Suites fatales d'une PTH réussie : une rétention urinaire compliquée

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Suites fatales d'une PTH réussie : une rétention urinaire compliquée - Cas clinique

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Un épisode de rétention urinaire "banal" après une prothèse de hanche chez un patient âgé et alité, qui tourne mal (infection urinaire et septicémie).

  • Chirurgien
Auteur : Catherine LETOUZEY / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Début février : patient de 80 ans hospitalisé pour une arthroplastie de hanche. Malgré son handicap fonctionnel, il est autonome. - Ses antécédents sont les suivants : infarctus du myocarde 20 ans auparavant, hypertension artérielle, diabète non insulinodépendant, coliques néphrétiques. - Il est traité pour son diabète par une association de Glucophage 850 ®(3 comprimés par jour) et de Novoform 1 mg®(1 comprimé par jour) et pour son hypertension par Loxen®, Témerit® et Bipreterax. Il prend également du Kardégic®.  
  • Un mois avant l’intervention, lors de la consultation pré anesthésique, l’anesthésiste indique qu’un examen cytobactériologique des urines est stérile.  
  • Un bilan cardiologique mentionne un petit rétrécissement aortique non menaçant avec une excellente fonction ventriculaire gauche.  
  • L‘intervention se déroule sans difficulté. Quatre jours après celle-ci, malgré un traitement par Xatral institué dès l’intervention, il présente un épisode de rétention urinaire qui nécessite la pose d’une sonde évacuant 1,5 l d’urines.  
  • L’urologue consulté détaille la situation clinique : « …patient présentant depuis plusieurs années des troubles urinaires du bas appareil de nature obstructive avec une pollakiurie nocturne à 2-3 levers par nuit, un jet faible avec malgré tout une bonne sensation de vidange vésicale. Au toucher rectal, la prostate, d’environ 40 à 50 gr, est souple, non suspecte, indolore. Cette rétention a donc vraisemblablement une origine mixte : d’une part un obstacle prostatique et d’autre part une analgésie post opératoire par morphiniques ». Ce patient ne prenait antérieurement aucun traitement prostatique spécifique. Le principe d’un retour à domicile avec une sonde à demeure est retenu et le traitement par Xatral® maintenu. Il sort, à J 9, le 15 février.  
  • Huit jours plus tard, il est hospitalisé en urologie pout tentative de sevrage de la sonde, tentative qui se solde par un échec.  
  • Une nouvelle tentative aura lieu un mois plus tard, fin mars, sans plus de succès.  
  • Avant l’intervention de résection endoscopique de la prostate programmée mi-juin, le patient bénéficie d’un examen sanguin n’objectivant pas de signe infectieux biologique. (GB à 10 900/mm3 dont 76% de PNN). Du fait d’une bronchite, l’intervention doit être annulée et le rendez-vous est pris pour le 29 août. La bronchite a nécessité un traitement antibiotique (amoxicilline pendant 6 jours, 3 grammes par jour).  
  • Une semaine avant l’intervention, l’urologue fait pratiquer un ECBU. Cet examen objective une leucocyturie significative (82 000) et la présence d’une flore polymicrobienne peu abondante, non précisée dans sa nature : « infection possible ou contamination ? ». Le résultat de cet examen sera considéré comme normal par l’urologue.  
  • L’intervention se déroule sans difficulté particulière et confirme qu’il s’agit d’un adénome.  
  • La persistance d’un saignement avec caillotage vésical justifie la prolongation du sondage et des lavages vésicaux.  
  • Le 1° septembre (J 3) et 3 septembre (J 5), le patient est apyrétique mais les examens sanguins montrent une élévation significative des globules blancs, respectivement à 16 930/mm3 (dont 85% de PNN) et 15 980/mm3 (dont 77% de PNN).  
  • Le 4 septembre, la sonde est retirée, jour de sa sortie.  
  • Aucune prescription ne sera faite ni celle d’un contrôle particulier (ECBU…) et aucune lettre de sortie n’est rédigée pour le médecin traitant.  
  • Un rendez-vous de contrôle est donné –comme habituellement- pour trois mois plus tard.  
  • Les 7, 11 et 25 septembre puis le 2 octobre, il est revu par son médecin traitant. Il présente une altération de l’état général, une instabilité tensionnelle, des chutes à répétition.  
  • Le médecin a rédigé des comptes rendus détaillés de ses visites, faisant état de l’absence de conséquence des chutes, d’une tension parfois basse (110/70 mm Hg), d’un syndrome dépressif motivant l’instauration d’un traitement par Fluoxétine ® à la deuxième visite, et d’un état « algique » (prescription de Durogésic®). Le médecin fait état du fait que « l’incontinence est mal supportée » mais lors de la dernière visite, il allait mieux, ce que confirme son fils même s’il se plaignait « du ventre ». Il était apyétique.  
  • Le 15 octobre, la situation s’aggrave brutalement et il est pris en charge par le SMUR à la suite d’une syncope avec chute et un état de choc. A son arrivée à l’hopital, l’état de choc septique est évident avec une insuffisance rénale sévère.  
  • Le diagnostic de septicémie à Serratia marcescens d’origine urinaire est porté, le germe étant retrouvé dans tous les prélèvements sanguins et urinaires.  
  • Le scanner abdomino-pelvien montre des reins de taille conservée mais avec des cavités pyélocalicielles trop bien visibles, une inflammation péri-rénale modérée, sans obstacle nettement identifiable et un épanchement pleural bilatéral.  
  • Il décède 3 jours plus tard dans un tableau de défaillance multi viscérale.  
  • La famille demande des explications au centre hospitalier et au médecin traitant et initie une conciliation devant une Commission d’Indemnisation et de Conciliation (CCI).

Analyse

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Jugement

EXPERTISE (2010, 2011)

 

Les experts, chirurgien et médecin légiste, confirment que le décès est la conséquence de la septicémie d’origine urinaire, infection favorisée par les six mois de sondages après l’épisode initial de rétention.

Ils font remarquer que le Serratia est fréquemment isolé en milieu hospitalier en raison de sa multi résistance aux antibiotiques … ce qui n’était pas vraiment le cas d’espèce, le germe étant sensible en particulier aux Céphalosporines de 3ème génération, aux aminosides et aux quinolones.

 Le germe, connu  comme « pathogène opportuniste », est un agent de nombreuses infections nosocomiales principalement respiratoires ou urinaires. Le Serratia n’est pas entéropathogène mais il peut coloniser le tube digestif. En milieu hospitalier, la transmission peut se faire par manu portage.

Ils rappellent que :

  • le patient a été porteur d’une sonde pendant plus de six mois avant l’acte opératoire.
  • l’ECBU pratiqué avant l’intervention n’était pas démonstratif mais la nature des germes, apparemment en nombre limité, n’a pas été précisée. On considère, qu’en cas de flore poly microbienne en faible quantité, sans réaction leucocyturique majeure, ni symptômes généraux, il s’agit en général soit d’une souillure du prélèvement, soit chez un porteur de sonde d’une simple colonisation et non pas d’une infection patente.
  • après la sortie, aucun contrôle secondaire de la stérilité des urines n’a été prescrit, ce qui est une habitude du service selon les déclarations de l’urologue.
  • le diabète est un facteur théorique de vulnérabilité et c’était une raison particulière de prendre toutes les précautions élémentaires de prévention et de surveillance rigoureuse de possibles complications infectieuses.
  • une fois confirmé l’état infectieux a été traité conformément aux règles de l’art…malheureusement trop tardivement.

Un épisode de rétention urinaire après une prothèse de hanche est fréquent, chez un patient âgé, alité, présentant de surcroit des problèmes prostatiques anciens et traité par des antalgiques.

La pose d’une sonde urinaire s’imposait, ce qui a été fait selon les normes. Après quelques jours, il est habituel de tenter son ablation. En cas d’échec, si la situation le permet, généralement un geste chirurgical sur la prostate est envisagé.

Le patient venait de subir un geste chirurgical important, la résection endoscopique de prostate nécessitant par ailleurs une position particulière sur la table d’opération susceptible de luxer la prothèse de hanche, il n’était pas anormal dans ce cas d’espèce de maintenir la sonde à demeure.

Lorsque la nouvelle tentative d’ablation de la sonde s’est révélée être un échec, l’intervention s’imposait. Or une date d’intervention n’a été fixée initialement que trois mois et demi plus tard…pour des raisons d’emploi du temps et de disponibilité selon l’urologue. Ce long délai imposait pour le patient le maintien d’une sonde à demeure avec tous ses inconvénients. Un incident intercurrent retardera de deux mois supplémentaires l’intervention…. là aussi en attendant le retour de vacances de l’opérateur.

Les experts concluent :

  • qu’il est évident que les délais successifs imposés pour de simples raisons d’organisation du service, alors que l’acte opératoire s’effectue habituellement en moins d’une heure, sont anormaux.
  • que le port prolongé d’une sonde vésicale, sans clampage intermittent pour éviter un collapsus vésical permanent et donc des problèmes de rétraction de l’organe, ne peut avoir que des conséquences délétères obérant le résultat final après réalisation d’un geste endoscopique.
  • que les risques infectieux, du fait de ce corps étranger, en contact permanent avec l’extérieur, sont importants à défaut d’être inéluctables. Aucune surveillance de principe de la stérilité des urines n’a été effectuée avant l’examen précédant l’intervention de fin aout.
  • que le délai excessif de la réalisation de l’acte chirurgical qui s’imposait dès l’échec de la deuxième tentative de sevrage de la sonde, pour semble-t-il de simples raisons de planning, ne représente pas un respect des règles de l’art.

Il est important de noter qu’il a été instauré une antibioprophylaxie avant l’intervention, comme recommandé.

Le saignement et la poursuite de l’irrigation est un problème banal.

  • que la sortie a été autorisée, en l’absence du chirurgien, par un praticien de son service sans aucune consigne ni prescription ni courrier et sans preuve s’un rendez-vous de contrôle. Le contrôle de la stérilité des urines paraissait pourtant une précaution bien banale dans le cas précis de ce patient diabétique qui a porté pendant plus de six mois une sonde urinaire.

 

Cette absence de consigne à la sortie chez un patient dont l’histoire n’était pas vraiment banale ne représente pas un respect des règles de l’art.

Le Centre hospitalier n’a pas agi selon les règles de l’art : report prolongé d’un acte banal sinon routinier pour un service spécialisé, absence de consignes et de prescriptions à la sortie.

Concernant le généraliste, attrait dans la cause secondairement mais absent pour des raisons de santé, ils remarquent que ce médecin insiste sur l’absence de signes urinaires alors qu’existait une incontinence, pas habituelle après une RTUP, même si dans le cas d’espèce on peut retenir comme élément causal le sondage prolongé sans rééducation vésicale avec perte du contrôle sphinctérien, chez un patient par ailleurs âgé.

Le médecin indique, dans un courrier, « n’avoir pas fait d’analyses d’urines puisqu’il était géré au niveau du centre hospitalier et qu’il n’avait pas d’orientation clinique supplémentaire indiquant un ECBU dans ce contexte de sonde à demeure. Après la résection prostatique, dans un contexte d’incontinence post chirurgicale, et sans consignes spéciales des urologues, les recommandations ne proposent pas la prescription de contrôles urinaires à domicile, en dehors de signes cliniques évocateurs (ce qui a toujours été le cas) ». Il confirme avoir été en possession d’un compte rendu opératoire rassurant.

Les experts font remarquer que (comme le dit son fils), il existait des douleurs abdominales suffisamment intenses pour justifier des antalgiques y compris morphiniques (Durogésic®). En l’absence de toute investigation, on ne peut éliminer, malgré le geste endoscopique, la récidive de problèmes rétentionnels avec mictions par regorgement pouvant à la fois expliquer les sensations douloureuses et les fuites urinaires.

En tout cas, une possible responsabilité  de l’appareil urinaire n’a pas été évoquée. Des investigations simples…auraient surement permis de détecter l’infection urinaire (qui existait sur un mode quiescent à la sortie du centre hospitalier).

La prise en charge a été « symptomatique » s’intéressant aux problèmes généraux ou à la prise en charge palliative de l’incontinence urinaire (protections).

La détection d’une infection urinaire aurait permis de traiter cette infection relativement simplement, évitant sa diffusion sur un mode septicémique.

Après discussions, les experts concluent à une infection nosocomiale.

 

Avis de la Commission de CCI (2012) :

 

Après un résumé détaillé des faits et de l’expertise, la Commission conclut : « on se trouve devant un accident médical fautif et d’une infection iatrogène fautive ayant entrainé le décès.

C’est à l’assureur du Centre Hospitalier, dans la proportion de 60% et à l’assureur du médecin généraliste, dans la proportion de 20%, qu’il appartiendra de faire une offre d’indemnisation, étant rappelé que 20% du dommage sont imputés à l’état de santé précaire du patient ». 

 

 

Commentaires

Patient âgé et plus à risque que ne le laisserait croire une autonomie conservée à 80 ans.
Complication banale d’une PTH dont le chirurgien a tenu compte en faisant appel à son confrère urologue, tout en étant certainement rassurant compte tenu du résultat positif de son geste opératoire.

Période « d’été » donc parfois plus difficile compte tenu des disponibilités de chacun : en l’occurrence, il y avait un sous-effectif dans le service d’urologie : ils n’étaient que deux chirurgiens en permanence, maintenant ils sont trois.

Période postopératoire et ses suites immédiates bien gérées, compte tenu du contexte, mais le report d’intervention du fait de l’état de santé du patient, ajoute un délai supplémentaire préjudiciable.

L’absence d’ECBU postopératoire, alors que la sonde avait été maintenue, a joué un rôle dans les suites.
Il est certain qu’il n’est pas facile pour un MG d’intervenir à domicile chez un patient opéré à deux reprises à 6 mois d’intervalle. Mais chez le sujet âgé, une perte d’autonomie inhabituelle peut avoir d’autres causes que les suites opératoires. Quel a été l’examen clinique ? Le problème de l’incontinence a été négligé, noyé dans le tableau de suites opératoires difficiles.

Références Bibliographiques :

Forum comité d’infectiologie de l’association Française d’Urologie (’AFU 2007 et 2008).
Recommandations de bonnes pratiques cliniques (CIAFU) 2008.
Recommandations de prise en charge des Infections urinaires, progrès en urologie (2008), 18 supplément 1, 54-58.