Un homme de 85 ans avec obésité sévère et aux nombreux antécédents est hospitalisé pour un adénocarcinome prostatique. Une opération risquée de section endoscopique de prostate est réalisée. Le patient décède 11 jours plus tard...
En décembre 2014, un homme âgé de 85 ans est suivi depuis avril 2005 par un chirurgien urologue pour un adénocarcinome prostatique (Gleason 7), découvert à la suite d'une rétention aiguë d'urines. Résection endoscopique de prostate ; absence de lésions métastatiques.Traitement hormonal anti-androgène débuté en mars 2012 (RCP).
Il présente de nombreuses comorbidités : obésité sévère (taille 173 cm, poids 110 kg, IMC 36,8). Dans les antécédents, cardiopathie ischémique grave : quadruple pontage coronarien en 1997 ; syndrome coronarien aigu en avril 2014 : à la scintigraphie ischémie étendue, à la coronarographie atteinte du territoire marginal, pontages perméables. Traitement : Discotrine, Kardégic, Lasilix, Cardensiel 2,5 mg, Candesartan. Insuffisance mitrale par prolapsus récusé chirurgicalement. Début juillet 2012, rétention urinaire avec hématurie d'évolution favorable.
Du 30/10/2014 au 07/11/2014, il est hospitalisé en clinique pour une nouvelle rétention urinaire en rapport avec l'évolution locale de l'adénocarcinome. Allongement du temps de saignement contre-indiquant la rachi-anesthésie et retardant la décision de résection endoscopique palliative de prostate pour retirer la sonde.
Le 02/12/2014, consultation de cardiologie : (...) Patient à fort risque anesthésique puisqu'il est porteur d'une coronaropathie avec angor stable persistant et d'une insuffisance mitrale volumineuse avec risque de décompensation cardiaque postopératoire. Si une intervention est envisagée, interrompre le Kardégic 5 jours auparavant, pour le reprendre secondairement et suivre le taux de troponine en postopératoire (...)
Le 03/12/2018, consultation de préanesthésie :"(...) ASA 3. Arrêt Kardegic selon recommandation du cardiologue. En raison d'un déficit de coagulation vitamino-dépendante (TP 64%, ratio 1,38), protocole d'injections préopératoire de Vitamine K et de 1 g d'Exacyl selon l’avis du chef de service du laboratoire d'hémostase du CHU (...)".
Le 18/12/2018, Résection endoscopique de prostate "(...) Urètre antérieur libre. Loge prostatique obstruée par des nodules tumoraux sur les lobes latéraux et sur un lobe antérieur, vessie de lutte avec des diverticules... Résection des lobes latéraux et du lobe médian jusqu'au Veru montanum..Récupération des copeaux pour examen histologique. Hémostase minutieuse. Sonde de Dufour ch 22. Lavages clairs. Durée d'intervention : 30 minutes. Compte des entrées et sorties de compresses égal (...)".
En postopératoire, caillotage important dès le retour du bloc, malgré les lavages multiples et le changement de sonde le 19/12/2018 à 03h10.
A 15h30, décision de décaillotage par endoscopie « (...) Décaillotage vésical par endoscopie puis laparotomie sus-pubienne, suture d'une plaie vésicale sous-péritonéale de 4 cm sur la face latérale gauche, fermeture de la paroi vésicale sur une cystostomie ch 20, exploration ne retrouvant pas de plaie sur la face péritonéale de la vessie. Compte incorrect des textiles avant fermeture (une compresse a été retrouvée dans la salle). On ne retrouve pas de compresse en scopie, puis finalement le compte est correct (...)".
Dès le 21/12/2018 (J1), le patient se plaint de nausées et de vomissements peu abondants.
Le 22/12/2018 (J2), vomissements verdâtres, incessants. Abdomen ballonné. Absence de selles depuis l'hospitalisation.
Le 23/12/2018 (J3), vomissements fécaloïdes. Pose d'une sonde naso-gastrique. Radio d'ASP prescrite par le chirurgien et interprétée comme témoignant d'un syndrome occlusif postopératoire. Méconnaissance d'une image en fosse iliaque droite correspondant à un corps étranger (filament radio-opaque d'une compresse).
Le 24/12/2018 (J4), nouvelle radio d'ASP avec reconnaissance d'un "textilome". Décision de reprise opératoire en urgence "(...) Laparotomie exploratrice. On retrouve une compresse au contact de l'iléon, sans abcès. Lavage péritonéal au sérum physiologique (...)"
Au décours de cette dernière intervention, amélioration progressive de l'état du patient, en dehors de la persistance d'un encombrement bronchique.
Le 28/12/2018, reprise prudente d'une alimentation liquide, mais rapidement suivie de la survenue de vomissements en fin d'après-midi.
Le 29/12/2018 à 01h30, nouvel épisode de vomissement alimentaire de faible abondance. A 05h00, patient retrouvé inanimé dans son lit suite à un nouveau vomissement. Décès confirmé.
Saisine de la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI), en mars 2017 par les proches du patient pour obtenir réparation du préjudice qu'ils avaient subi.
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D'après l'avis des experts, l'un professeur d'université et chef de service, de chirurgie digestive et l'autre, praticien hospitalier en réanimation médicale : "(...) Le patient était décédé d'une probable inhalation au cours d'un vomissement lié à un syndrome occlusif en relation avec la présence d'une compresse dans la cavité péritonéale.
Le chirurgien opérateur avait assuré le suivi régulier du cancer de la prostate du patient pendant 8 ans. Il avait géré de manière conforme les trois rétentions aiguës en relation avec l'évolution locale du cancer.
La prise en charge de la résection endoscopique palliative pour permettre une ablation de la sonde vésicale et assurer une meilleure qualité de vie, était justifiée et conforme aux règles de l'art. La complication survenue, une plaie vésicale, dont le mécanisme n'a pas pu être précisé avec certitude, soit une plaie faite par le résecteur lors de la résection endoscopique le 18/12/2014 ou lors de la reprise le 19/12/2014 avec une fausse route au sein d'un bloc prostatique néoplasique, soit une plaie lors des manœuvres de décaillotage, a imposé une conversion en laparotomie. La plaie vésicale n'est pas une maladresse du chirurgien. Les modifications anatomiques locales créées par le cancer évolué exposaient le patient, de manière significative, à cette complication.
C'est au cours de cette procédure qu'une compresse a été laissée en place alors qu'un défaut de comptage des compresses avait été identifié en fin d'intervention, puis finalement considéré comme "exact". L'oubli d'une compresse est une maladresse du chirurgien. Le comptage des compresses pendant une intervention chirurgicale est une procédure obligatoire associant l'instrumentiste assistant le chirurgien et l'infirmière de salle d'opération dite infirmière circulante, sous la responsabilité du chirurgien. Un premier compte est fait pendant l'intervention par l'instrumentiste au fur et à mesure que lui sont données les compresses : le comptage est fait compresse par compresse, leur nombre annoncé à l'infirmière circulante qui le note. Un compte intermédiaire est fait pendant l'intervention, au fur et à mesure que les compresses sont récupérées par l'infirmière circulante, avant le compte final au moment de la fermeture de l'abdomen. Un dernier compte est fait une fois le dernier point posé sur la peau. C'est à ce stade que l'annonce "le compte est bon" peut être faite et annoncée au chirurgien qui confirme la réception du message. Le compte des compresses doit être consigné par écrit dans le dossier du patient et dans le cahier de salle d'opération. Les compresses doivent comporter un filament radio-opaque qui permet de les voir sur une radio d'abdomen sans préparation ou sur un scanner. La scopie en fin d'intervention peut être utilisée pour voir le filament radio-opaque mais c'est une méthode moins fiable que la radio d'abdomen sans préparation.
En outre, la gestion du syndrome occlusif postopératoire par le chirurgien suscite des réserves. Les premiers signes sont devenus nets vers le 22/12/2014 : il s'agissait d'une évolution anormale de l'intervention du 19/12/2014. Il n'y a pas eu de radio d'abdomen sans préparation ni de scanner pour tenter de comprendre le mécanisme de ce syndrome occlusif. Alors qu'un défaut de comptage était survenu au cours de la procédure chirurgicale du 19/12/2014, il était important parmi les mécanismes de ce syndrome occlusif d'intégrer la présence d'une compresse. Ce n'est que le 23/12/2014 qu'une radio d'abdomen sans préparation a été réalisée et a montré la présence d'un corps étranger en fosse iliaque droite. Ce cliché a été vu par le chirurgien le jour même sans noter cette image anormale. C'est le cliché du 24/12/2014 qui a conduit à la laparotomie. Ces réserves sont constitutives d'un comportement non conforme du chirurgien. Un retard diagnostique estimé au moins à 48 heures est retenu. Compte-tenu des comorbidités importantes du patient, tout retard était susceptible d'avoir un impact défavorable important sur l'évolution (...)"
Concernant la clinique, les experts retenaient, à partir des documents présentés, : "(...) Un dysfonctionnement dans l'organisation du bloc opératoire lors de l'intervention du 19/12/2014 en ce qui concerne le comptage des compresses (...)"
Toutefois, les experts soulignaient : "(...) Compte-tenu de la gravité des comorbidités qu'avait le patient, avec un risque de complications hémorragiques même sans plaie vésicale, la mortalité du fait de cette intervention était estimée à 20 et 30% en prenant en compte le stade évolutif du cancer (...)".
En conclusion, les experts déclaraient : "(...) ne pouvoir retenir un lien causal certain entre les manquements observés et le décès du patient. Le lien causal étant incertain, la perte de chance d'éviter le décès du patient pouvait être estimée à 50%. En prenant en compte le comportement non conforme du chirurgien (présence d'une compresse dans le site opératoire, retard diagnostique du mécanisme du syndrome occlusif) et le dysfonctionnement du bloc opératoire le 19/12/2014 dans le comptage des compresses, 70% de cette perte de chance pouvait être imputée au chirurgien et 30% à la clinique (...)".
Se fondant sur l'avis des experts, la CCI retenait que : "(...) les soins délivrés par le chirurgien et la clinique n'avaient pas été conformes aux règles de l'art. Toutefois, une prise en charge optimale n'aurait pas supprimé le risque de survenue du décès. Il en résultait que la prise en charge non conforme du chirurgien (oubli d'une compresse dans le site opératoire, retard de diagnostic et de prise en charge du syndrome occlusif) et de la clinique (dysfonctionnement dans le comptage des compresses) avait entraîné une perte de chance de survie. Celle-ci pouvait être estimée à 50%, dont 35% imputable au chirurgien et 15% à la clinique (...)".
L'oubli peropératoire de compresse fait partie de ce que les Anglo-Saxons appellent des "never events", ce que l'on peut traduire par : "ce qui ne devrait jamais arriver". La réalité est, en fait, toute autre, comme en témoigne la mise au point parue à ce sujet sur le site de la MACSF2.
L’observation analysée réunit les causes habituelles favorisant une telle complication : intervention pratiquée en urgence, pour une complication hémorragique, chez un obèse2,3. En revanche, il est rare que l'oubli d'une compresse entraîne le décès de l'opéré2. Mais, dans cette observation, l'âge et les comorbidités du patient et le retard mis à ré-intervenir devant le syndrome occlusif ont joué un rôle majeur.
Sur le plan de la responsabilité, contrairement à la jurisprudence antérieure où le chirurgien, en tant que chef d'équipe, était seul mis en cause, cette observation témoigne de la tendance actuelle de faire appel, en outre, à la responsabilité du personnel du bloc opératoire et/ou de la clinique2.
Effectivement la responsabilité est partagée entre le chirurgien et son équipe (clinique)cette dernière doit fournir en plus d'un personnel paramédical compétant des produits (compresses spéciales avec un filament radio opaque pour l'identification rapide du corps etranger à l'aide d'un simple cliché radio.