Une patiente fait un accident vasculaire cérébral brutal pour n'avoir pas repris son traitement par antivitamine K après une intervention à l'hôpital...
• Une femme de 53 ans a bénéficié il y a dix ans d’une valvuloplastie mitrale per cutanée pour rétrécissement mitral en arythmie complète et suit depuis cette date un traitement anticoagulant avec des contrôles réguliers de l’INR.
• Elle est hospitalisée en urgence pour une migration biliaire dont l’évolution est favorable. Elle sort avec une ordonnance pour la poursuite des injections sous cutanées de LOVENOX 0,4 ml deux fois par jour pendant 15 jours avec la consigne de voir son cardiologue avant la cholécystectomie dont la date a été fixée quelques jours plus tard. Le remplaçant de celui-ci est d’accord sous réserve d’un relais par héparinothérapie et précise dans son courrier que le rythme est sinusal mais qu’il majore le traitement antiarythmique en raison d’une hyperexcitabilité auriculaire.
• Un relais du LOVENOX est fait par la CALCIPARINE qui encadre l’intervention qui se déroule en coelioscopie sans complication puis le LOVENOX est repris. On trouve dans le dossier la mention que l’antivitamine K doit être reprise « dès que possible » mais pas la trace de sa prescription.
• A la sortie à J4, le courrier du chirurgien destiné au généraliste et présent au dossier hospitalier précise « je la laisse quitter le service avec des antalgiques mineurs, lui demande de reprendre tout son traitement antérieur (AVK repris il y a 24 h), de poursuivre les injections de LOVENOX 0,4 ml deux fois par jour (déjà prescrites lors de la première hospitalisation) et de reprendre contact avec vous dans la semaine pour le contrôle du TP ».
• Le courrier non relu par son auteur et signé d’un autre médecin est remis à la patiente qui le fait déposer au secrétariat du médecin généraliste le jour même ; mais ce courrier est rédigé différemment et amputé des dernières phrases notamment celle qui indique qu’il doit prendre en charge la surveillance du traitement anticoagulant. Le généraliste n’a pas de contact direct avec la famille ni de demande de visite à domicile.
• Ce courrier a été corrigé ultérieurement par le chirurgien et complété mais l’exemplaire complet destiné au généraliste n’a pas été envoyé par courrier (erreur d’adresse ? délai d’envoi ?).
• Une semaine plus tard, la patiente fait un accident vasculaire cérébral brutal (hémiplégie droite avec aphasie) dans le territoire sylvien par embolie cardiaque. Le jour de son admission elle est en rythme sinusal mais le lendemain passe en fibrillation auriculaire. Elle garde d’importantes séquelles notamment motrices et des troubles de la parole ne l’empêchant pas de communiquer (la compréhension est intacte).
• Elle déclare que faute de consigne précise et d’ordonnance, elle n’aurait pas repris son traitement par antivitamine K.
Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.
Deux expertises successives auront lieu devant le tribunal administratif puis devant la CRCI en présence du médecin généraliste.
Nous ne détaillerons pas les reproches faits par les experts sur la dose de LOVENOX prescrite, insuffisante pour une patiente de 90 kg et sur le choix de l’HBPM versus Calciparine.
Le médecin généraliste a cru « à juste titre » que le suivi de son traitement anticoagulant avait été organisé par l’Hôpital et n’a pas été rappelé pour une visite.
Avant l’hospitalisation, les résultats réguliers du TP /INR étaient peu stables, dans la zone cible, mais aussi souvent, témoignant d’un sous ou d’un surdosage.
D’après le mari et une fille, le chirurgien a juste donné « quelque chose pour la douleur » mais le traitement anticoagulant oral n’a pas été repris faute de consigne.
Les deux expertises se rejoignent pour dire que le protocole habituel de sortie n’a pas été respecté et reprochent un manque de coordination avec le médecin traitant : lors de la reprise des AVK après un geste chirurgical, toutes les recommandations poussent à continuer l’héparine jusqu’à ce que l’INR cible soit atteint (entre 2 et 3 pour une indication par AC/FA).
Lorsque le patient quitte l’hôpital non seulement ce relais doit être prescrit dans le courrier de sortie, ce qui n’était pas le cas dans l’exemplaire remis à la patiente, mais il faut prévoir également : une ordonnance d’anticoagulant injectable discontinu, une ordonnance pour les infirmières qui fera les injections, une ordonnance de prélèvement sanguin pour le premier contrôle de l’INR avec la mission de faire adapter le traitement soit par le service dont le patient est issu soit par le généraliste dûment informé de la procédure en cours.
Dans le cas précis il parait établi que le protocole habituel n’a pas été respecté.
Il s’agit là d’un manquement constitutif d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement.
Quant aux conséquences de cette faute, il s’agit d’une perte de chance caractérisée d’éviter l’accident vasculaire.
Fait curieux par rapport aux déclarations de la famille, le TP à l’admission lors de l’accident vasculaire est néanmoins à 56% à un taux voisin du taux pré opératoire chez cette patiente difficile à équilibrer.
Le chirurgien y voit une preuve que les consignes orales de sortie qu’il a données lors de sa dernière visite concernant l’AVK et la poursuite du LOVENOX (déjà prescrit lors de la précédente hospitalisation proche) ont bien été données contrairement à ce que soutient la famille.
Les experts estiment que le traitement a peut-être été repris par la patiente mais à dose insuffisante, à une date ignorée et en tout état de cause de façon sans doute « aléatoire » et surtout non surveillée comme cela aurait dû être le cas.
Néanmoins, il n’est pas certain que cet accident ait pu être évité : « même dans la bonne fourchette, le risque thromboembolique résiduel n’est pas nul » et le rétrécissement mitral même après dilatation percutanée possède un risque embolique très élevé surtout lorsque alternent rythme sinusal et arythmie complète comme chez cette patiente.
Les experts s’étonnent que cette patiente ou sa famille, habituées à ce traitement depuis 10 ans, n’aient pas réagi à l’absence de prescription et interrogé le généraliste à ce sujet.
La CRCI considère que la responsabilité de l’Hôpital est engagée au titre d’une perte de chance de 50% compte tenu également de l’état antérieur de la patiente, en soulignant que ce taux tient également compte du comportement de la victime qualifié de « négligent » par un des experts.
HAS (2008) Gestion péri opératoire des anticoagulants
HAS (2001 et 2005) Sortie du patient hospitalisé (évaluation des pratiques).
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