Administration de suppléments de lait maternel

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                et la sécurité du patient

Administration de suppléments de lait maternel : gestion d’incidents d’identitovigilance

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Ce retour d’expérience décrit la démarche de gestion des risques dans l’administration de supplément de lait maternel sur plusieurs incidents entre novembre 2014 et juin 2018 dans une maternité de niveau 3.

  • Sage-femme
Auteur : Caroline QUELEN, Sage-femme / MAJ : 17/10/2018

Cas clinique

Incident N°1 : le 20 novembre 2014 premier évènement indésirable : le service accueille 17 mamans et leurs nouveau-nés pour une capacité de 23 lits.

  • La charge en soin est importante du fait d’un flux important de nouvelles accouchées par césarienne ce jour-là. Ceci mobilise beaucoup le personnel en termes de surveillance et d’aide à la mobilisation lors des mises au sein/biberon ou des changes des nouveau-nés. L’effectif est adapté à l’organisation établie.
  • Le service s’organise en deux secteurs, une auxiliaire de puériculture est affectée dans chacun des secteurs. La répartition se fait par numéro de chambre : secteur 1 : de la chambre 1 à 7, soit 12 lits (plusieurs chambres doubles), secteur 2 : de 8 à 15 soit 11 lits. Ce jour-là, le secteur 1 compte 12 patients et le secteur 2 compte 5 patients.
  • Les transmissions entre les équipes se font via un document Excel, celui est imprimé et mis à jour 1 fois par équipe afin de noter les informations importantes pour le suivi des mères et des nouveau-nés.
  • Par ailleurs, l’ensemble des soins est tracé sur un logiciel spécifique pour la mère et l’enfant. Lors des transmissions de l’après-midi, il est indiqué à l’auxiliaire de puériculture du secteur 1 que la patiente de la chambre 2F supplémente son enfant avec son lait maternel, stocké dans le réfrigérateur. Les biberons de laits maternels sont stockés dans un réfrigérateur dédié, une étiquette maternelle est collée sur le corps du biberon, la date et l’heure du prélèvement y sont aussi indiquées.
  • Suite aux transmissions, la patiente du 3F demande à l’auxiliaire du secteur 1 de faire chauffer le supplément de lait maternel pour son enfant ; la patiente du 3F est peu francophone et originaire d’Afrique. Dans le même temps, une maman a besoin de l’auxiliaire pour une aide au change suite à une césarienne et une autre maman la sollicite pour une aide à la mise au sein.
  • Elle décide de faire chauffer le biberon de lait maternel, sans vérifier l’identité sur le biberon, elle se concentre sur la date et l’heure du prélèvement. Ensuite elle décide de changer le bébé, de remettre le lait maternel à la patiente du 3 F et de faire la mise au sein ensuite.
  • Le professionnel décrit se précipite dans l’exécution des tâches à accomplir. L’objectif étant de répondre au plus vite aux attentes des mamans et de leurs nouveau-nés.
  • Une heure plus tard, la patiente du 2F demande à faire chauffer le biberon de supplément de lait maternel pour son enfant, l’auxiliaire se rend alors compte de l’erreur d’administration. La patiente du 2F est francophone et d’origine caucasienne et il ne reste plus de biberon à son nom dans le réfrigérateur.

Analyse

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

  1. Lisez en détail le cas clinique.
  2. Oubliez quelques instants cette observation et rapportez-vous au tableau des barrières, identifiez les barrières de Qualité et sécurité que vous croyez importantes pour gérer, au plus prudent, ce type de situation clinique. Le nombre de barrières n’est pas limité.
  3. Interrogez le cas clinique avec les barrières que vous avez identifiées en 2 ; ont-elles tenu ?
  4. Analysez les causes détaillées avec la méthode ALARM

Suite à cet incident : autres cas et actions correctives

Suite à cet incident, les actions correctives ont été diffusées largement auprès des équipes, l’ensemble des actions a été mené sur plusieurs mois : de décembre 2014 à mars 2015.

Le groupe de travail a identifié la distribution de supplément maternel comme acte à risque. Cet acte fait partie des soins pour lesquels l’interruption de tâches doit être évitée : en cas d’interruption, le processus de vérification est à reprendre dès le début comme pour l’administration d’un médicament (c’est la minute d’arrêt).

Une campagne de formation aux transmissions ciblées a vu le jour et les équipes ont été particulièrement sensibilisées à l’information délivrée aux patientes concernant les suppléments de lait maternel (Charte sur l’allaitement maternel).

Les mamans sont invitées à participer activement à la démarche de vérification du prélèvement lors de l’administration afin de sécuriser la prise en charge. Il semblait primordial de positionner les mamans au centre de la prise en charge de leur bébé de manière à sécuriser au mieux l’administration des suppléments de laits maternels.

Incident N° 2 : Un nouvel incident a été déclaré le 14 février 2015 : le professionnel s’est focalisé sur la date du prélèvement afin d’administrer le prélèvement le plus ancien, l’incident s’est produit la nuit dans un contexte de charge de travail importante. Rappelons que la nuit, les effectifs sont d’une AP et une Sage-femme pour l’ensemble de l’unité soit 23 lits.

  • Cette nuit en particulier, le service accueillait 21 patientes dont 4 nouveau-nés bénéficiaient de supplément de lait maternel, c’est la maman qui a identifié l’erreur en vérifiant l’identité du prélèvement sur le biberon (preuve de l’efficacité de l’implication du patient dans la gestion des risques et dans la récupération des erreurs) avant l’administration au nouveau-né. Celui-ci avait mal été rangé dans le réfrigérateur lors du stockage.
  • Nous avons donc fait ajouter sur les étiquettes et sur les boites le numéro de chambre.

Incident N° 3 : Un autre incident a été déclaré le 13 juin 2015, la barrière de récupération efficace a été, une fois de plus, la vérification de la patiente avant l’administration du supplément de lait maternel. La patiente a vérifié l’étiquette sur le biberon et a signalé l’erreur. L’incident s’est produit à 23 h : les deux patientes de la même chambre supplémentaient leurs bébés avec du lait maternel.
Suite à ce nouvel incident, les agents de nuits ont été sensibilisés de nouveau sur le respect des bonnes pratiques d’identitovigilance. Ce rappel a été fait de manière individuelle lors des entretiens professionnels.

L’ensemble des mesures s’est révélé efficace puisqu’aucun incident ne s’est produit depuis juin 2015…. Jusqu’à ce jour.

Incident N°4 : En effet, un nouvel incident a été déclaré le 16 juin 2018, l’erreur a également été signalée par la maman mais a postériori. Le bébé pleurait beaucoup et le biberon a été donné rapidement sans vérification. C’est lorsque le biberon était vide que la maman s’est rendue compte qu’il ne s’agissait pas de son identité sur l’étiquette.

  • Cette erreur n’a eu aucune conséquence sur la santé du nouveau-né (infection bactérienne ou virale) lors du séjour en maternité.
  • L’incident s’est produit en début d’après-midi, la charge de travail était normale et la répartition des tâches égale pour chaque secteur. Le nombre de professionnel correspondait à l’organisation définie (effectif normal).
  • L’AP du secteur 2 a été sollicitée par la patiente du 4P pour faire chauffer le supplément de lait maternel. Le réfrigérateur situé dans la nursery était peu accessible du fait de l’intervention d’un technicien sur les ordinateurs portables du service. Tous les PC portables étaient stockés dans la nursery afin de réaliser une maintenance de logiciel.
  • Elle a vérifié la boite identifiée au 4P, une étiquette était bien présente au nom de la patiente sur la boite dans le frigidaire, ainsi que le numéro de chambre, plusieurs biberons étaient stockés. Elle se focalise sur la date et l’heure du prélèvement afin de prendre le prélèvement le plus ancien. La patiente était seule dans sa chambre.
  • Lorsque l’AP a pris le prélèvement de lait maternel dans le réfrigérateur, dans le même temps, le technicien lui a demandé si tous les PC étaient présents car selon lui, il en manquait deux.
  • Elle a mis le lait à chauffer et à rechercher les PC manquants. Elle a ensuite donné le biberon à la patiente.
  • L’analyse de l’incident a mis en évidence que le prélèvement administré au nouveau-né appartenait à une patiente sortie la veille du service.

Le lait maternel de cette patiente, hospitalisée dans la même chambre, stocké dans le réfrigérateur n’avait pas été jeté lors de sa sortie.

Une procédure de vérification quotidienne du réfrigérateur a donc été mise en place afin d’éviter ces incidents.

Conclusion

La nature est remplie d’une infinité de raisons dont l’expérience n’a jamais vu la trace, Léonard De Vinci.

Cet exemple de démarche de gestion des risques démontre à quel point ce travail est difficile, il s’agit d’un véritable cycle, un éternel retour. Il est difficile d’imaginer toutes les raisons qui aboutissent aux erreurs, ceci est quasiment impossible.

En revanche, il démontre également qu’il est possible de créer des barrières qui peuvent être très efficaces : le patient comme acteur de sa sécurité.

Ceci étant, cet axe ne suffit pas, il est primordial d’impliquer les professionnels dans l’analyse de ces incidents. En effet, ils seront moteurs dans la sécurisation de la prise en charge. Quand un incident se produit dans l’unité cela les touche, ils communiquent, échangent, proposent des solutions.

Au total dans ce cas, la rigueur et l’application systématique des règles et consignes d’identitovigilance semble être l’axe essentiel pour éviter ces différents incidents.

Il s’agit de règles simples, peu chronophages et efficaces. Malgré cela les professionnels ne les appliquent pas. A ce jour, il n’existe pas de solution infaillible pour inciter les professionnels à réaliser les contrôles de manière systématique, l’espoir réside sans doute dans la capacité des équipes à récupérer les erreurs résiduelles.

Commentaire

Pour chacun des cas décrits, l’erreur d’administration n’a eu aucune conséquence sur le nouveau-né.  D‘une part, les sérologies maternelles ont été vérifiées et se sont révélées négatives, d’autre part, une surveillance clinique rapprochée du nouveau-né n’a pas mis en évidence d’infection ou de troubles du transit au cours du séjour à la maternité.
Ceci étant, il est important de rappeler les risques consécutifs à l’ingestion de lait maternel « étranger » :

  • Contamination bactérienne : en cause sont le plus souvent des Staphylocoques, mais aussi des Streptocoques. Ces germes ingérés en quantité importante dans le lait maternel peuvent provoquer des infections sévères (septicémie, méningite) chez le nouveau-né.
  • Contamination virale : les virus de l’Hépatite B, de l’Hépatite C, de l’Immunodéficience Humaine (VIH) et le virus T-lymphotrophique (HTLV) peuvent être transmis via le lait maternel. Tous ces virus peuvent provoquer des maladies graves à court terme, mais aussi à beaucoup plus long terme.