période de 3 ans (2018-2019-2020) totalisant 1 786 déclarations reçues par la MACSF dans le domaine des chirurgies digestive, urologique, orthopédique et traumatologique, rachidienne, et plastique, 28 dossiers concernaient un oubli de corps étranger, avec en première position les compresses et les champs (textilomes) (11 cas), suivis par les dispositifs médicaux implantables (ex : boitiers d’anneau gastrique) (7 cas), drains (5 cas), instruments (3 cas), aiguille (3 cas). C’est en chirurgie digestive que ces oublis étaient les plus nombreux (16 cas) avec en tête les textilomes (7 cas)(1).

2 - Comment éviter les oublis de compresse et de champs ?

Le Docteur J-É. Clotteau, chirurgien viscéral & médecin conseil MACSF et D. Baranger, juriste MACSF, font le point dans cet article "Oubli de compresse : à qui la faute ?".

3 - Comment améliorer les résultats de la check-list "Sécurité du patient au bloc opératoire" ?

C’est en 2010 que la HAS a instauré, en France, la check-list "Sécurité du patient au bloc opératoire" suite à une étude internationale faite à l’initiative de l’OMS (2018)(1). Mais, pour que cette check-list soit efficace, il fallait qu’elle soit généralisée (elle est obligatoire pour la certification des établissements hospitaliers) et surtout que les acteurs du bloc opératoire se l’approprient en la renseignant soigneusement et collectivement. 

Pour atteindre ces objectifs, la HAS a modifié à plusieurs reprises sa check-list "Sécurité du patient" afin de la rendre de plus en proche de ses utilisateurs en prenant en compte leurs diverses spécialités(2). Cette évolution a été analysée par Margaux Dima juriste à la MACSF, en rappelant les 11 points de vigilance de la check-list au bloc opératoire à respecter(3).

Toutefois,"la mise en œuvre optimale de la check-list au bloc opératoire est un travail de longue haleine qui nécessite du temps pour y parvenir, mais aussi des efforts pour la maintenir. L’ambition est qu’au cours de la prochaine décennie davantage de jeunes chirurgiens aient bien utilisé la check-list tout au long de leur formation et que la check-list soit totalement intégrée à leurs pratiques au quotidien"(4).

Références

1) Dima M, Frattini B - Les oublis de corps étrangers au bloc opératoire : une fatalité ? MACSF - Mis à jour le 07/02/2024
2) HAS - Les check-lists pour la sécurité du patient. Outil d’amélioration des pratiques professionnelles. Mis en ligne le 29 novembre 2018 - Mis à jour le 16 mars 2023
3) Dima M - Check-list "Sécurité du patient au bloc opératoire", que préconise la HAS ? MACSF 07/04/2023 
4) Cabarrot P et al. Un second souffle en 2022 pour la check-list "Sécurité du patient au bloc opératoire". Risques et Qualité 2022 : vol XIX n°3, 140-14

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Crédit photo : GODONG / BSIP