Toute fièvre présentée par un sujet revenant d'un pays impaludé doit être considérée comme un accès palustre, jusqu'à preuve du contraire, et déclencher la réalisation des examens nécessaires à sa confirmation. En effet, tout retard de diagnostic et donc de traitement peut entraîner l'évolution d'un accès palustre bénin vers la gravité.
Ce cas clinique d'un homme de 57 ans, de retour d'un long séjour en Afrique de l'Ouest, l'illustre bien.
Le mercredi 12 novembre 2014, un homme de 57 ans consulte un médecin généraliste le Dr A., une semaine après être revenu d’un pays d’Afrique de l’Ouest où il travaille depuis 10 ans. Il s’agit de sa première consultation auprès de ce médecin. Il se plaint d’une fièvre à 38,5°C et de vomissements, et signale qu'il revient d’Afrique de l’Ouest mais ne rapporte pas d'antécédents médico-chirurgicaux particuliers.
A l'examen clinique, le patient est en bon état général, apyrétique avec une tension artérielle à 120/80 mmHg et un abdomen souple.
Le patient répond négativement à la question du Dr A. pour savoir si le pays africain d’où il vient est une zone de fièvre Ebola.
Le diagnostic retenu par le Dr A. est celui d'embarras gastrique. Il ne prescrit pas d'examens complémentaires et rédige une ordonnance de Dompéridone 10 mg, 1 à 3 par jour, en indiquant au patient qu'en l’absence d'amélioration, il reste à sa disposition pour le revoir.
Le vendredi 14 novembre, à la demande de son fils, le patient fait appel, en raison de la persistance des troubles digestifs et de la fièvre, à un médecin généraliste le Dr B., ami de la famille, qu’il avait déjà consulté avant son départ en Afrique et qui le revoit épisodiquement lors de ses séjours en France. Ce médecin connait les antécédents de crises de paludisme du patient.
Lors de la consultation, vers 9 h 30, le Dr B. évoque d’emblée le diagnostic de paludisme mais le patient lui dit que cet épisode ne se présente pas comme ceux qu'il avait faits dans les années précédentes.
A l'examen, il est noté : "pâleur, asthénie, dyspnée. PA à 110 mmHg".
Le diagnostic de paludisme est retenu et le Dr B. recommande au patient de se rendre aux Urgences du Centre hospitalier pour faire pratiquer les examens (frottis sanguins et goutte épaisse) nécessaires à la confirmation de ce diagnostic.
Bilan biologique (résultats parvenus au Dr B. le même jour vers 17 h) :
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Au vu de ces résultats, le Dr B. reprend contact par téléphone avec le patient en lui demandant de se rendre aux Urgences du Centre hospitalier pour la prise en charge de ce paludisme probable, d’autant que la chute des plaquettes était importante et pouvait représenter un caractère de gravité. Malgré l'insistance du Dr B., le patient, disant se sentir mieux, ne souhaite pas se rendre le soir même au Centre hospitalier mais s'engage à s'y présenter le lendemain.
Le Dr B. reçoit ultérieurement le résultat de l'examen parasitologique des selles et de la coproculture qui se révéleront négatifs. L'ECBU retrouve une leucocyturie à 30 000/ml (VN < 10 000) et une hématurie à 8 000/ml (VN < 5 000).
Le samedi 15 novembre, en fin de matinée, le patient se présente au Service d'Accueil et d'Urgences du Centre hospitalier (muni des résultats du bilan biologique que son fils est allé chercher au cabinet du Dr B.).
A 13 h 57, l’observation clinique rédigée par l’interne de garde, mentionne :
A 16 h 40, recherche de Plasmodium falciparum positive. Parasitémie à 4,5 %.
Bilan biologique :
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Au vu de ces résultats, il est procédé à une réévaluation clinique concluant à l’absence de troubles de la conscience et de signes de défaillance cardiaque.
Le chef du service dans lequel le patient doit être transféré l’examine aux Urgences et prescrit une hydratation IV et l'introduction d'un traitement antipaludéen par quinine (3 cp x 3/jour pendant 7 jours).
A 18 h 43, avant le transfert en service de médecine, apparaissent des troubles de la conscience ("perte de contact" pendant quelques secondes) mais avec reprise après stimulation verbale, pas de syndrome déficitaire focal, ni de signes méningés.
A 19 h 05, un transfert en Unité de Surveillance Continue est décidé après appel à l'anesthésiste de garde qui note : "accès palustre non pernicieux mais troubles de la conscience pouvant être reliés à l'hypoglycémie (dextro à 0,60), surveillance en USCP et poursuite des perfusions de Glucosé à 10 %".
A 19 h 53, début du traitement par quinine orale (Quinimax® 500 mg).
A 00 h 30, selon le cahier de transmission des infirmières, l'état du patient se dégrade avec perte de conscience, marbrures, chute brutale de la tension artérielle à 30 mmHg, bradycardie à 34/min et hypoxie (SaO2 à 50 %).
Un massage cardiaque est débuté par l'infirmière présente et l’anesthésiste de garde, immédiatement appelé, pratique une intubation trachéale avec mise en route d’une ventilation assistée. Une injection d'adrénaline est également réalisée. Après un réveil rapide et la reprise d'une conscience correcte, le patient est extubé.
Dans la nuit du samedi 15 au dimanche 16 novembre à 2 h 15, après accord téléphonique, le patient est transféré dans le service de réanimation du CHU. A l'admission, le patient est conscient mais les marbrures persistent.
Bilan biologique :
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Le frottis/goutte épaisse retrouve la présence de Plasmodium falciparum avec parasitémie élevée à 10 %.
Evolution dans le service de Réanimation :
Le lundi 17 novembre dans l'après-midi, après 24 heures de prise en charge d'un tableau de défaillance multi-viscérale, décès du patient.
Assignation du Dr A. Médecin généraliste par l’épouse du patient pour obtenir réparation du préjudice subi (février 2017). (Ordonnance d’octobre 2015)
Les experts, professeurs des universités, chefs de service, l’un de Maladies infectieuses et parasitaires, l’autre, de Réanimation médicale, estiment que :
"(...) En ce qui concerne la prise en charge du Dr A., il n'a pas évoqué le diagnostic de paludisme devant une fièvre et des troubles digestifs au retour d'un pays tropical alors qu'il a évoqué l'hypothèse d'une fièvre Ebola.
Il n'a pas prescrit d'examens complémentaires à la recherche d'un paludisme et a rédigé une ordonnance d'anti-nauséeux. Lors de la formation initiale des étudiants en médecine ou lors de la formation continue des médecins, il est toujours enseigné qu'une fièvre au retour d'un séjour sous les tropiques doit faire évoquer le diagnostic de paludisme. II est également classique que des troubles digestifs peuvent être à l'origine d'un retard diagnostique et que la fièvre peut être absente chez certains patients atteints de paludisme. II faut noter que le patient avait des antécédents de crises de paludisme mais que cet épisode de 2014 ne s'étant pas présenté cliniquement comme les précédents, il n'avait pas jugé utile d'en parler au Dr A.
Néanmoins, le Dr A. aurait dû le questionner sur ses antécédents spécifiques survenus lors de ses séjours répétés en Afrique de l’OuestLe retard de diagnostic imputable au Dr A. a entraîné une perte de chance pour le patient dans la mesure où un diagnostic précoce de sa part aurait permis un traitement ambulatoire dont l'efficacité rapide aurait empêché la survenue d'un paludisme grave dont le pronostic est plus sévère.
Concernant la prise en charge du Dr B., il a évoqué le diagnostic de paludisme, réalisé des examens biologiques complémentaires sanguins et prescrit une hospitalisation pour bilan complémentaire et prise en charge par le Centre hospitalier où le patient n'a pas souhaité se rendre le jour même.
Il n’y a pas de manquement dans la prise en charge du Dr B.
Concernant le Centre hospitalier, c'est l'ensemble des prises en charge effectuées par les différents praticiens s’étant succédés auprès du patient, qui a largement contribué à l'évolution péjorative.
Lors de son admission, le patient présentait un critère clinique de gravité (confusion minime) et, au vu des résultats obtenus quelques heures plus tard, deux autres critères biologiques de gravité (parasitémie > 4 % et hyperlactatémie).
La présence d'un seul de ces critères justifiait à lui seul l’appel immédiat à un réanimateur et la mise en route d'un traitement par Quinine IV (voir Commentaires), ce qui n'a pas été le cas.
Le délai entre l'arrivée au service d'accueil et d'urgences, la réalisation du frottis sanguin et la communication du résultat par le biologiste a été de 5 heures alors que les recommandations nationales pour ce délai sont de 2 heures. Le traitement mis en place par Quinine orale n'est pas celui recommandé du fait des faibles concentrations sériques, d'autant que le premier comprimé de Quinine n'a été administré que 8 heures après l'admission. Le médecin anesthésiste-réanimateur n'a pas réévalué cette prescription orale malgré la dégradation clinique et biologique alors qu'un traitement par Quinine injectable (voir Commentaires) était devenu une priorité
Concernant le CHU où le patient a été transféré dans la nuit du 15 au 16 novembre, alors que son état s'était considérablement dégradé en quelques heures, tant cliniquement que biologiquement, et que son pronostic vital était très compromis, ce qui n'était pas encore le cas 12 heures plus tôt, il n’y a aucun manquement dans la prise en charge par l'équipe de réanimation, de la défaillance multiviscérale et du paludisme, qui correspond aux recommandations en vigueur.
En conclusion
Dans la perte de chance subie par le patient, la responsabilité du Dr A. peut être évaluée à 20 % du fait du retard diagnostique qu'elle a généré et celle du Centre hospitalier à 80 % du fait de l'ensemble des dysfonctionnements qui ont été à l’origine de l'évolution péjorative, évolution qui aurait pu être prévenue par une prise en charge adaptée selon les recommandations en vigueur.
Il n'est pas retenu de manquement dans la prise en charge du Dr B., ni dans celle du CHU (…)".
Se fondant sur le rapport d’expertise, les magistrats considérent que :
"(…) Le Dr A., en ne questionnant pas le patient sur ses antécédents de paludisme alors même qu'il avait connaissance qu'il revenait d'un séjour en Afrique de l’Ouest et qu'il avait eu de la fièvre dans les heures précédentes, a commis une erreur de diagnostic occasionnant une perte de chance pour le patient d'éviter le décès, perte de chance qu'il convient de fixer à 20 %, proportion retenue par l'expert (…) ».
Indemnisation de 7 500 €.
L’article de Bruneel et coll.(1)résume les données récentes concernant la prise en charge du paludisme grave d’importation :
"(…) En France, le paludisme grave d’importation concerne environ 12 à 14 % des accès palustres et implique très majoritairement Plasmodium falciparum. Il est défini par une ou plusieurs des manifestations clinico-biologiques mentionnées dans le tableau 1 (avec leur fréquence et leur gravité pronostique).
La prise en charge du paludisme grave est une urgence diagnostique et thérapeutique, qui doit être réalisée, initialement, en réanimation.
Le traitement doit être débuté immédiatement (au plus tard dans les 2 heures). Il repose, désormais, sur l’Artésunate (AS) IV chez l’adulte, la femme enceinte et l’enfant.
L’utilisation de l’AS dans le traitement du paludisme grave à Plasmodium falciparum, au plan mondial, a été validée par une méta-analyse de huit études randomisées contrôlées opposant l’AS IV ou IM à de la quinine IV, concernant 1 664 patients adultes et 5 765 enfants, réalisées en zone d’endémie entre 1989 et 2010 en Asie et en Afrique. La réduction de la mortalité du paludisme grave de l’adulte et de l’enfant a été estimée à 40 % et 25 % respectivement par rapport à la quinine. L’AS IV est mieux toléré et présente moins d’effets secondaires que la quinine IV.
L’AS est disponible en France sous la forme d’une ATU nominative à confirmation différée.
Compte-tenu de l’urgence thérapeutique, le médicament doit être commandé à l’avance et pré-positionné à la pharmacie, au SAU ou en réanimation de l’hôpital afin d’être rapidement mobilisable (moins de 2 heures) (…)."
Les modalités de commande de l’Artésunate (AS) peuvent être consultées sur le site de l’ANSM : Bonnes pratiques de demande d’ATUn.
Références
> (1) Bruneel F, Raffetin A, Roujansky A, Corne P, Tridon C, LIitjos J-F, Mourvillier B, Laurent V, Jaurégulberry S. Prise en charge du paludisme grave d’importation de l’adulte. Méd. Intensive Réa (2018) 27 : 228-338
> Tableau 1 : Critères du paludisme grave d’importation de l’adulte à Plasmodium falcipa
Pronostic | Critères cliniques et/ou biologiques | Fréquence |
+++ | Défaillance respiratoire incluant :
| +++ |
+++ | Défaillance cardio-circulatoire incluant :
| ++ |
++ | Hémorragie : définition clinique | + |
+ | Ictère : clinique ou bilirubine totale > 50 µmol/l | +++ |
+ | Anémie profonde : hémoglobine < 7 g/dl, hématocrite < 20% | + |
+ | Hypoglycémie : glycémie < 2,2 mmol/l | + |
+++ | Acidose : bicarbonates plasmatiques < 15 mmol/l, ou acidémie avec | ++ |
+++ | Hyperlactatémie : > 2 mmol/l (a fortiori si > 5 mmol/l) | ++ |
++ | Hyperparasitémie : > 4 | +++ |
++ | Insuffisance rénale : créatininémie > 265 µmol/l ou urée > 20 mmol/l | +++ |
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