Quand le retard de décision de la césarienne par le gynéco-obstétricien de la patiente, fait suite au au retard de prise en charge de la dystocie de démarrage, avec en plus des problèmes organisationnels de l’équipe du bloc opératoire, l'extraction fœtale arrive bien trop tard...
• Femme âgée de 35 ans
• Première grossesse à 30 ans d’évolution normale avec naissance d’un garçon pesant 3100 g, en bonne santé.
• Deuxième grossesse à 34 ans en avril avec un terme prévu vers le 20 janvier.
• Les consultations prénatales sont régulièrement assurées par un gynéco-obstétricien avec réalisation de trois échographies à 13, 22 et 32 SA. Absence d’éléments en faveur d’un diabète gestationnel.
• Lors de la dernière consultation prénatale, la hauteur utérine est à 32 cm avec un bassin cliniquement normal (taille de la patiente : 1,64 m). Lors de la dernière échographie, les biométries fœtales sont sensiblement normales pour l’âge de la grossesse avec un diamètre bipariétal à 93 mais sans précision sur les diamètres transverse et abdominal. Le gynéco-obstétricien considére le fœtus comme « modérément macrosome » mais sans disproportion foeto-pelvienne majeure.
• Le 24 janvier, la patiente se présente à la clinique sur les conseils du gynéco-obstétricien pour un bilan et un suivi de dépassement de terme. Elle ne ressent aucune contraction utérine et le monitorage du rythme cardiaque fœtal (RCF) est normal.
• Le 26 janvier (41 SA + 6 jours), survenue de contractions utérines entraînant son admission en clinique à 20 heures. Elle est prise en charge par une sage-femme ‘qui note un poids à 94 kg, avec des oedèmes des membres inférieurs. La PA est à 140 / 90 mmHg et la température à 36, 1 C°. La hauteur utérine est mesurée à 34 cm. Au toucher vaginal, le col utérin est postérieur, mi-long, fermé à l’orifice interne et épais. La présentation céphalique est encore haute et mobile. La sage-femme installe un monitoring pour enregistrement du RCF et des contractions utérines.
• 20 h 55 : décélération du RCF suivie d’une seconde décélération à 22 h 05, toutes deux signalées à l’obstétricien de garde. La patiente est transférée en salle de naissance à 22 h 20 ; l’obstétricien de garde constate l’absence de modification du col.. Il est rappelé par la sage-femme à 02h 00 du fait de contactions utérines douloureuses mal supportées et donne son accord à la prescription de Nubain® pour les calmer. Le RCF reste normal en dehors de deux nouvelles décélérations isolées. Lors de son passage un peu avant 03h00, l’obstétricien de garde ne constate pas d’anomalie particulière (par la suite, il ne devait plus être rappelé par la sage-femme).
• A 03h00, l’enregistrement du RCF et des contractions utérines est suspendu lors d’un transfert de la patiente dans une autre salle du bloc d’accouchement.
• Il est repris à 05h25 jusqu’à 06h00, sans qu’apparaissent d’anomalies .
• A 07h00,la sage-femme de nuit était remplacée par une collègue qui remet en place à 07h40 l’enregistrement du RCF, d’aspect sensiblement normal.
• A 08h00, l’obstétricien qui avait suivi la grossesse, prend connaissance des observations faites depuis l’admission de la patiente puis l’examine. Il demande à l’anesthésiste de poser une anesthésie péri-durale ( 08h50 ) et à la sage-femme de pratiquer une rupture artificielle de la poche des eaux ( 09h00 ) ainsi que de poser une perfusion de Syntocinon® pour accélérer le travail de l’accouchement.
• Des décélérations variables et rapides du RCF se produisent dans l’heure suivant ces manœuvres. Le tracé reste néanmoins relativement oscillant avec un rythme de base aux alentours de160 bpm. La présentation céphalique reste à la partie haute de l’excavation pelvienne en variété occipito-iliaque gauche postérieure. Au cours de la matinée, la sage-femme appelle à plusieurs reprises l’obstétricien pour le tenir informé de l’évolution du travail, de la mauvaise progression de la présentation céphalique avec une dilatation cervicale à 7-8 cm et des anomalies du RCF .
• Vers 12h00, la sage-femme signale que le liquide amniotique devient teinté et le RCF , franchement anormal.
• A 12h20, l’obstétricien présent en salle de naissance décide de pratiquer une césarienne. La sage-femme prévient alors l’aide-opératoire, l’anesthésiste et l’équipe du bloc opératoire.
• La patiente était transférée au bloc opératoire qui se trouve au même niveau que le bloc d’accouchement à 13h15, soit 55 minutes après la décision de césarienne prise en salle de naissance. Dès son arrivée, la sage-femme prévient le pédiatre de garde et la sage-femme de néo-natologie. La césarienne est pratiquée sous anesthésie péri-durale à 13h40. La naissance s’effectuait à 13h50 , soit 1 heure 30 minutes après la décision de césarienne.
• Le nouveau-né de sexe masculin, pesant 3850 g, est en état de mort apparente. Le test d’Apgar était coté à 1 (1ère minute de vie ), 3 ( 3ème minute de vie) et à 7 (5ème minute de vie). Le liquide amniotique teinté. Une récupération assez rapide est notée à 5 minutes de vie.
• L’évolution sera marquée par des troubles respiratoires modérés mais nécessitant un apport d’oxygène permanent, un refus de téter, un aspect « algide »puis trois épisodes convulsifs des membres motivant , le 28 janvier, à 33 heures de vie, le transfert de l’enfant dans l’unité de neo-natologie du Centre hospitalier.
En 2008, le bilan effectué chez cet enfant conclue à une encéphalopathie chronique sévère, caractérisée par un retard de développement grave et entraînant des difficultés dans différentes acquisitions.
Assignation en référé déposée par les parents de l’enfant pour indemnisation de son préjudice (mars 2007)
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Les deux experts, professeurs des universités, l’un chef de service de gynéco-obstétrique et l’autre de néonatologie, estimaient qu’à son admission à la clinique, il existait, dans un contexte de dépassement de terme et de macrosomie fœtale relative, une dystocie de démarrage favorisée par cette macrosomie et surtout la présentation céphalique en variété gauche postérieure, de mauvais pronostic. L’encéphalopathie dont l’enfant était atteint était compatible avec une anoxie pré-, per ou postnatale. Le retard de décision de la césarienne par le gynéco-obstétricien de la patiente, succédant au retard de prise en charge de la dystocie de démarrage, ----qui pouvait être suspectée ou diagnostiquée dès le 26 janvier---- , par l’obstétricien de garde, ainsi que les problèmes organisationnels de l’équipe du bloc opératoire avaient été responsables d’une extraction fœtale trop tardive. Le délai de 1h30 entre la décision de pratiquer une césarienne (12h20) et la naissance de l’enfant (13h50) pouvait s’expliquer par le délai incompressible fixé à 20 minutes par la littérature médicale entre ces 2 événements, le transfert de la patiente de la salle de naissance au bloc opératoire qui avait nécessité 55 minutes (bien qu’ils soient pourtant situés au même niveau dans la clinique), l’appel et la disponibilité de tout le personnel de garde sur place ou d’astreinte. Pour les experts, des problèmes organisationnels existaient dans la clinique et des dissensions s’étaient produites au sein de l’équipe alors qu’il y avait sur place des alternatives pour aider l’obstétricien à pratiquer la césarienne.
Ils concluaient que : « L’ensemble de la prise en charge obstétricale de la patiente par l’équipe médico-obstétricale de la clinique ne leur paraissait pas avoir été parfaitement adapté dans ce contexte (il est vrai toujours difficile à gérer) et n’avait pas été amélioré par l’insuffisance des informations échangées entre l’obstétricien de garde et celui de la patiente. Il restait néanmoins difficile d’affirmer un lien de relation certaine entre les insuffisances précédemment citées, l’anoxie fœtale per-partum et l’état du nouveau-né et ses conséquences ultérieures, sans qu’il soit noté de faute patente sur le plan médical en tenant compte que le facteur temps et le retard décisionnel qui en découlait étaient un élément primordial en salle de naissance mais toujours difficile à maîtriser . »
Lors de l’expertise (2008), ils évaluaient l’état de la psychomotricité de l’enfant comme correspondant à l’âge de 18-20 mois. Ils estimaient impossible de fixer actuellement une consolidation du fait de la croissance et du développement à venir mais le seuil minimal du handicap était et sera supérieur à 70 %, l’état de l’enfant n’étant pas susceptible d’amélioration notable en termes de sévérité par rapport aux stades de son développement à venir
Le tribunal, se fondant sur le rapport d’expertise, estimait que, le 26 janvier 2003, la patiente était en situation de risque (dépassement de terme patent—probable macrosomie fœtale ), que des anomalies du RCF avaient été constatées par la sage-femme dès 20h55, justifiant de nombreux appels téléphoniques à l’obstétricien de garde jusqu’à 8h00. De même, l’obstétricien de la patiente avait été informé, à plusieurs fois dans la matinée, de la mauvaise progression de la présentation céphalique et des anomalies du RCF.
Pour les magistrats, « (…)en considération de la situation pathologique dans laquelle se trouvait la patiente, l’obstétricien de garde, expressément informé des anomalies constatées, ne pouvait se limiter à un suivi téléphonique, et avait l’obligation d’apporter des soins prioritaires, attentifs et consciencieux. Les éléments apportés par les analyses et les constats de la sage-femme devaient, comme l’indiquaient les experts, permettre de diagnostiquer une macrosomie fœtale. En n’apportant pas dans le suivi de la patiente toute l’attention et les précautions nécessaires et en ne répondant pas aux signaux d’alarme patents, l’obstétricien de garde avait commis une faute engageant sa responsabilité
L’obstétricien qui avait suivi la grossesse de la patiente et relevé un fœtus modérément macrosomé (sic), qui avait par ailleurs connaissance des anomalies cardiaques constatées depuis plusieurs heures, n’avait pas apporté, dès 8h 00 et dans la matinée, toute l’attention et les soins nécessaires à l’état de la patiente. De même, vu l’urgence de la situation, le délai pour pratiquer la césarienne alors que des alternatives existaient au sein de la clinique pour intervenir d’urgence, apparaissait fautif, constituant comme l’indiquaient les experts, un facteur aggravant d’anoxie per-partum . Sa responsabilité sera, donc, également retenue (…) »
En revanche, concernant la clinique, le tribunal estimait que le rapport d’expertise ne mettait pas en évidence de carence organisationnelle : « (…) Les salariés de la clinique, et notamment la sage-femme, avaient respecté leurs obligation de soins, de surveillance et d’information des médecins. Le matériel de la clinique n’était pas suspecté et, comme le soulignaient les experts, des alternatives existaient ainsi que l’attestait le planning versé aux débats (…) » Pour ces raisons, les magistrats mettaient la clinique hors de cause
Estimant que les fautes des deux obstétriciens dans la prise en charge de la patiente avaient participé à une perte de chance de guérison ou de limitation du risque, le tribunal les condamnait, in solidum, à indemniser le préjudice de l’enfant à hauteur de 70 %.
Indemnisation provisionnelle de 435 800 €