Oubli d'un champ opératoire.. pas vu malgré de nombreuses opportunités

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Oubli d'un champ opératoire.. pas vu malgré de nombreuses opportunités - Cas clinique

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L’oubli d’un corps étranger dans l’abdomen (en l'occurrence une compresse) constitue une faute par négligence du chirurgien. Dans cette histoire s'ajoute une erreur de compte très probablement du fait du personnel employé par la clinique...

  • Chirurgien
Auteur : Christian SICOT / MAJ : 20/05/2016

Cas clinique

  • Le 15 janvier 2009, une lésion bourgeonnante de l’angle droit du côlon est découverte chez un homme de 68 ans, lors d’une coloscopie programmée dans un contexte de dépistage (dans un contexte de polypectomie endoscopique en 1996). La biopsie est en faveur d’un adénocarcinome lieberkühnien infiltrant.
     
  • Le bilan d’extension ne révèle pas d’autre anomalie. Il comporte, notamment, un scanner abdominal confirmant la tumeur de l’angle hépatique du côlon mais sans adénopathie suspecte. Le chirurgien consulté propose de réaliser une colectomie droite, acceptée par le patient. A noter dans les antécédents chirurgicaux de ce dernier, une appendicectomie dans l’enfance et une vagotomie tronculaire pour ulcère duodénal hémorragique en 1996.
     
  • Le 17 février, intervention en clinique. Réalisée par laparotomie, elle ne montre pas d’extension de l’adénocarcinome colique. Mais il est nécessaire de réaliser une dissection « laborieuse » d’adhérences entre le grand épiploon et tout l’étage sus-méso-colique, suivie d’une hémicolectomie droite avec anastomose iléo-colique. Au cours de l’intervention de trois heures, le chirurgien est aidé par une instrumentiste (qui était sa salariée) et l’établissement met à sa disposition une IBODE. 
    - Comme l’attestent ultérieurement les déclarations du chirurgien ainsi que les signatures de la fiche de salle et de la fiche de traçabilité du matériel, un changement d’IBODE avait eu lieu durant l’intervention. Trente compresses et 15 champs tétras blancs radio-opaques avaient été donnés. Le compte des compresses et des champs récupérés était validé comme « identique » et donc « exact ».
     
  • Les suites opératoires sont relativement simples, avec un léger retard du transit intestinal qui ne s’effectue qu’au 4-5ème jour.
     
  • Un vomissement survient au 6ème jour, motivant la prescription d’une radiographie d’abdomen sans préparation par le chirurgien qui prend connaissance du résultat le même jour et écrit dans le dossier : « Radio ASP normale ».
    - Mais le compte-tenu du radiologue mentionne : « (…) Chaînettes chirurgicales en projection sous-costale et lombaire droite. Opacité en bande en projection de l’aileron sacré gauche. A confronter à la technique chirurgicale. (…) ». Il n’était pas précisé si le compte-rendu du radiologue avait été joint aux clichés ou envoyé ultérieurement. A noter que, lors de l’expertise, le corps étranger était considéré comme très visible sur le cliché, grâce au repère radio-opaque.
     
  • Le 25 février, le patient quitte la clinique pour regagner son domicile, ne se plaignant d’aucun trouble.
     
  • Le 11 mars, il est revu par le chirurgien qui constate l’absence de tout problème. En Réunion de Concertation Pluridisciplinaire, la lésion était classée T2N0 ne nécessitant qu’une simple surveillance.
     
  • Le 4 juin, dans le cadre de la surveillance, le chirurgien revoie le patient toujours asymptomatique. Le bilan biologique était normal ainsi que la radiographie pulmonaire. En revanche, l’échographie abdominale mettait en évidence une tuméfaction liquidienne latéro et sous-ombilicale gauche. Cet examen était complété par un scanner abdominal qui confirmait «(…) la présence dans l’étage sous-méso-colique d’un corps étranger hypodense avec une réaction inflammatoire périphérique à contenu liquidien, l’ensemble évoquant très fortement un champ opératoire (…) ».
     
  • Le 16 juin, le chirurgien réopère le patient par laparotomie. L’intervention consiste, après libération d’adhérences entre l’intestin grêle et la paroi abdominale, en l’ablation (sans difficulté) du corps étranger avec évacuation d’une collection blanchâtre qui l’entoure. Un fragment de la coque entourant le champ oublié est prélevé pour examen anatomo-pathologique (« négatif »).
     
  • Les suites opératoires sont simples et le patient quitte la clinique le 22 juin.
     
  • Il est revu par le chirurgien le 2 juillet. A partir de cette date, il reprend une vie normale et sera régulièrement suivi dans le cadre de la surveillance instituée après l’ablation de son cancer colique.
     
  • A noter que, lors de l’expertise (avril 2011), l’une des IBODE présentes lors de l’intervention initiale, avait quitté l’établissement pour un motif non précisé.

Assignation du chirurgien et de la clinique, en novembre 2010, par le patient pour obtenir l’indemnisation du préjudice qu’il avait subi.

Analyse

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

Jugement

Expertise (avril 2011)

L’expert, chef de service de chirurgie digestive, estimait que, dans cette plainte, deux aspects devaient être discutés.

Le premier concernait l’oubli d’un champ tétra dans l’abdomen du patient : « (…) Le compte des compresses avait été effectué selon les pratiques habituelles. Une IBODE, salariée de la clinique, avait, en début d’intervention compté le nombre de compresses et de champs donnés. Le chirurgien avait déclaré avoir compté le nombre de champs et de compresses par paquet. En fin d’intervention, le compte des champs et des compresses avait été refait par une nouvelle IBODE et validé comme complet sur la feuille de salle. L’oubli du champ provenait, soit d’un compte initial faux avec un paquet ayant un champ en trop (ce qui est relativement exceptionnel), soit d’un compte final erroné (ce qui paraissait le plus probable). Il était à signaler que l’IBODE avait changé en cours d’intervention, ce qui représente un risque connu d’erreur de compte. Une des deux IBODE en cause n’était plus salariée de l’établissement. L’oubli d’un corps étranger dans l’abdomen constitue une faute par négligence du chirurgien. Mais, compte-tenu d’une erreur de compte très probablement du fait du personnel employé par la clinique, la responsabilité fautive peut être partagée avec la clinique (…) »

Le second aspect concernait la méconnaissance de ce champ tétra dans les suites opératoires : « (….) En postopératoire, le patient avait eu un épisode de vomissement, sans rapport avec l’oubli du corps étranger. Le chirurgien avait, alors, demandé un cliché d’abdomen sans préparation pour éliminer une complication chirurgicale. Ce cliché montrait parfaitement le marqueur radio-opaque du champ tétra. Le chirurgien avait méconnu cette anomalie et n’avait pas pris connaissance du compte-rendu du radiologue, qui n’avait probablement été disponible que secondairement. Cette méconnaissance avait été à l’origine d’un retard diagnostique de 4 mois ce qui avait allongé la durée de la convalescence, mais n’avait pas été médicalement préjudiciable puisqu’aucune complication intercurrente n’était survenue (…) » Pour l’expert, la méconnaissance initiale de l’oubli du champ chirurgical pouvait être attribuée pour 50 % au chirurgien et pour 50 % au personnel salarié de la clinique. Mais le chirurgien était, seul, responsable de la méconnaissance secondaire. Au total, l’expert attribuait 80 % de la responsabilité de l’oubli du champ chirurgical au chirurgien et 20 % au personnel salarié de la clinique.

Tribunal de Grande Instance (juin 2014)

Les magistrats rappelaient que : (…) L’oubli de compresse dans le champ opératoire constitue par définition une négligence et une faute d’inattention… Le chirurgien doit, à supposer qu’il ait laissé à un tiers le soin de compter les compresses, répondre des fautes des personnes qu’il se substitue, en dehors du consentement de son patient, pour l’accomplissement d’une partie inséparable de son obligation. Dans ces conditions, la responsabilité du chirurgien doit être retenue puisque le soin de faire le compte des compresses utilisées, lui incombait, même s’il a été effectué par le personnel de la clinique qui se trouvait sous son autorité au moment de l’intervention, dans un lien de subordination particulière. En effet, et contrairement à ce qu’il soutenait, le décompte des compresses ne relève pas de la compétence de l’infirmière. En outre, le retard de diagnostic de l’oubli de la compresse était, totalement imputable, au seul chirurgien qui n’avait pas pris le soin de consulter le cliché réalisé le 23 février 2009 et le compte-rendu du radiologue qui faisait apparaître le champ oublié dans l’abdomen du patient (…) » Concernant la responsabilité de la clinique, les magistrats estimaient que : « (…) La responsabilité du personnel soignant, et donc de la clinique, ne pouvait être retenue en raison de la faute commise lors du décompte des compresses au moment de l’intervention, puisque cette responsabilité incombait, in fine, au chirurgien. Cependant, le changement d’infirmière en cours d’intervention était de nature à augmenter le risque d’erreur de compte. L’emploi du temps et les horaires des infirmières relèvent de la seule autorité de l’établissement de soins ce qui a conduit à donner au chirurgien un renseignement erroné (…) »

Le tribunal décidait d’attribuer 80 % de la responsabilité de l’accident survenu au chirurgien et 20 % à la clinique. Indemnisation de 14 370 € dont 2 000 € pour les organismes sociaux.