Retard diagnostique d'une maladie de Horton

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Retard diagnostique d'une maladie de Horton : information sur Internet versus l'avis du médecin traitant

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La maladie de Horton est une maladie assez rare et très difficile à diagnostiquer. Ce cas clinique met en évidence la responsabilité du médecin traitant et du médecin ophtalmologiste dans la perte de fonction visuelle gauche du patient.

Auteur : Christian SICOT / MAJ : 05/03/2021

Cas clinique

En août 2013, chez un homme de 69 ans, militaire de carrière, retraité, apparaissent des douleurs du cuir chevelu accompagnées d’une hypersensibilité de même siège, ainsi que des douleurs de la mâchoire. Dans le même temps, il dit ressentir un état de fatigue important.

Avec son épouse, il consulte sur Internet des sites médicaux afin d'essayer de savoir si cette symptomatologie correspond à une "maladie quelconque ". Il pense éventuellement, être atteint d’une maladie de Horton.

Le 26 Août 2013, ce patient prend rendez-vous chez son médecin traitant qui le suit depuis 4 ou 5 ans pour une hypercholestérolémie (traitée par l/2cp de Tahor). Il lui expose ses symptômes en lui confiant ses doutes sur la maladie de Horton suite à sa recherche sur Internet. Il indique que "son médecin traitant ne croyant pas en Internet" ne tient pas compte de son "diagnostic d'Internet" et aurait évoqué un "problème de nerf cervical au niveau des vertèbres" en affirmant que "ce n'était pas la maladie de Horton". Il lui prescrit donc un traitement par Voltarene® et Lumirelax® ainsi que 10 séances de rééducation fonctionnelle du rachis cervical.

Pour sa part, le médecin traitant indique avoir examiné le patient, lors de la consultation du 26/08/2013, pour des cervicalgies occipitales avec paresthésies du cuir chevelu de l'hémivertex droit. Il n'y a pas d'atteinte mandibulaire et aucune altération de l'état général. Il signale une "controverse par rapport à Internet" et avoir dit au patient de lui expliquer ce qu'il ressentait, plutôt que ce qu'il avait lu sur Internet. Aucune gêne visuelle n’est notée dans son dossier ou n’a été décrite par le patient, d’après ses souvenirs.

A l'examen il retrouve une douleur au niveau des vertèbres C1, C2 du côté droit, avec une douleur ponctuelle à la pression. Son diagnostic est d'une cervicalgie d'autant que le patient aurait pratiqué auparavant des travaux potentiellement à l’origine de cette cervicalgie. Il traite le patient médicalement ainsi que par des séances de kinésithérapie.

Au bout de 17 jours de traitement médical et de 8 séances de rééducation, le patient arrête les séances, en accord avec son kinésithérapeute, n'ayant obtenu aucun résultat positif, ni amélioration.

Le 12 septembre 2013, le patient décide de reconsulter son médecin traitant en lui signalant "un état de santé identique" avec en plus "une gêne visuelle" au niveau de l'œil gauche.

Lors de cette seconde consultation, le médecin pratique un massage au niveau du cou, et prescrit un traitement antalgique et anti-inflammatoire (Dafalgan®, Lanzor®, Kétum® LP 100). Le patient demande de faire un bilan sanguin, ce que le médecin ne juge pas utile de faire. Par ailleurs, le patient informe son médecin qu'il va parler de ses problèmes à son ophtalmologiste qu’il doit revoir le 13 septembre 2013 pour un contrôle "visuel banal", systématique, prévu de longue date.

Le médecin traitant indique que, lors de la deuxième consultation, il ne note pas d'amélioration : le patient se plaint toujours de paresthésies du cuir chevelu, mais au niveau pariétal gauche et non plus droit, sans céphalée frontale. Il n'y a aucune baisse d'acuité visuelle. Il n’émet pas de diagnostic ce jour-là et ne note dans son dossier que le patient est "épuisé". Il indique toutefois que lors de la consultation, le patient lui fait part d'une "gêne visuelle" gauche, en l’informant qu'un rendez-vous a été pris depuis longtemps pour un contrôle ophtalmologique systématique (tous les deux ans). Le médecin conseille au patient d'aller à la consultation, comme prévu, chez son ophtalmologiste et de lui expliquer son histoire et ses symptômes.

A noter l’absence de lettre du médecin traitant à l'attention de l'ophtalmologiste.

Lors de l’expertise, le médecin traitant conteste formellement l’affirmation du patient selon laquelle il lui aurait, à nouveau, parlé de la maladie de Horton.

Le13 septembre 2013, le patient consulte son ophtalmologiste auquel il signale des symptômes à type d'algies du cuir chevelu et de douleurs de la mâchoire associées à une grande fatigue (épuisement, "envie de ne rien faire"). Sa gêne oculaire gauche a augmenté, au cours des dernières 24 heures. Il informe son ophtalmologiste des deux consultations auprès de son médecin traitant et de ses doutes sur la maladie de Horton.

Selon les dires du médecin ophtalmologiste, le motif de la consultation était un simple bilan visuel, un contrôle de routine effectué tous les deux ans. Il n'avait jamais entendu le patient lui parler de maladie de Horton et il n'était pas du tout au courant des algies au niveau du cuir chevelu décrites par le patient à son médecin traitant. Il était évident que si le patient avait évoqué le diagnostic de maladie d‘Horton, il aurait demandé une mesure de la VS et un dosage de la CRP. Le patient se serait plaint uniquement d'un trouble visuel de l'œil gauche de type "myodésopsie" (mouches volantes). Il n'a été retrouvé aucune baisse d'acuité visuelle évidente (7/10e au niveau des deux yeux).

Le fond d'œil pratiqué après dilatation ne met en évidence aucune lésion rétinienne ou du vitré. En revanche, un décollement postérieur du vitré avec corps flottant a été retrouvé au niveau de l'œil gauche sans lésion rétinienne. Par l'intermédiaire de sa secrétaire, le médecin ophtalmologiste avait fait remettre au patient un document d'information sur le décollement postérieur du vitré et prescrit un traitement par Indocollyre® 0.1% au niveau de l'œil gauche, le soir pendant 2 mois.

Le lendemain, le 14 septembre 2013, le patient ressent une légère baisse d'acuité visuelle de l'œil gauche, mais dit ne pas avoir été trop inquiet car il avait été réconforté la veille par le diagnostic de l’ophtalmologiste.

Le dimanche 15 septembre 2013, au réveil, le patient affirme "ne plus rien y voir du tout de l’œil gauche". Il se rend directement au centre hospitalier où l'ophtalmologiste de garde diagnostiquait une névrite optique ischémique antérieure aiguë de l’œil gauche.

Le patient est hospitalisé pour mise en route immédiate d’une perfusion de cortisone. Le bilan biologique, sanguin met en évidence un syndrome inflammatoire avec CRP et VS nettement augmentées. Le résultat de la biopsie de l'artère temporale gauche est compatible avec le diagnostic d'artérite à cellules géantes de la maladie de Horton.

Après 3 jours de perfusion de cortisone, le patient quitte l’hôpital avec une acuité visuelle gauche à 1/10e (non améliorée par rapport à l’entrée) . A sa sortie, il lui est prescrit une corticothérapie par voie orale (8O mg/j), à doses dégressives avec un arrêt fin Décembre 2014.

Lors de l'expertise (avril 2015)

Le patient déclare ne pas avoir de verres correcteurs en vision de loin mais seulement en vision de près :

  • L'acuité visuelle de loin de l'œil droit est mesurée à 4/10e sans correction et, après correction, remontant à 7/10e correspondant à une légère hypermétropie avec léger astigmatisme.
  • L'acuité visuelle de loin de l'œil gauche n'est pas chiffrable, inférieure à 1/20e, non améliorable par une correction optique.
  • L'acuité visuelle de près de l'œil droit était mesurée à Parinaud 2 addition +2.75 (correction de la presbytie liée à l'âge).
  • La mesure de l'acuité visuelle de près de l’œil gauche n'était pas possible. En effet, il n'y avait aucune vision utilisable pour lire.
  • Le tonus oculaire bilatéral est normal, mesuré à 15 mm de mercure à droite et 11 mm de mercure à gauche.

Saisine de la Commission de Conciliation d’Indemnisation (CCI) par le patient pour obtenir réparation du préjudice qu’il avait subi (février 2017).

Expertise (avril - juin 2015)

D’après l’expert, praticien hospitalier, chef de service d’ophtalmologie :

"(...) Le patient avait présenté une névrite optique ischémique antérieure aiguë sur maladie de Horton, responsable d’une cécité gauche définitive. La maladie de Horton est une maladie assez rare, très difficile à diagnostiquer. La plupart du temps, son diagnostic est posé après la survenue d'une complication, en particulier visuelle : c'est le cas dans ce dossier.

La localisation occipitale des atteintes céphaliques de la maladie de Horton n'est pas la plus classique. Le plus souvent, la localisation du syndrome douloureux est de siège temporal.

Le diagnostic différentiel entre la maladie de Horton et la névralgie d'Arnold est très difficile et cela d'autant plus que les doléances du patient se situaient dans la région occipitale. Dans la symptomatologie dont il se plaignait, il n'y a jamais eu de cécité monoculaire transitoire, ni de phénomènes d'éclipse visuelle qui auraient été très fortement évocateurs de maladie de Horton.

La symptomatologie de « gêne visuelle » gauche ressentie et décrite par le patient, tant à son médecin traitant dans un premier temps qu'à son médecin ophtalmologiste dans un second temps, n'est pas forcement évocatrice et encore moins pathognomonique de la maladie de Horton. Le médecin ophtalmologiste, lors de son examen complet et bilatéral, n'a mis en évidence aucune atteinte vasculaire ni rétinienne, et aucune différence d'acuité visuelle entre l'œil gauche et l'œil droit (7/10e pour les deux yeux, en rapport avec une cataracte bilatérale modérée).

Le diagnostic de maladie de Horton n'était vraiment pas facile pour le médecin traitant. Bien sûr, si le diagnostic avait été fait, ou même seulement si l'hypothèse du diagnostic avait été soulevée, un traitement immédiat par corticothérapie aurait permis d'éviter la névrite optique ischémique antérieure aiguë qui est la complication oculaire de la maladie de Horton. La corticothérapie prescrite de façon précoce évite quasi systématiquement l'occlusion artérielle oculaire responsable de la perte de la fonction visuelle. Malheureusement, le diagnostic n'a pas été fait. Cela a abouti à la perte de la fonction visuelle gauche du patient.

Le diagnostic a posteriori est toujours facile, lorsque les lésions oculaires visibles au fond d'œil sont constituées. Cela a été le cas, non pas le jour de la consultation au cabinet du médecin ophtalmologiste où le fond d'œil pratiqué était normal et symétrique au niveau des deux yeux, mais le jour de la consultation en urgence par le médecin de garde au centre hospitalier.

C'est pour cela que le diagnostic clinique a été porté facilement à ce moment-là, conforté par les valeurs élevées de la VS (vitesse de sédimentation) et de la PCR (protéine C réactive).

Toutefois, il est évident qu'il faut reconnaître une « perte de chance » pour le patient car il n'y avait pas d'état antérieur oculaire chez lui. En effet, la perte de la vision de l'œil gauche est en relation directe et certaine avec la maladie de Horton. Cette maladie de Horton n'a pas été diagnostiquée lors de la première et de la deuxième consultation effectuée par le médecin traitant. Un simple bilan sanguin avec marqueurs des signes d'inflammation aurait permis au médecin traitant d'évoquer la maladie de Horton. Malheureusement, lors des deux consultations, il n’y a pas eu de bilan sanguin prescrit. La perte de chance peut être estimée à 50 % en ce qui concerne le médecin traitant.

La maladie de Horton n'a pas non plus été diagnostiquée par le médecin ophtalmologiste qui était consulté pour un bilan visuel systématique, prévu depuis plusieurs mois. L'examen ophtalmologique complet avec fond d'œil bilatéral n'a mis en évidence aucune lésion particulière, sauf un décollement postérieur du vitré avec corps flottants de l'œil gauche. Ce décollement postérieur vitréen qui peut être responsable d’une gêne visuelle (myodesopsie) sans baisse d'acuité visuelle, a une fréquence qui augmente nettement avec l'âge, sans réelle signification pathologique. A posteriori, il est facile de parler d'erreur de diagnostic concernant cette maladie de Horton. La perte de chance concernant l’ophtalmologiste peut être évaluée à 10 % (…)".

Dans un additif au rapport précédent, demandé par les juges du tribunal de grande instance (septembre 2017), l’expert confirmait :

"(…) Il existait un manquement dans le cas des deux médecins.

Concernant le médecin traitant, le manquement est de n'avoir pas prescrit un bilan biologique sanguin avec dosage de la PCR et mesure de la VS .

Concernant le médecin ophtalmologiste, le manquement est de n'avoir pas pratiqué un interrogatoire « plus poussé et précis » du patient, concernant ses symptômes visuels.

L’expert insistait sur le fait, comme il l’avait déjà écrit précédemment dans l'expertise, que le diagnostic était extrêmement difficile pour le médecin traitant et encore plus pour le médecin ophtalmologiste... (…)".

Jugement du Tribunal de grand instance (juin 2018)

Le tribunal considérait que :

"(…) le médecin généraliste n'a pas contesté devant l'expert, qu'il avait eu une discussion avec son patient sur ses recherches sur Internet, le praticien lui ayant demandé de lui expliquer ce qu'il ressentait plutôt que ce qu'il avait lu sur Internet. Le médecin ne conteste pas que son patient s'est plaint de douleurs du cuir chevelu et à la seconde visite, d'une baisse de l'acuité visuelle. Bien que le requérant soit venu le consulter à deux reprises à 15 jours d'intervalle et se soit plaint de l'absence d'amélioration de son état et de ses soupçons sur une éventuelle maladie de Horton, le médecin généraliste n'a à aucun moment prescrit de bilan sanguin et n'a pas pris la précaution de rédiger un courrier au médecin ophtalmologiste pour lui faire part des doléances du patient, ce qui aurait nécessairement entraîné une vigilance plus importante de ce dernier.

Dans ces conditions malgré la difficulté du diagnostic, il sera retenu une faute, les soins du médecin généraliste n'ayant pas été suffisamment diligents et attentifs.

Pour retenir un manquement à l'égard du médecin ophtalmologiste, l'expert judiciaire se fonde sur les allégations du patient selon lesquelles il aurait fait part à ce dernier de ses douleurs du cuir chevelu, d'asthénie et qu'à la suite de ses recherches sur Internet, il pensait être atteint de la maladie de Horton.

Le médecin ophtalmologiste conteste ces affirmations et soutient que son patient s'est plaint uniquement d'un trouble visuel de l'œil gauche.

Si le dossier médical du médecin ophtalmologiste ne mentionne pas de plaintes du patient concernant des douleurs du cuir chevelu ou de la mâchoire, ni d'asthénie ou de céphalées pas plus qu'il n'est mentionné de doutes invoqués par le patient sur une éventuelle maladie de Horton, il n'en demeure pas moins que le patient qui était inquiet de son état au point de consulter son généraliste à deux reprises en quinze jours d'intervalle et de consulter Internet, a, à l'évidence, informé le médecin ophtalmologiste de ses symptômes comme le lui avait suggéré son généraliste la veille. Son épouse expose d'ailleurs dans son attestation qu'il s'est rendu chez le médecin ophtalmologiste dans ce but et pour un contrôle.

Il est relevé toutefois par l'expert judiciaire la difficulté du diagnostic.

Dans ces conditions, la responsabilité du médecin ophtalmologiste doit être retenue pour ne pas avoir tenu compte des plaintes de son patient et ne pas avoir poussé plus loin ses investigations et avoir ainsi fait preuve d'un manque de diligence et d'attention envers son patient.

Le préjudice résultant d'une faute médicale consiste en une perte de chance actuelle et certaine de guérison.

Il résulte du rapport d'expertise que si le diagnostic avait été fait, ou même seulement si l'hypothèse du diagnostic avait été soulevée, un traitement immédiat par corticothérapie aurait permis d'éviter la névrite optique ischémique antérieure aiguë qui est la complication oculaire de la maladie de Horton. Aux dires de l'expert, la corticothérapie mise en place de façon précoce évite quasi systématiquement l'occlusion artérielle oculaire responsable de la perte de la fonction visuelle. Dès lors, en ne retenant qu'une perte de chance de 50 %, l'expert n'a pas tiré les conclusions de ses observations médicales.

Au vu du rapport d'expertise médicale, il apparaît que la perte de chance d'éviter la perte de la fonction visuelle peut être évaluée à 80 %. Il sera retenu une perte de chance de :

  • 60 % à la charge du médecin généraliste qui a vu son patient à deux reprises et dès le mois d'août 2013 ;
  • 20 % 20 % à la charge du médecin ophtalmologiste. (…)".

Condamnation du médecin généraliste et du médecin ophtalmologiste à payer respectivement au patient la somme de 29 105 € et la somme de 10 868 €.

Remarques

Deux observations ont été publiées ces dernières années sur les sites de La Prévention Médicale et de la MACSF concernant les conséquences du retard diagnostique d’une maladie de Horton : 

  • "Perte de l'acuité visuelle chez un homme de 79 ans : maladie de Horton"
    Publiée en avril 2016 par le Dr Catherine Letouzey, cette observation met en évidence que, malgré une prise en charge coordonnée de 4 médecins (généraliste, ORL, OPH, neurologue) dans un laps de temps relativement court, une cécité droite brutale était toutefois survenue quelques heures après la consultation du neurologue qui avait évoqué la possibilité d’une maladie de Horton, mais évidemment, avant toute prescription d’une corticothérapie. Quatre jours plus tard, la biopsie de l’artère temporale confirmait  le diagnostic du neurologue.
  • "Diagnostic de la maladie de Horton : médecins, ouvrez l’œil !"
    Publiée en mai 2018 par le Dr Carole Gerson. Le titre de cette publication se passe de commentaires.