Femme de 78 ans, traitée au long cours, d'une part pour une HTA et, d'autre part pour une insuffisance thyroïdienne. Se sentant "légèrement fatiguée et subfébrile", elle consulte, comme elle en avait l'habitude les autres années, le médecin de famille de son fils.
Plainte pénale avec constitution de partie civile contre X pour homicide involontaire déposée par le mari et le fils de la patiente (avril 2003)
Ordonnance de non-lieu rendue le 30 juin 2003 par le juge d'instruction sur réquisitions conformes du Parquet
Confirmation de l'ordonnance de non-lieu le 25 novembre 2009 par la chambre de l'instruction de la Cour d'appel
Assignation du médecin de famille le 17 janvier 2012 devant le tribunal de grande instance par le fils de la patiente
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- Pour les experts, l'un professeur des universités, chef de service d'anesthésie-réanimation et l'autre, médecin légiste : «(...) Le décès de la patiente était la conséquence d'une désynchronisation de la conduction intra-cardiaque ayant entraîné un trouble du rythme ventriculaire responsable d'un arrêt cardiaque. Ce dernier avait entraîné une anoxie cérébrale ayant conduit à la mort de la patiente Ce trouble du rythme cardiaque était dû à une hypokaliémie majeure à 1,1 mmol/l qui s'était installée progressivement se manifestant à partir de la fin-juillet par une impotence fonctionnelle de plus en plus marquée.
- L'hypokaliémie est généralement la conséquence soit d'une perte potassique, le plus souvent rénale, sous l'effet de médicaments diurétiques ( notamment thiazidiques) et/ou d'une alcalose métabolique, mais également d'une perte digestive en cas de diarrhée; La patiente recevait de l'Aldalix®, association de furosémide (thiazidique) et de Spirolactone . L'indication de ce traitement chez la patiente n'apparaît pas clairement car son AMM ne concerne que le traitement de l'insuffisance cardiaque congestive, et non celui de l'HTA. Lorsque l'Aldalix® est administré à des malades ne souffrant pas d'insuffisance cardiaque congestive, une hypokaliémie est à craindre, les effets du furosémide favorisant l'élimination de sodium supplantant ceux de la Spironolactone diurétique retenant le potassium.
- Si un ionogramme sanguin avait été demandé dés juillet 2001, le diagnostic d'hypokaliémie aurait été posé et un apport de potassium aurait permis de la corriger. A noter qu'une hypokaliémie à 3 mmol/l avait été retrouvée en mars 2001, 2 mois avant que la patiente quitte son domicile (information ignorée du médecin de famille ?). L'absence de dosage de la kaliémie a entraîné une perte de chance d'éviter le trouble du rythme ventriculaire responsable du décès de la patiente. L'administration de Solumédrol®, évidemment injustifiée, a pu aggraver une hypokaliémie, vraisemblablement déjà majeure (...)"
- La plainte du fils de la patiente ayant été déposée devant la justice civile, les questions posées par les magistrats aux experts ne concernaient que le comportement du médecin de famille, les faits s'étant déroulés à l'hôpital public relevant du tribunal administratif. Toutefois, en réponse à un dire adressé par le médecin assistant le médecin de famille lors de l'expertise, les experts convenaient que : " (...) Malgré la symptomatologie évocatrice de la patiente à son admission aux urgences de l'hôpital, un ionogramme sanguin n'avait été prélevé que 2 heures plus tard ( 17 h 07). Surtout, son résultat (hypokaliémie à 1.1 mmol/l) n'avait été pris en compte qu'à 20 h 30. Il y avait, donc, eu un retard diagnostique et thérapeutique; En outre, la recharge potassique devant une kaliémie aussi basse devait se faire en unité de soins intensifs, sous surveillance electocardioscopique (...)" (Voir Commentaires en fin d'observation)
Tribunal de Grande Instance (mai 2015)
Concernant la responsabilité du médecin de famille dans le décès de la patiente, les magistrats estimaient : "(...)
- que le médecin n'est pas débiteur d'une obligation de résultat, mais d'une obligation de moyens, celle de donner des soins conformes aux données actuelles de la science,...
- qu'il est de jurisprudence constante que l'erreur de diagnostic n'est pas nécessairement fautive,...
- que ne commet pas de faute, le médecin qui ne peut poser le diagnostic exact lorsque les symptômes rendent ce diagnostic particulièrement difficile à établir,...
- qu'en l'espèce, les experts ont retenu que la pathologie d'hypokaliémie majeure de la patiente était une pathologie rarissime,
- qu'il n'est pas établi par les éléments du dossier, que le médecin ait été rendu destinataire du seul ionogramme réalisé en mars 2001, montrant une hypokaliémie modérée non prise en charge par le médecin traitant de la patiente, de sorte qu'aucun élément en sa possession ne permettait de suspecter une fuite de potassium
- que par ailleurs, l'expertise met en évidence une prise en charge défaillante de la patiente à l'hôpital
- Qu'il résulte de tout ce qui précède, que le médecin n'a pas commis de faute dans la prise en charge de la patiente en ne posant pas le diagnostic exact, dès lors que la patiente ne présentait pas l'ensemble des symptômes d'une pathologie rare, en l'espèce, une hypokaliémie majeure
En conclusion, le tribunal jugeait que "l'erreur de diagnostic du médecin était non fautive" et déboutait le plaignant (fils de la victime) de l'ensemble de ses demandes en le condamnant à verser au médecin la somme de 1500€ au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile.
Cour d'appel (mars 2017)
La Cour d'appel réformait le jugement des premiers juges, en réfutant, un par un, les arguments sur lesquels ils s'étaient appuyés pour ne pas retenir la faute du médecin de famille. Selon la Cour, "(...) Le dommage subi par la patiente était en lien de causalité direct et certain avec le manquement du médecin de famille qui, en ne prescrivant pas un dosage du taux de potassium, lui avait fait perdre une chance d'éviter le trouble du rythme cardiaque qui avait conduit à son décès. Les experts avaient, en effet, mis en évidence qu'un dosage de la kaliémie pendant les premiers jours du mois d'août, suivi d'un traitement de l'hypokaliémie par une recharge potassique adaptée, aurait diminué le risque vital auquel la patiente était exposée. Ils ont estimé la perte de chance à 50% le 7 août et 30 % le 10 août. Les conditions de la prise en charge ultérieure à l'hôpital public sont indifférentes pour apprécier la participation du médecin de famille au dommage qui s'est réalisé.
La réparation du préjudice d'affection causé au plaignant par décès de sa mère sera justement évaluée à 15 000 €, soit 7 500 € après application du taux de perte de chance de 50% (...)"
Condamnation du médecin de famille à verser au fils de la victime, la somme de 7 500 €, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel et à verser au fils de la victime la somme de 3000€ en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
1) Les informations fournies dans l'expertise, -- mais non commentées par les experts --, laissent à penser que la recharge potassique chez la patiente a été effectuée par l'administration d'une solution non diluée de ClK, soit 6 ampoules de 10 ml contenant chacune 1 g de KCl soit 13,4 mmol de K, autrement dit une solution à 1340 mmol/l de K.
Or, d'après les recommandations en cours (1,2,3), l'administration de KCl par voie veineuse ne doit se faire qu'avec des solutions diluées de KCl dont la concentration en K ne doit pas dépasser 53,6 mmol/l, soit 4 g de KCl par litre. L'arrêt cardiaque survenu chez la patiente dès le début de la perfusion est vraisemblablement la conséquence du non-respect de cette recommandation.
2) Il faut rappeler que les accidents liés à l'injection d'ampoules de KCl non diluées, en règle mortels, ont fait l'objet de multiples programmes de prévention. En mai 2007, l'OMS proposait, dans le cadre des Dossiers Sécurité du médicament à l'hôpital, une série d'actions pour lutter contre les erreurs lors de l'administration du chlorure de potassium injectable (1). En février 2012, la DGOS publiait une Circulaire listant une série de 12 événements "qui ne devraient jamais arriver" (never events) dans le cadre de la prise en charge médicamenteuse au sein des établissements de santé. Les erreurs lors de l'administration du KCl injectable occupaient la deuxième place de cette liste (2). Plus récemment, en mai 2017, dans sa rubrique Points d'information, l'ANSM a rappelé les règles de bon usage dans l'utilisation du KCl par voie IV pour les médecins, personnels soignants et pharmaciens (3) (voir Annexe)
3) Selon ces recommandations, en cas d'hypokaliémie majeure (inférieure à 2,5 mmol/l), l'apport potassique doit se faire :
- par voie veineuse
- en diluant les ampoules de KCl dans une solution de NaCl à 0;9 % ou de sérum glucosé à 5 %
- la concentration en potassium de la solution perfusée doit être comprise entre 13,4 et 53,6 mmol par litre soit 1 à 4 g de KCl par litre, (1 g de KCl = 13,4 mmol de K+).
- le débit de cette perfusion doit être contrôlée par une pompe volumétrique. Il ne doit pas dépasser 1 g de KCl par heure
- la perfusion doit se faire sous surveillance électro-cardioscopique continue avec le matériel disponible pour faire face à un arrêt cardio-circulatoire. Chaque fois que possible, cette recharge potassique doit être réalisée en service de réanimation
- la kaliémie doit être régulièrement surveillée
- la magnésémie doit être dosée et un apport de magnésium est habituellement nécessaire en cas d'hypokaliémie sévère (4)
(1) Contrôler la Concentration des Solutions d'Electrolytes. Solutions pour la Sécurité des Patients. Site OMS Mai 2007, volume 1, solution 5
(2) CIRCULAIRE N°DGOS N° DGOS/PF2/2012/72 du 14 février 2012 relative au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse dans les établissements de santé
(3) Chlorure de potassium par voie intraveineuse et erreurs médicamenteuses ; rappel des règles de bon usage - Point d'Information. Ansm 30/05/2017
(4) Katernis I, Fumeaux Z. Hypokaliémie : diagnostic et prise en charge. Rev Med Suisse 2007,3,579-82
Chlorure de potassium par voie intraveineuse et erreurs médicamenteuses : rappel des règles de bon usage - ANSM 30/05/2017
Professionnel concerné | Recommandation |
Pour les médecins : |
o La posologie en quantité: en g de KCl à perfuser pour les adultes et en mmol par kg et par jour pour les enfants : 1 g de KCl = 13,4 mmol de potassium (K+) |
Pour les personnels paramédicaux : Solutions à diluer, en perfusion lente |
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Pour les pharmaciens : Stockage dédié |
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Quantité de chlorure de potassium (KCl) | Quantité de potassium (K+ ) | Volume minimal après dilution dans NaCl 0.9% ou G5% | Durée minimale de perfusion |
1 g | 13.4 mmol | 250 mL | 1 h |
2 g | 26.8 mmol | 500 mL | 2 h |
3 g | 40.2 mmol | 1000 mL | 3 h |
4 g | 53.6 mmol | 1000 mL | 4 h |
L’ANSM rappelle que "les erreurs lors de l’administration du chlorure de potassium injectable" font partie de la liste des 12 "évènements qui ne devraient jamais arriver / Never Events"[1] et doivent s’inscrire dans les priorités de prévention des établissements de santé.