Le 10 janvier, une femme âgée de 25 ans, mère d’une enfant de 4 ans, sans activité professionnelle, évoque à l’occasion d’une consultation chez son médecin traitant pour son fils, une suspicion de grossesse. Le médecin prescrit un dosage de béta-hCG, prélèvement qu’elle effectuera le 3 février.
Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.
L’expert, gynécologue obstétricien, confirme que cette femme a présenté une GEU qui a saigné sans se rompre et qu’a existé un retard diagnostique. Il rappelle que la symptomatologie de la GEU est très hétérogène : les douleurs sont présentes dans 90 % des cas ; l’aménorrhée n’est parfois pas reconnue du fait des métrorragies, classiquement peu abondantes et récidivantes, présentes dans 70 % des cas et qui peuvent simuler des règles.
Le couple béta-hCG et échographie endo-vaginale reste indispensable en cas de suspicion de GEU et ces deux examens doivent être interprétés ensembles. L’association béta-hCG et échographie endo-vaginale permet le diagnostic avec une sensibilité de 97 % et une spécificité de 95 % évitant fréquemment le recours à la cœlioscopie. Le dosage de la béta-hCG ne renseigne ni sur le siège ni sur le terme de la grossesse. La cinétique des béta-hCG peut avoir un intérêt diagnostique mais peut également mimer la cinétique d’une grossesse intra-utérine (doublement du taux toutes les 48 heures). La confrontation entre la cinétique des béta-hCG et de l’échographie est primordiale. Il est établi, par les données de la littérature que la valeur de béta-hCG la plus faible au-delà de laquelle un sac endo-utérin peut toujours être visualisé en échographie endo-vaginale est de 1 500 UI/L. Au-dessus de ce seuil, le diagnostic de GEU est porté s’il n’y a pas de sac gestationnel visible dans l’utérus.
L’échographie endo-vaginale doit toujours être réalisée en première intention. Elle permet de localiser une grossesse précoce dans 90% des cas et une GEU dans 74% des cas. La GEU apparait comme une masse annexielle anormale située près de l’ovaire. Le signe indirect est la vacuité utérine. L’épanchement péritonéal témoigne du saignement lié soit à l’avortement tubo-abdominal, soit à la rupture tubaire. La sensibilité de l’échographie varie de 20% à 84%. Sa spécificité varie de 98,9% à 100% selon les signes. L’intérêt est évident si les béta-hCG sont supérieurs au seuil de discrimination. Dans cette observation, La confrontation Béta HCG et échographie n’a pas été faite initialement le 10 février. En effet, la patiente a téléphoné au médecin généraliste en lui relatant les conclusions du radiologue et sa proposition de contrôle à 8 jours. Une prescription téléphonique de dosage des HCG a été réalisée par le généraliste. Si le généraliste avait confronté, lors d’une rencontre avec sa patiente, le résultat de l’échographie (utérus vide) et le dosage des bétahCG supérieur à 1 500 UI, le diagnostic aurait dû être fait. La patiente aurait dû être dirigée vers une équipe en vue d’une cœlioscopie. La décroissance du taux de béta-hCG a trompé la patiente et ses médecins en faisant croire à une fausse couche. Le radiologue ne disposait pas des éléments suffisants pour poser le diagnostic : l’ordonnance du médecin n’indiquait que le critère positif du dosage des béta-hCG, sans en préciser le taux. La patiente confirme ne pas lui avoir montré les résultats du bilan sanguin.
La confrontation entre le dosage de béta-hCG et l’échographie aurait permis d’évoquer le diagnostic : le 3 février, six jours avant l’échographie, le dosage était de 13 754 mUI/ml. Le généraliste disposait des éléments nécessaires mais le défaut de communication (échange téléphonique) a contribué à l’absence du diagnostic. La patiente a été rassurée par la surveillance radiologique proposée et la décroissance du taux de béta-hCG a contribué à lui faire envisager une fausse couche et ne l’a pas amené à reconsulter son généraliste entre le 10 et le 16 février. Les bonnes pratiques médicales auraient voulu que : - La patiente aille consulter son médecin traitant avec les résultats de l’échographie. - Le radiologue confronte le résultat de son échographie avec le dosage hormonal. - Le généraliste confronte en consultation le résultat du dosage hormonal et de l’échographie et fasse la synthèse du dossier dès l’instant où il est le prescripteur de la surveillance hormonale. - Si le diagnostic avait été porté plus tôt, la patiente aurait peut-être pu bénéficier d’un traitement médical de cette grossesse, ce qui aurait peut-être permis de conserver la trompe. Les antécédents d’infertilité, la notion sur la cœlioscopie (en 2010) de trompes paraissant légèrement inflammatoires, d’adhérences au niveau du Douglas qui avaient dues être levées faisait de cette patiente une patiente à risque de GEU. L’expert considère que la salpingectomie gauche est un facteur contributif de la diminution de la fertilité de 30% et que l’état antérieur y participe pour 70%. L’état antérieur et l’antécédent de GEU sont des facteurs contributifs de la récidive contro-latérale de celle-ci. Il ajoute dans sa conclusion : «cela illustre la problématique de la communication entre professionnels et patients, des examens prescrits par le médecin, réalisés par le patient et qui doivent être interprétés par les prescripteurs et les prestataires des soins demandés dans le cadre d’une coordination des soins. Ce dossier illustre également le danger des échanges de résultats par téléphone, par commodité pour le patient et le médecin ». Dans des dires postérieurs à l’expertise, il sera souligné, par les défendeurs, la compliance qualifiée de manifestement insuffisante de la patiente qui n’a pas communiqué au radiologue le résultat de ces dosages hormonaux, n’a pas fait procéder au contrôle hormonal le 12 février mais ultérieurement et n’a pas consulté le médecin généraliste entre le 12 février (date où aurait dû être effectué le dosage) et le 16 février. Il s’avère en outre que le résultat du dosage du 12 février n’était pas disponible pour la seconde échographie mais édité quelques heures après celle-ci. Il est également soutenu que le traitement médical était d’emblée proscrit compte tenu du taux initial de béta-hCG et qu’un geste chirurgical conservateur avait d’emblée un caractère illusoire.
Les magistrats observent que le médecin généraliste ne conteste que partiellement sa responsabilité et acquiesce à l’avis de l’expert en ce qu’il a considéré qu’il avait contribué au retard du diagnostic de GEU, en ne mentionnant pas le taux initial de béta hCG sur sa prescription d’échographie et en ne confrontant pas les données de l’échographie, qui lui ont été rapportées par téléphone, à ce dosage.
Toutefois, il entend minimiser sa part de responsabilité au motif de la compliance manifestement insuffisante de la patiente qui aurait contribué au retard de diagnostic et du fait que l’expert retient également une contribution du radiologue. Le radiologue conteste sa responsabilité. Les magistrats considèrent néanmoins que « en l’absence de ces éléments (le résultat chiffré du dosage hormonal), « la prudence médicale aurait voulu qu’il ne soit pas aussi affirmatif dans ses conclusions qui se sont révélées fausses par la suite…. et il lui appartenait d’exiger de sa patiente les résultats afin de pouvoir poser le bon diagnostic et à défaut de les avoir ou de pouvoir les obtenir, d’en tirer toutes les conséquences utiles, notamment en étant plus modéré dans ses conclusions ». Le radiologue ne peut soutenir l’absence de lien de causalité entre le retard diagnostique et le préjudice, dans la mesure où l’expert indique qu’elle aurait peut-être pu bénéficier d’un autre traitement. Il existe ainsi pour le moins une perte de chance, ce qui est d’autant plus vrai que la demanderesse a fait une nouvelle GEU mais que celle-ci a pu être prise en charge de manière précoce et que le choix du traitement approprié lui a permis de conserver sa trompe. Concernant la patiente, ils émettent un doute sur le fait qu’elle ait été en possession de ses analyses le jour de l’échographie, comme elle le soutient : « dans l’hypothèse où elle aurait eu les résultats sanguins effectivement en sa possession le jour de l’examen, ce qui n’est pas établi, il est évident qu’elle les auraient présentés au radiologue en même temps que l’ordonnance et qu’elle ne se serait pas contenté de lui dire que le taux de l’hormone de grossesse était positif. De plus, lorsqu’elle s’est présentée à l’échographie de contrôle, c’était de nouveau sans les examens pratiqués le 3 et le 10 février. En ne se présentant pas à l’examen de datation de grossesse munie de ses résultats sanguins, elle a contribué au retard diagnostique. Certes, il est évident qu’elle ne pouvait qu’ignorer l’importance d’une telle confrontation mais il est évident qu’au vu de ses analyses qui démontrait son état de grossesse, elle aurait dû se présenter à l’échographie de datation avec son dossier médical complet et le remettre au médecin qui n’aurait pu que le consulter. De même lors de la deuxième échographie, elle est de nouveau venue sans ses examens. En ne présentant pas son dossier médical complet…elle a fait preuve de négligence qui a eu pour conséquence de contribuer à la pose du mauvais diagnostic. Enfin, comme l’expert l’a retenu, les bonnes pratiques auraient voulu qu’elle aille consulter son généraliste une fois que les examens prescrits (échographie et biologie) avaient été réalisés. Les manquements de cette dernière justifient de retenir une faute de nature à réduire l’indemnisation de ses préjudices auxquels elle peut prétendre ». Le médecin généraliste, au vu de l’importance primordiale de la confrontation du résultat des examens, « a fait preuve d’une légèreté blâmable » en ne mentionnant pas le taux du dosage sur l’ordonnance d’échographie, …et « ne pouvait se contenter de régler le cas de sa patiente par téléphone ». Ils retiennent la responsabilité du médecin traitant à hauteur de 60%, celle du radiologue à hauteur de 25% et 15% à la charge de la victime du fait de sa propre faute. « La demanderesse, n’ayant pas contesté l’évaluation du préjudice proposée par l’expert ainsi que la répartition des pourcentages compte tenu de ses antécédents, il y a lieu de faire intégralement droit à sa demande ».
Indemnisation : 5936 €
Les dossiers de retard diagnostique de GEU donnant lieu à une procédure sont assez rares dans notre expérience MACSF (quelques dossiers annuels néanmoins) et ils concernent avant tout des gynécologues ou des gynécologues obstétriciens et des échographistes. Il n’est pas rare, par contre, qu’un défaut de communication ou de coordination soit en fait à l’origine de ce retard diagnostique et notamment du fait de consultations téléphoniques. Dans d’autres cas, à l’origine de ce retard diagnostique, il est invoqué des circonstances trompeuses (GEU sur DIU), l’absence de prescription d’échographie devant des métrorragies ou des douleurs pelviennes ou le résultat faussement rassurant de celle-ci entériné sans dosage de béta hCG…ou l’évolution décroissante des dosages faisant penser à une fausse couche.
Même s’il est logique, dans cette observation, que la responsabilité du généraliste soit retenue a postériori quelles qu’en soient les raisons, il est également non surprenant que celle du radiologue soit également engagée car ce n’est pas, comme certains pourraient le soutenir, un simple « prestataire de service ».
La caractérisation de la faute de la victime appartient au juge. Les spécialistes du droit médical débattent savamment de ce problème juridique qui n’est pas de ma compétence. En bref, sont ainsi évoqués, par exemple, le refus de soins à condition que le médecin prouve les diligences effectuées pour informer et convaincre le patient des conséquences de ce refus, l’inexécution par le patient des prescriptions ou recommandations dûment consignées, la rétention volontaire d’informations essentielles par le patient, le « nomadisme médical »…
Malgré quelques illustrations jurisprudentielles, il est en définitive rare que les magistrats acceptent de retenir une faute du patient, sauf conduite caractérisée à l’origine du dommage.
Il faut noter que la décision, ici rapportée, est une décision des juges de première instance et s’il y avait eu un appel de la victime, il est possible que cette décision ait pu être infirmée. Il aurait pu, par exemple, être souligné qu’il n’a pas été apporté la preuve que la patiente avait dûment été informée des conséquences de son attitude.
Bibliographie et GEU