Décès par méconnaissance d'une incompatibilité foeto-maternelle

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Décès par méconnaissance d'une incompatibilité foeto-maternelle - Cas clinique

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  • Femme enceinte et soignante

Transmission de résultats d’examens : petite erreur informatique, grands effets : une fois le processus de mauvaise identification enclenché, tout peut être fait apparemment de façon experte, mais sans boucle de récupération.

  • Sage-femme
MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Femme née en 1970. Première grossesse en 1999 (29 ans) d’évolution normale avec accouchement sans difficulté d’une petite fille (3340 g). Le dossier de l’époque signale un groupe sanguin de la patiente O Rh positif (phénotype : CCDee) avec absence d’agglutinines irrégulières anti-érythrocytaires (RAI), notamment lors d’une consultation à 25 SA. Il n’était signalé dans le dossier médical aucun antécédent notable, en particulier aucune transfusion sanguine ou aucun événement ayant pu amener à en réaliser. Absence de détermination du groupe sanguin de ce premier enfant.
  • Après un arrêt volontaire de la contraception une seconde grossesse débute en mars 2004 (terme prévu le 12 décembre 2004). Le suivi en était assuré par un gynéco-obstétricien dans le même hôpital que pour la précédente grossesse. 
  • La première consultation échographique (normale) a lieu avec le gynéco-obstétricien le 28 mai. 
  • La première consultation clinique a lieu le 9 juin (14 SA+5 j) : « taille 1m65, poids 59 kg. PA à 11 / 6. Sérologies : positives pour la toxoplasmose et la rubéole, négatives pour la syphilis, le VIH ; antécédent de vaccination contre l’hépatite B. Dépistage de la trisomie 21 proposé. Déclaration de grossesse ».
  • Le 23 juin, hospitalisation à la demande du gynéco-obstétricien pour suspicion de colique néphrétique. Sortie au bout de 3 jours.
  • Le 8 juillet, nouvelle consultation de surveillance avec le gynéco-obstétricien (aucune anomalie signalée).
  • Le 29 juillet , en l’absence de ce dernier, la consultation est assurée par une sage-femme de l’établissement. Celle-ci remarque l’absence de RAI dans le dossier depuis le début de la grossesse et remet à la patiente une ordonnance pour effectuer cette recherche.
  • La patiente pratique ces analyses dans un laboratoire de ville (A), proche de son domicile. Cet établissement avait prévu d’adresser les résultats positifs de cette recherche à la sage-femme qui l’avait prescrite mais ils étaient, en fait, envoyés à un médecin qui ne connaissait pas la patiente en raison d’une erreur de saisie du code du nom du prescripteur (saisie informatique en tapant les 4 premières lettres du nom patronymique) (nom de la sage-femme : ABCDEF ; nom du médecin destinataire  : ABCDEXY.
  • Dans le même temps, le laboratoire (A) transmet les analyses à un laboratoire du chef-lieu du département (B) pour une recherche affinée. Ce dernier les adresse à son tour au CNRHP (Centre National de Référence d’Hémobiologie Périnatale). La réponse du médecin du CNRHP en date du 9 août était la suivante : « (…) Présence d’anticorps anti-c (RH4) ; titrage en Coombs indirect (1/4) ; dosage pondéral :620 U CHP/ml au 2ème temps (prélèvement toutefois insuffisant pour conclure)…L’anticorps anti-c (RH4) présent dans le sang de la patiente se situe actuellement à un niveau qui pourrait occasionner des signes modérés de maladie hémolytique postnatale si l’enfant est c (RH4) positif. Il apparaît essentiel que le bilan suivant soit fait chez l’enfant dès la naissance : phénotype Rhésus, test de Coombs indirect, dosage d’hémoglobine et de bilirubine. Durant la grossesse, je vous propose de doser régulièrement cet anticorps toutes les 2 à 3 semaines à partir du 4ème mois de grossesse, dans la mesure où une augmentation de la concentration pourrait entraîner l’apparition d’un risque d’anémie fœtale, éventualité qui semble pour l’instant très improbable à la concentration actuellement observée. Il est possible qu’un autre anticorps soit effectivement présent dans le sérum de cette patiente. Son identification nécessiterait un complément d’échantillon sanguin (…) ».
  • Cette réponse est adressée par courrier au laboratoire (B) qui les transmet au laboratoire (A) en indiquant comme prescripteur le docteur  ABCDEXY et sans en adresser copie à la patiente. A la suite de cette erreur d’adressage, ni les résultats de la RAI, ni la réponse du médecin du CNRHP ne parvenaient à la sage-femme , au gynéco-obstétricien  ou à la patiente mais  à un médecin qui ne la connait pas .
  • D’autres consultations prénatales avaient lieu le 26 août (gynéco-obstétricien) ; le 24 septembre et le 22 octobre (autre sage-femme que celle du 29 juillet). Au cours des suivis clinique, biologique et échographique, aucune anomalie notable n’était relevée.
  • Le 4 novembre, à 35 SA et 4 jours, alors qu’elle suivait des séances de préparation à l’accouchement, la patiente signalait la présence d’œdèmes et d’un prurit diffus depuis quelques jours. Le monitoring montrant un rythme cardiaque très anormal « pré-mortem », une césarienne était pratiquée en urgence. Elle permettait  la naissance d’une fille souffrant d’un anasarque important et en état de mort apparente. Après une réanimation immédiatement entreprise, l’enfant était transféré par le SMUR pédiatrique dans le service de Réanimation infantile du CHU.
  • Un prélèvement sanguin mettait en évidence une hémoglobine à 6,7g /100ml, des plaquettes à 68 OOO / mm3 et un test de Coombs direct positif. Chez la mère, étaient retrouvés un anticorps anti-c (RH4) à un taux très élevé (Coombs indirect : 1/256) ainsi qu’un anticorps anti-Jkb (JK2) L’enfant recevait deux exsanguino-transfusions pratiquées à 12 heures d’intervalle qui n’entraînaient aucune amélioration.
  • Le décès survenait le 5 novembre attribué aux complications d’un anasarque foeto-placentaire sévère consécutif à une allo-immunisation dans le système Rh (Rhésus) anti-c, associé à un anti Jkb dans le système Kidd.
     
     
     Plainte contre X déposée le 23 décembre 2004 par les parents à la suite du décès de leur enfant

Analyse

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Jugement

EXPERTISE (avril 2005)

Deux expertises étaient effectuées : l’une par un professeur des universités, biologiste des hôpitaux et l’autre par un professeur des universités chef de service de gynéco-obstétrique et un pédiatre néonatalogiste. Les deux rapports d’expertise concluaient que la méconnaissance des résultats des analyses pratiquées au cours de la grossesse n’avaient pas permis de déceler l’existence d’une allo-immunisation foeto-maternelle anti-c très probablement contractée à la fin de la précédente grossesse. Celle-ci avait entraîné une anémie foetale majeure à la fin de la seconde grossesse et était responsable de l’état d’anasarque foetal directement à l’origine du décès de l’enfant. Selon l’expert obstétricien et son sapiteur, la prise en charge de l’enfant à sa naissance avait été réalisée en conformité avec les pratiques et les connaissances scientifiques de l’époque. Cependant, s’agissant du suivi de la grossesse, ces mêmes experts estimaient que la connaissance des résultats de la RAI aurait permis un suivi adapté dans un centre spécialisé permettant éventuellement des transfusions foetales et/ou une naissance anticipée dans un centre de niveau III qui aurait peut-être accru les chances de survie. Ils précisaient toutefois qu’il était « impossible de déterminer le devenir exact de la grossesse et de l’enfant si une telle prise en charge avaient été effectuée, étant donné la sévérité de la pathologie et le caractère très spécialisé de la prise en charge ».

Les experts indiquaient effectivement que, contrairement à l’allo-immunisation anti-D qui fait l’objet d’un dépistage plus vigilant, l’allo-immunisation foeto-maternelle anti-c est une pathologie rare et qu’il est également rare que cette pathologie entraîne des conséquences sévères pour le nouveau-né. A l’appui de cette affirmation, ils rapportaient que l’étude la plus importante à ce sujet faite en 1986 mentionnait que, sur une période de huit ans incluant 280 000 grossesses, il existait moins de 90 cas de ce type (sans antécédent de transfusion sanguine) et que, parmi ces cas, seul un enfant était mort-né, deux présentaient une anémie sévère et onze avaient nécessité des exsanguino-transfusions à la naissance.

Concernant l’état des pratiques médicales au moment du suivi de grossesse en 2004, les experts considéraient qu’il fallait tenir compte du décret du 14 février 1992 qui obligeait à une RAI seulement au cours de la première consultation de grossesse. Etant donné que les résultats issus de la prescription de la sage-femme à 22 SA faisaient état d’une allo-immunisation modérée nécessitant à ce stade une surveillance, ils estimaient que, si ces résultats étaient parvenus à leur prescripteur, le délai entre la première consultation du gynéco-obstétricien –où il avait oublié de prescrire cette recherche—et la date où la sage-femme l’avait prescrite, n’aurait pas été délétère pour l’enfant.

Information contre X pour homicide involontaire

Pour le juge d’instruction qui avait mis en examen le gynéco-obstétricien au début de son instruction, l’enquête et les expertises établissaient qu’une succession d’événements fortement improbable sur un plan statistique, avait abouti à la méconnaissance d’une allo-immunisation anti-c, elle-même extrêmement rare, ce qui n’avait pas permis la préparation de la venue de l’enfant dans des conditions spécifiques et adaptées. A l’origine de cette succession d’événements, se situait l’oubli par le gynéco-obstétricien de prescrire lors de la première visite prénatale une RAI bien que cette recherche ait été obligatoire. Cependant cet oubli ne pouvait être considéré comme ayant été directement la cause du décès ou ayant contribué au décès. En effet la sage-femme avait remédié à cet oubli quelques semaines après, sans que le délai écoulé ne soit préjudiciable à la santé du foetus. Le magistrat rappelait que la loi pénale exige en cas de causalité indirecte entre le dommage et le comportement du prévenu, une faute aggravée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur de la faute ne pouvait ignorer. En l’occurrence, à supposer que l’oubli du gynéco-obstétricien puisse être qualifié de faute aggravée, cet oubli ne pouvait, en soi, constituer une exposition à un risque d’une particulière gravité que l’auteur de la faute ne pouvait ignorer. En effet, l’allo-immunisation anti-c était considérée par la pratique médicale et au vu des connaissances scientifiques de l’époque, comme une pathologie rare d’autant plus pour les personnes n’ayant pas subi auparavant de transfusions sanguines et les conséquences fatales d’une telle pathologie étaient également rares. Le juge d’instruction en concluait que la conscience d’un risque d’une particulière gravité n’était pas caractérisée.

Par ailleurs, dans la succession d’événements ayant abouti à la méconnaissance de l’alloimmunisation, il existait également l’erreur de frappe du personnel du laboratoire (A) commise en enregistrant le code du nom du prescripteur et l’erreur du gynéco-obstétricien de ne pas s’être inquiété de l’absence de retour des résultats de la RAI. Néanmoins, pour les mêmes raisons que précédemment, le magistrat estimait que ces deux types d’erreurs ne pouvaient être retenues comme constitutives d’une faute aggravée ayant exposé autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur des fautes ne pouvait ignorer.

En outre, comme au vu des deux rapports d’expertise, il apparaissait impossible de conclure qu’un suivi spécialisé de la grossesse, notamment en connaissance des incompatibilités sanguines entre la mère et l’enfant, aurait assuré une naissance normale et/ou la survie de l’enfant, le magistrat concluait qu’en définitive l’information judiciaire n’avait pas permis d’établir l’infraction d’homicide involontaire et délivrait une ordonnance de NON-LIEU.

Les plaignants ne faisaient pas appel de cette ordonnance de NON-LIEU et n’entamaient pas de procédure devant la justice civile.