Un médecin généraliste reçoit début juillet en consultation cette patiente âgée de 45 ans pour asthénie et essoufflement. C’est la première fois qu’elle consulte et son domicile est éloigné géographiquement du cabinet.
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EXPERTISE
Lors de l’expertise dans le cadre d’une mission CCI, la patiente affirmera que le neurologue lui aurait dit « de voir son généraliste pour ses crampes » : celles-ci survenaient même au repos et faisaient « comme un noeud et l’obligeaient à se déchausser et à se masser la jambe ». Elles n’évoquent pas une claudication intermittente typique. Il est difficile de dater l’évolution de cette maladie. Le cardiologue lui aurait dit « qu’elle était à peu près correcte mais qu’il fallait surveiller « le doppler » une fois par an, ce que son généraliste n’a pas fait ». Il n’y a aucune preuve qu’un doppler autre que cervical ait été pratiqué (y compris à la demande du cardiologue). A cette époque, elle déclare que son pied était chaud, contrairement aux faits récents où dès la première visite, il était, selon elle glacé. « Lors de la première visite, je lui ai dit, mais il n’a pas voulu me toucher le pied. Sur le dessus du pied, j’avais comme l’os qui me coinçait la veine et quand je marchais j’arrivais à mieux faire circuler mon sang ». Il n’y aurait pas eu de nouvel examen clinique lors de la deuxième consultation. Lorsque la remplaçante est venue « elle m’a parlé d’artérite et m’a dit de me dépêcher sinon on allait me couper ma jambe. Je me suis dit qu’elle était complétement folle, elle ne me connaissait pas et si j’avais eu quelque chose comme ça, mon médecin s’en serait aperçu ».
Les experts, cardiologue et spécialiste de médecine vasculaire, considèrent qu’il existe un retard diagnostique de cette artériopathie du membre inférieur gauche évoluant sur un mode subaigu ayant diminué les chances de la patiente d’avoir une guérison ou une stabilisation des lésions avec le moins de séquelles possibles. Une ischémie sub aiguë devait être suspectée lors de la première visite du 31 juillet et la consultation ultérieure n’a pas corrigé le diagnostic; celui-ci a été corrigé trois semaines plus tard mais le doppler artériel ne sera fait qu’une semaine après. Il existe incontestablement un retard à la prise en charge de la pathologie.
La patiente avait plusieurs facteurs de risques responsables et aggravants d’une artériopathie : le diabète semblait « à peu près équilibré », (Note : les résultats de la glycémie à jeûn bi annuelle sont en permanence pathologiques depuis 2006 avec des chiffres à jeûn oscillants entre 7,50 mmol/l et 9,8 mmol/l mais l’hémoglobine A1C inférieure à 7% en 2008/2009) ; il ne semble pas exister d’anomalie lipidique, la tension artérielle semblait bien contrôlée (chiffres ?), il existait une surcharge pondérale et une intoxication tabagique importante.
L’état artériel de la patiente, avant les faits, n’est pas connu car elle n’a jamais eu de doppler des membres inférieurs dans le cadre de la surveillance de son diabète associé à un tabagisme notable. Le doppler met en évidence d’emblée des lésions distales peu accessibles à une chirurgie satisfaisante mais antérieurement une chirurgie efficace aurait-elle été possible ?
Une perte de chance de 30 % semble être retenue par l’expert.
JUGEMENT (2010)
Une procédure ordinale est rejetée en l’absence de problème déontologique dans cette affaire.
La commission CRCI considère que les facteurs de risques ne pouvaient être ignorés du médecin traitant qui la voyait environ tous les trois mois. Il semble avoir penché pour une explication d’ordre rhumatologique; cependant l’existence des antécédents, la considération du risque vasculaire qu’ils induisaient auraient dû le conduire à faire pratiquer une exploration dans ce sens. « Pour l’expert, la première visite du 31 juillet est fortement suspecte d’un problème d’ischémie sub aiguë » ; la persistance des douleurs, à plus forte raison aurait dû inciter à envisager une autre explication d’autant qu’il n’y avait jamais eu de doppler dans l’histoire médicale de cette patiente.
Quant à l’ampleur de la perte de chance induite par ce retard diagnostique, l’expert se montre « nuancé et prudent », «voire peu cohérent » ce qui traduit une difficulté manifeste à être affirmatif à cet égard (évoquant alternativement 30%, 40% puis 60%). Il apparaît certain que cette affection était manifestement plus ancienne, ayant évolué de façon chronique mais discrète jusqu’aux circonstances précitées. La part imputable à l’état antérieur est donc importante.
Les lésions distales étaient peu accessibles à une chirurgie satisfaisante, ce qui réduisait les chances d’éviter l’évolution défavorable ; pour autant cette dernière ne peut être tenue pour avoir été fatale et inévitable. Il ne peut être exclu que lors des dernières consultations, une évolution finale plus favorable eût encore été possible si la victime avait bénéficié d’une prise en charge adéquate plus tôt, car avec ce type d’affection, tout temps gagné ne pouvait qu’accroitre les chances d’enrayer l’évolution la plus défavorable, si minimes soient-elles.
A côté du retard de diagnostic imputable au médecin traitant, il s’écoule également du temps supplémentaire pour la réalisation du doppler et pour la prise en charge chirurgicale. Si ces délais ne peuvent être tenus pour fautifs, ils ont pu jouer un rôle également un rôle dans cette diminution de chance pour la victime. Si une évaluation fine en est impossible, c’est une donnée qui ne peut être ignorée dans l’appréciation globale.
Finalement, la CCI estime que la part du dommage imputable au généraliste est de 30 % (indemnisation du préjudice avec une heure par jour de tierce personne et un préjudice économique par ricochet vis-à-vis de l’époux).
Certes ce cas est assez ancien mais, tous les ans, quelques dossiers ont pour origine un retard diagnostique de pathologies digestives, devant une anémie hypochrome microcytaire, du fait de diagnostics « écrans » ou d’une analyse erronée des résultats de la numération formule sanguine.
Citons un autre exemple :
Patient de 70 ans, hémocult négatif deux ans auparavant, prescription d’un nouveau test par le généraliste qui ne sera pas fait. Découverte d’une anémie microcytaire à 5,4 g/100 ml d’hémoglobine, par un pneumologue (dyspnée), hospitalisation. Transfusions et fibroscopie haute mettant en évidence un ulcère duodénal creusant et une gastrite non hémorragique et érosive (sous Kardégic), coloscopie « évoquée ». Plusieurs consultations rapprochées dans les semaines suivantes aux urgences pour en fait un syndrome sub occlusif (avec des ASP a posteriori évocateurs du diagnostic évident d’occlusion du grêle) avant la découverte (après un scanner dont les résultats ont été tardivement transmis) d’une tumeur colique sténosante révélée par des vomissements fécaloïdes, un mois après la fibroscopie. Intervention en occlusion majeure. Décès postopératoire multifactoriel. Responsabilité retenue du centre hospitalier (CCI 2010) au titre d’une perte de chance de survie de 23,5%.
D’autres dossiers ne concernent qu’un retard diagnostique très bref, de quelques mois, le temps de prendre en compte la situation, de demander des examens biologiques (pas toujours ciblés) avant d’adresser les patients au spécialiste. S’ils peuvent susciter une réclamation/plainte, il est vrai que le temps court entre le diagnostic et le début de la prise en charge n’est souvent, en cas de condamnation, en lien qu’avec des préjudices minimes.
On rencontre assez souvent chez la femme jeune européenne, en période d’activité génitale, des hyposidérémies avec anémie microcytaire où les composantes hémorragiques (règles régulières ou discrètement abondantes) et carentielles s’additionnent. L’interrogatoire fait apparaître chez ces malades des erreurs diététiques : pas ou peu de viande (le fer héminique animal est le mieux absorbé parmi toutes les sources en fer), peu de pain et autres céréales, excès de produits affinés et cuits, excès de thé (puissant chélateur du fer alimentaire).