Fasciite nécrosante sur cure de phimosis

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Fasciite nécrosante sur cure de phimosis - Cas clinique

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Fasciite nécrosante après chirurgie ambulatoire pour cure d’hypospadias pénien et de phimosis chez un enfant de 20 mois : ou comment ne jamais sous-estimer le risque des interventions mineures en ambulatoire… et bien réfléchir sur le couplage entre hôpital et ville.

  • Chirurgien
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas Clinique

  • Enfant de 20 mois.
  • Le 5 décembre, consultation d’un chirurgien infantile pour demande de circoncision.
  • Découverte d’un méat urétral ectopique constituant un hypospadias pénien antérieur sous prépuce complet. Accord signé des parents pour une chirurgie ambulatoire combinant urétroplastie et circoncision (ultérieurement, ceux-ci contesteront, certificat médical à l’appui, l’existence d’une malformation urétrale et la nécessité de l’urétroplastie).
  • Le 17 décembre, consultation de préanesthésie (absence d’anomalies).
  • Le 23 décembre à 10h, l’intervention se déroulait sous anesthésie générale et bloc pénien à la Xylocaïne-Marcaïne®. L’asepsie était assurée par de la Biseptine® et comportait, notamment, une toilette du gland . Absence d’antibiothérapie prophylactique. Après mise en place d’un fil tracteur dans le gland et d’une sonde urétrale n°6 ,un garrot était placé à la racine de la verge. Le méat était situé sous le sillon balano-préputial 0,5 cm en dessous. Il existait une profonde gouttière urétrale. L’urétroplastie était réalisée selon la technique de DUPLAY sans incident, avec miction sur table lors du réveil de l’enfant « apparemment sans fistule ».
  • L’enfant était transféré en SSPI qu’il quittait à 11h15 pour regagner le secteur d’hospitalisation postopératoire.
  • Après avoir examiné l’enfant, le chirurgien autorisait son retour à domicile à 12 heures 10, soit 2 heures après l’intervention , avec une prescription de Codenfan et ® et d’Advil® et sur le plan local, du tulle gras.  Aucune consigne n’était donnée, semble-t-il, aux parents, ni d’indication sur les complications possibles. Il n’était pas fait de lettre pour le médecin traitant.
  • Le 24 décembre, les parents constataient une « inflammation au niveau des bourses ». Ils téléphonaient à la clinique pour signaler ce fait au chirurgien. Il leur était répondu que ce dernier était absent et on refusait de leur communiquer son numéro de portable. En revanche, il leur était conseillé soit de venir à la clinique consulter le pédiatre de garde, soit de se présenter au service de chirurgie infantile du CHU .Rejetant ces deux possibilités, les parents préféraient appeler leur médecin traitant. En l’absence de ce dernier, son remplaçant leur aurait dit  qu’: « une inflammation était normale après une intervention chirurgicale » et leur aurait conseillé des applications locales de Mupiderm® pommade. Ultérieurement, le médecin remplaçant disait que la mère de l’enfant lui avait téléphoné pour un conseil téléphonique, voulant savoir quelle pommade elle pouvait appliquer à son fils qui avait mal. Il lui avait « donné un nom (Mupiderm®) » mais, à aucun moment, la mère n’avait souhaité lui amener son enfant et « la communication avait duré 30 secondes ». A cette date, il n’était pas fait mention ni de fièvre, ni d’altération de l’état général. La prescription d’Advil® avait été suivie mais pas celle de Codenfan® en raison d’une intolérance de l’enfant à ce produit.
  • Le lendemain, après une nuit où l’enfant s’était beaucoup plaint, apparaissaient des convulsions contemporaines d’une hyperthermie (absence de chiffres dans le dossier). Les parents appelaient le SAMU qui faisait intervenir le médecin de garde. Ce dernier portait le diagnostic d’infection grave (septicémie ?) et décidait de faire immédiatement transférer l’enfant aux urgences pédiatriques du CHU par l’intermédiaire du SMUR, après qu’il ait reçu une injection intra-rectale de Valium®. A l’admission, étaient constatés un volumineux œdème périnéo-scrotal avec lésions ecchymotiques, s’étendant à la paroi abdominale et à la racine des cuisses  ainsi qu’un globe vésical . L’examen scanographique confirmait le globe vésical avec une infiltration sous-cutanée pariétale abdomino-pelvienne antérieure descendant dans le scrotum et les racines des cuisses, sans image de collection mais avec présence d’air intraparietal dans l’aine droite faisant évoquer le diagnostic de « cellulite » en liaison avec un urinome.
  • Prévenu par le chirurgien de garde du CHU , et en accord avec lui, le chirurgien qui avait opéré l’enfant, décidait, à 14 heures, de poser un Cystocath® pour vider la vessie et de pratiquer des incisions de décharge au niveau des bourses et des régions inguinales pour évacuer l’urine.
  • Trois heures plus tard devant la persistance de l’hyperthermie ( 39°5 C), l’aggravation de l’état de l’enfant et l’extension des lésions de nécrose cutanée , l’enfant était transféré dans un CHU disposant d’un caisson hyperbare en raison de la suspicion d’une gangrène gazeuse. Lors de son arrivée, l’enfant était abattu  mais conscient. Il respirait spontanément. La température était à 40°C, la pression artérielle stable à 100/ 50 mmHg et la fréquence cardiaque, à 160/min. L’examen mettait en évidence «  des lésions nécrotiques impressionnantes des bourses, de la verge et des plis inguinaux ». sur une surface d’environ 5 cm².Le compte-rendu de  l’intervention immédiatement entreprise  indiquait : « …Excision de toute la peau du scrotum droit et d’une partie de celle du scrotum gauche, de toute la peau de la verge et des régions inguinales et sous-ombilicale . Il s’avère qu’en profondeur la nécrose est beaucoup plus importante que ce qui était apparu sur la peau et on est obligé d’étendre l’excision jusqu’à l’ombilic et latéralement jusqu’à la région lombaire. En profondeur, cette nécrose va jusqu’aux muscles…Les deux testicules sont sains… » Le  diagnostic retenu était celui de « fasciite nécrosante inguino-scrotale ». Les prélèvements effectués au niveau des plaies retrouvaient un Proteus et un Strepto D. Une antibiothérapie associant Augmentin® et Dalacine® (remplacé au bout de quelques jours par du Claforan®) était prescrite pendant deux semaines.
  • L’enfant était maintenu sous ventilation assistée pendant 15 jours, du fait de la fréquence des pansements sous anesthésie générale. Il regagnait le service de chirurgie le 10 janvier où il restait hospitalisé jusqu'au 13 mars.
  • L’évolution se faisait lentement vers la cicatrisation.
  • En octobre, il était prévu d’autres interventions au printemps suivant pour traiter les cicatrices du flanc droit et la bride pubienne

    Assignation du chirurgien infantile et de la clinique par les parents en réparation du préjudice subi par leur enfant et du médecin remplaçant par le chirurgien infantile.

Analyse et jugement

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

 

JUGEMENT

Expertise

L’expert,professeur des universités, chef de service de chirurgie infantile estimait que l’indication des gestes chirurgicaux réalisés était justifiée car il existait bien une malformation urétrale qui devait être corrigée dans le même temps opératoire que la circoncision .

En revanche, « l’information préopératoire de toutes les complications possibles n’avait  vraisemblablement pas été faite », mais l’expert soulignait que la complication survenue était rare. Il rappelait qu’il n’y avait pas de consensus sur la pratique d’une antibioprophylaxie et que l’asepsie préopératoire avait été réalisée de façon satisfaisante avec un antiseptique habituel. La description de la technique utilisée était conforme aux données acquises et « compte tenu du temps de l’intervention, on pouvait indiquer qu’elle avait été vraisemblablement réalisée avec art et habileté ».

En revanche, l’évolution postopératoire de l’enfant n’était pas conforme à ce que son âge et son état médical antérieur permettaient d’espérer. L’orifice urétral était encore hypospade et pouvait correspondre à l’ancien orifice ou être la conséquence d’une nécrose de l’urètre distal à la suite de l’accident infectieux. Actuellement, la verge était remaniée, recouverte d’une peau greffée, le scrotum droit était détruit et il existait une bride qui, dans l’état actuel devrait gêner l’érection si elle persistait dans le futur. Cette situation était la conséquence d’une fasciite nécrosante sur urinome et infection à Proteus et à Strepto D. L’expert rappelait que la fasciite nécrosante des organes génitaux et du périnée avait été décrite dans la littérature après chirurgie de la verge y compris dans des gestes chirurgicaux bénins comme la circoncision néonatale. Les germes habituellement retrouvés sont les mêmes que ceux mis en évidence chez l’enfant, en soulignant qu’il s’agit de germes souvent rencontrés au niveau du périnée chez l’enfant car leur habitat habituel est l’intestin (Streptocoque D) et l’appareil urinaire et le prépuce (Proteus). Il s’agissait donc d’une infection nosocomiale mais à germes endogènes. Ce risque rare avait probablement été favorisé dans le cas particulier, par la diffusion dans les tissus sous-cutanés d’urine consécutive à une fuite sur l’urétroplastie (urinome). Il évoquait le responsabilité éventuelle de la prescription d’Advil®, anti-inflammatoire non stéroïdien dans la genèse de la complication infectieuse pour l’écarter car de telles complications infectieuses n’avaient été décrites que chez l’enfant atteint de varicelle et jamais après chirurgie de la verge.

En revanche, il estimait que la sortie précoce, moins de 70 minutes après la fin de l’intervention, sans précision sur la qualité des mictions, sans document écrit remis aux parents lui paraissait «imprudente» bien qu’il n’y ait pas de consensus professionnel sur la durée de l’hospitalisation après ce type de chirurgie. L’expert concluait que «  l’état actuel de l’enfant était secondaire à l’intervention chirurgicale pratiquée et à la rapidité de sa sortie, ce qui n’avait pas permis de dépister plus tôt, les difficultés mictionnelles qui avaient abouti à l’urinome, facteur ayant favorisé le développement du processus infectieux et donc de la fasciite nécrosante. Cette complication infectieuse gravissime avait été diagnostiquée avec retard vraisemblablement parce que les parents mal informés n’avaient pas voulu suivre la proposition de consultation qui leur avait été faite, soit à la clinique, soit à l’hôpital. Le remplaçant de leur médecin traitant qu’ils avaient préféré appeler n’avait pas demandé à examiner l’enfant mais il avait la notion orale transmise par les parents d’une intervention pour phimosis et d’absence de signes généraux évoquant une infection grave. Au total une mise en observation post-opératoire plus prolongée avec analyse précise des mictions, un document écrit précisant les éléments du diagnostic et de la correction chirurgicale auraient certainement permis une meilleure prise en charge de la complication infectieuse sur venue. Les préjudices subis par l’enfant étaient très importants  associant un pretium doloris très élevé, un préjudice esthétique majeur et un préjudice fonctionnel probablement  important. L’ensemble de ces préjudices ne pourra être jugé qu’à l’issue des corrections chirurgicales complémentaires et à la fin de la croissance de la verge, donc à la puberté ».

Tribunal de Grande Instance

Se fondant sur le rapport d’expertise, le tribunal confirmait que la responsabilité de la clinique devait être retenue en raison de la notion d’infection nosocomiale et en l’absence de la preuve d’une cause étrangère. Il rappelait que le fait que les germes responsables soient d’origine endogène ne suffisait pas à écarter la notion d’infection nosocomiale. Les magistrats considéraient que les reproches faits par l’expert à l’encontre du chirurgien caractérisaient une grave négligence dans le suivi postopératoire de l’enfant, constitutive d’une faute entraînant la mise en jeu de sa responsabilité civile. Concernant le médecin remplaçant, les juges estimaient que « la médecine ne s’exerçait pas abstraitement, mais en fonction de personnes légèrement, moyennement ou gravement malades, subissant des affections physiques ou mentales que le médecin doit diagnostiquer avant de proposer un traitement adapté; que le geste médical suppose la plupart du temps l’auscultation du patient ; qu’en s’abstenant de voir un enfant de 20 mois alors qu’elle n’avait que peu d’informations à son sujet, il avait commis une négligence professionnelle engageant sa responsabilité civile ». Le tribunal rappelait qu’ : « il devait être aussi observé, très subsidiairement, que les parents de l’enfant auraient peut-être  dû se rendre auprès du pédiatre de garde à la clinique ou aux urgences pédiatriques du CHU même si, néophytes en matière médicale, ils ont cru bien agir en appelant au téléphone le remplaçant de leur médecin traitant ».

Estimant que la perte de chance de l’enfant d’éviter toutes séquelles de l’intervention chirurgicale pouvait être évaluée à 85% de son préjudice global, le tribunal jugeait que les fautes du chirurgien correspondaient à 60% du préjudice global ; que la négligence du médecin remplaçant était la cause de 10% de son préjudice ; que l’existence d’une maladie nosocomiale imputable à la clinique était à l’origine de 15% du préjudice.

Indemnisation provisionnelle de 97 355 € dont 60 355€ pour les organismes sociaux.

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