Diagnostic raté d'une perforation intestinale après coloscopie

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Diagnostic raté d'une perforation intestinale après coloscopie - Cas clinique

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Une femme âgée de 74 ans est adressée par son médecin traitant à un gastroentérologue pour une diarrhée intermittente depuis plusieurs années avec deux épisodes récents d’hémorragie digestive basse de sang rouge...

  • Chirurgien
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • 28 septembre 2006 : une femme âgée de 74 ans (née en 1932) est adressée par son médecin traitant à un gastroentérologue pour une diarrhée intermittente depuis plusieurs années avec deux épisodes récents d’hémorragie digestive basse de sang rouge.  
  • Début octobre : le gastroentérologue confirme l’indication d’une coloscopie, programmée pour le lundi 9 octobre. La patiente ne se souvenait pas avoir reçu d’information sur les risques de l’examen, notamment celui de perforation intestinale (à noter une hystérectomie en 1980 et une cholécystectomie en 1981).  
  • 9 octobre matin : la coloscopie se déroule sans problème. Elle ne révèle pas d’anomalie en dehors de micropolypes rectaux enlevés à la pince froide (11 au total) et bénins en histologie. A noter des hémorroïdes « un peu turgescentes » auxquelles le gastroentérologue attribue vraisemblablement les saignements dans son courrier au médecin traitant.  
  • 9 octobre après midi : la patiente regagne son domicile en début d’après-midi, munie d’une fiche d’information « sur les suites de la coloscopie et les consignes en cas de problème ».  
  • 10 octobre, après le repas du soir, apparaissent de violentes douleurs abdominales, « pliant la malade en deux », accompagnées de vomissements et d’émission de sang rouge par l’anus.  
  • 11 octobre à 08h30, Le médecin traitant est appelé et se déplace à domicile vers 10h. Il dit avoir trouvé la patiente seule chez elle. Elle ne lui aurait donné aucune information sur la notion d’une coloscopie réalisée la veille (prescrite, à sa demande, 15 jours auparavant). En l’examinant sur son lit, il trouve un abdomen ballonné mais « non chirurgical ». Au cours de cet examen, la malade se lève à deux reprises pour aller vomir. En raison d’une épidémie de gastroentérite dans le quartier et « n’ayant pas la notion d’une coloscopie récente », il porte le diagnostic de gastroentérite et rédige une ordonnance d’Imodium® et d’antispasmodiques. Cette version est contestée par la petite fille de la malade (âgée de 19 ans) qui dit avoir été présente lors de la visite du médecin traitant, ce dont témoigne un certificat rédigé par celui-ci pour « justifier son absence de l’école pour cause de parent malade ».Elle affirme avoir informé le médecin traitant de la coloscopie réalisée le 9 octobre et souligne que celui-ci avait examiné sa grand-mère, non pas dans son lit, mais assise sur une chaise.  
  • 11 octobre, à 15h48, la petite fille rappelle le médecin traitant (le médecin prétend avoir rappelé lui pour s’enquérir des nouvelles). Le médecin dit par téléphone que ce n’était pas la peine d’appeler les urgences de la clinique pour une simple gastroentérite.  
  • 11 octobre, à 17h51, devant l’aggravation de l’état de sa grand-mère, elle appelle la permanence des secours de garde (SOS MEDECINS).  
  • Arrivé vers 18h30, le médecin de garde juge le tableau clinique suffisamment alarmant pour décider de faire hospitaliser d’urgence la patiente en mentionnant la notion d’une coloscopie récente, de douleurs abdominales violentes, d’un arrêt du transit intestinal et d’un ventre ballonné très douloureux à l’examen.  
  • A 19h30, lors de son admission à la clinique où avait eu lieu la coloscopie, l’urgentiste le la clinique constate une défense abdominale et prévient le gastroentérologue. Celui-ci, après avoir confirmé l’examen de l’urgentiste, téléphone au chirurgien de garde à son domicile « pour lui faire part d’un doute sur une perforation colique suite à une endoscopie chez une de ses patientes ». Le chirurgien demande au gastroentérologue de faire réaliser des radiographies d’abdomen sans préparation et « de le tenir au courant ».  
  • Les clichés radiographiques n’ayant montré ni pneumopéritoine, ni rétropneumopéritoine, le gastroentérologue ne rappelle pas le chirurgien de garde et décide de « laisser agir l’urgentiste pour améliorer l’état de la patiente et demander un scanner au plus tôt afin de poser l’indication chirurgicale » (à noter que, dans la clinique, il était possible de réaliser un examen tomodensitométrique 24h/24 et 7j/7).  
  • Vers 21h00, après le départ du gastroentérologue, la patiente reste hospitalisée en lit porte (sans être transférée dans le service de réanimation de la clinique). L’urgentiste prescrit de la Morphine injectable : au total, 4 injections sont faites (3mg à 22h10 ; 2mg à 22h25 ; 2mg à 22h40 ; 2mg à 22h55).  
  • A minuit, la PA était notée à 80/46 mmHg (145/70 lors de l’admission). Un flacon de Voluven®500 ml est prescrit par l’urgentiste. La PA remontait à 103/52.
  • A 5h15, PA à 70/46. Nouvelle prescription de Voluven®500ml. La PA ne remonte pas. L’urgentiste décide d’avancer l’horaire de l’examen tomodensitométrie qui est réalisé à 08h00. Il révèle la présence d’air à la charnière recto-sigmoïdienne, dans la racine du mésentère et dans le système porte ainsi qu’un épanchement pleural bilatéral et une opacité sous-hilaire droite. Au décours, la patiente, toujours en état de choc (PA≤ 50mmHg), est intubée et ventilée par l’anesthésiste–réanimateur de garde (appelé pour la première fois), puis transférée en réanimation. A 15 , débutait l’intervention : « (…) Liquide intrapéritonéal louche et abondant (isolement ultérieur de trois germes dont un anaérobie)... Adhérences entre le rectum et la cicatrice d’hystérectomie, libération progressive… Constat d’une perforation, du diamètre d’un petit doigt, sur la face antérieure du rectum intrapéritonéal (au-dessus des polypes enlevés)… Petit abcès péri rectal… Suture de la perforation… Protection par une colostomie iliaque gauche… Drainage (…) »  
  • Les suites seront compliquées d’un accident vasculaire cérébral sylvien gauche attribué à un bas débit circulatoire mais ayant ultérieurement entièrement régressé et d’une neuro myopathie « dite de réanimation » ayant laissé des séquelles à prédominance motrice affectant la partie distale du MI gauche et la partie proximale des deux MS, occasionnant une gêne fonctionnelle marquée (IPP évaluée à 40% par l’expert). Par ailleurs, on note un état dépressif réactionnel aux hospitalisations et interventions qui se sont succédées.  
  • Au total, les différentes hospitalisations en court séjour et en soins de suite ont duré 8 mois dont 6,5 directement liés à la perforation colique. Les autres séjours étaient liés à l’exploration de métastases du hile du poumon droit et du foie mises en évidence fortuitement lors des examens pratiqués au décours de la perforation rectale et ayant amené à découvrir une tumeur carcinoïde de l’intestin grêle.

Saisine de la CRCI le 8 octobre 2007 par la patiente pour obtenir l’indemnisation du préjudice qu’elle avait subi.

Analyse

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Jugement

Expertise (juillet 2008- mai 2009)

 

L’expert, -  chef de service de chirurgie générale et digestive - estimait que l’indication de la coloscopie était justifiée. Mais, il soulignait que la patiente n’avait pas été informée des risques de l’examen. Toutefois, la survenue d’une perforation intestinale percoloscopique n’était pas considérée comme une faute dès lors que les règles de l’examen avaient été respectées, ce qui était le cas.

En revanche, selon l’analyse de l’expert, il existait un ensemble d’arguments pour juger que la conduite du médecin traitant avait été fautive : interrogatoire insuffisant, examen insuffisant, manque de moyens dans la recherche de la cause des symptômes de la patiente.  Il aurait dû proposer une hospitalisation pour bilan.

En ce qui concernait le gastroentérologue, sa conduite avait, également, été fautive car le tableau clinique, le soir de l’admission à la clinique, évoquait, avant tout autre diagnostic, une perforation intestinale. Il aurait dû, en urgence, faire pratiquer un examen tomodensitométrique (qui était réalisable à la clinique le soir même) et faire venir le chirurgien de garde pour qu’il examine  la patiente.

Quant à l’urgentiste, l’expert lui reprochait  ’administration de morphine devant une suspicion d’abdomen chirurgical : « (…) Quand bien même l’intensité de la douleur amènerait à faire une injection de morphine, cela devrait conduire IMMEDIATEMENT à s’interroger sur la cause d’une telle douleur, et non à poursuivre aveuglément un traitement par la morphine, dont la « seule vertu » est de masquer la douleur et de donner un aspect trompeur au tableau clinique (…) » Par ailleurs, il estimait que la conduite de l’urgentiste pendant la nuit avait été passive. Il n’avait pris aucune décision appropriée avant 06h15, au mieux. L’expert rappelait que : « (…)  Même si le gastroentérologue n’avait pris aucune décision active pour la nuit, tout médecin restant responsable de ses actes, les clignotants au rouge auraient dû faire réagir l’urgentiste (…) »

Selon l’avis de l’expert, le gastroentérologue n’ayant pas rappelé le chirurgien de garde pour le tenir au courant du résultat des radiographies d’abdomen sans préparation ou de l’état clinique de la patiente, on ne pouvait reprocher à ce dernier, un attentisme exagéré.

A partir de la prise en charge de la patiente par l’anesthésiste-réanimateur, l’expert déclarait ne pas avoir de remarques à faire et notamment, qu’aucune carence d’organisation ne pouvait être reprochée à la clinique.

 

Avis de la CRCI (juillet 2009)

 

La CRCI retenait l’ensemble des conclusions des experts, en ajoutant que, certes la patiente n’avait pas été informée des risque de la coloscopie,  mais « (…) Devant une suspicion de cancer, il n’est guère plausible que, même parfaitement informée sur les risques possibles et notamment de perforation, la patiente eût pu refuser un geste aussi utile au diagnostic de ses troubles intestinaux, pour la seule considération d’une complication de réalisation aussi exceptionnelle, si l’on en juge par les statistiques de fréquence mentionnées dans le rapport (2/10 000) (…) »

Au final, la CRCI retenait la responsabilité du médecin traitant, du gastroentérologue et de l’urgentiste et décidait qu’il appartiendrait à leurs assureurs respectifs, dans la limite d’un tiers chacun, de faire une offre d’indemnisation à la victime.