Les complications médico-chirurgicales, celles qui concernent directement l’animal pris en charge, ne constituent pas les seules complications de l’exercice professionnel. Elles peuvent entraîner des complications avec le maître de l’animal, lesquelles peuvent du reste également survenir sans dysfonctionnement ni complication dans l’acte de soins.
Nous emploierons ici à dessein le terme de maître de l’animal pour désigner le client, propriétaire ou simplement détenteur de l’animal domestique, mais en tout cas son gardien juridique hors les périodes où cette garde est transférée au vétérinaire. C’est avec lui que le contrat de soins, généralement tacite, est établi.
Même si nous avons plutôt ici en perspective l’animal de compagnie, de sport ou de loisirs, le discours est applicable avec peu de modifications au « maître de l’animal » dans les filières de production.
Au-delà des seules questions de responsabilité, dans une optique essentielle d’amélioration de la qualité et de la sécurité des actes vétérinaires, nous allons d’abord revenir sur les risques de ces complications avec le maître, c’est-à-dire les risques, pour le praticien, de la dégradation de la relation ; nous allons évoquer leurs causes et surtout faire une sorte d’inventaire des moyens de les prévenir.
Dès lors qu’un désaccord intervient avec le client sur les soins, sur les actes de façon plus générale, ou sur leur coût, se profilent les risques de perte de confiance, de perte de réputation et aussi, par voie de conséquence, de pertes économiques.
Le désaccord conduit en effet assez rapidement au conflit, lequel peut se transformer en litige vrai, avec mise en cause des responsabilités (civile, déontologique, voire pénale).
La part d’émotion liée au conflit est génératrice de troubles, non seulement chez le maître de l’animal mais aussi, sans doute largement aussi fortement, chez le vétérinaire. Le praticien est psychologiquement affecté, avec des conséquences plus ou moins graves pour lui et son entourage.
Bien sûr les causes du désaccord ou du conflit peuvent être liées à une complication dans l’évolution de la blessure ou de la maladie de l’animal, à une complication dans le déroulement des soins, que celle-ci résulte d’un aléa ou bien d’une négligence, imprudence ou maladresse, voire d’une faute caractérisée.
La cause peut ainsi se trouver directement liée aux compétences techniques du vétérinaire ou de ses collaborateurs.
Mais la cause ou les causes- qui sont souvent multiples – sont aussi très souvent liées à ce qu’il convient d’appeler les compétences non techniques du vétérinaire et de son équipe.
Quand on fait un recensement des reproches entendus, on voit bien qu’ils peuvent commencer à partir de l’accueil téléphonique ou de l’accueil par les auxiliaires ou par le vétérinaire lui-même à l’arrivée du client et de son animal dans l’établissement de soins. Tout intervient : la voix et ses intonations, les regards, la gestuelle qui peuvent être perçus négativement… Mais aussi l’atmosphère générale de l’établissement (une tension générale, une nervosité, une propreté douteuse, des odeurs désagréables).
Au cours de la consultation, ce pourra être son caractère expéditif, un défaut d’observation et d’écoute, une contention quelque peu perçue comme brutale de l’animal, et surtout – le plus fréquemment - un déficit d’explication et d’information. L’organisation du suivi de l’animal et la continuité des soins sont assez souvent mises en cause.
Les causes se situent souvent aujourd’hui du côté des compétences en communication du praticien et de son équipe : communication verbale, para-verbale et non verbale.
Tant en responsabilité civile qu’en responsabilité déontologique -dite disciplinaire, reviennent avec une très forte incidence le déficit d’information et de communication.
La prévention passe par la prévention des complications médico-chirurgicales certes, mais aussi par la qualité des locaux, installations et équipements, par la façon d’être et de communiquer, par la « bienveillance » de l’examen clinique, par un bon management de l’équipe vétérinaire et de la communication interne, par l’information délivrée, orale et écrite, aussi enfin par le contrat de soins écrit.
La qualité des soins reste un moyen essentiel de prévention de la crise relationnelle avec le propriétaire, le premier à avoir présent à l’esprit. Toutefois l’expérience démontre qu’il n’est pas suffisant.
Sur ce registre, pour nourrir la qualité des soins, la formation continue est primordiale, d’abord en soi mais aussi parce qu’elle permet la rencontre et l’échange avec les autres confrères et évite l’isolement professionnel.
La question qui se pose souvent à ce stade pour le vétérinaire généraliste est de savoir référer au spécialiste, et notamment de savoir référer à temps. On prévient de la sorte à la fois les mises en cause de la responsabilité civile professionnelle (RCP) et les plaintes disciplinaires.
La propreté et les odeurs sont parmi les premières perceptions du client qui pousse la porte de l’établissement. Des enquêtes l’ont montré.
Les équipements modernes et fonctionnels rassurent.
L’entretien et la maintenance des appareils et matériels évitent les mises en cause de la RCP.
C’est également un point essentiel. Il faut aujourd’hui connaître et comprendre les bases de la communication. Ce n’est pas sans raison que le référentiel de diplôme des écoles vétérinaires françaises a été récemment modifié pour intégrer largement ces apprentissages.
Bien communiquer avec le propriétaire n’est pas seulement l’affaire du vétérinaire, c’est l’affaire de toute l’équipe, c’est l’affaire des auxiliaires vétérinaires, lesquels(les)s offrent généralement le premier contact et la première image de l’établissement. La première impression doit être bonne.
Il est important pour les vétérinaires de savoir admettre qu’ils sont en réalité davantage jugés par le propriétaire sur leurs compétences non techniques que sur leurs compétences proprement médico-chirurgicales. Cette notion de compétences non techniques est essentielle à connaître et comprendre dans l’analyse des causes d’événements indésirables graves (EIG) au cours des soins mais aussi en vue de les prévenir. La communication, le savoir-être sont au cœur de la prévention des complications avec le propriétaire.
L’examen clinique de l’animal permet parallèlement à son objectif médical l’établissement de la relation de confiance, non seulement entre l’animal et le vétérinaire mais aussi entre son maître et le praticien. C’est dire toute son importance dans la prévention des complications relationnelles.
Or aujourd’hui précisément se développe, tant en médecine humaine qu’animale, le concept de médecine bienveillante, en quelque sorte en réaction aux aspects un peu froids de la médecine scientifique, faisant appel aux technologies sophistiquées, aux examens paracliniques nombreux ou surabondants et tendant à distendre le lien humain avec le patient et son propriétaire quand il s’agit d’un animal.
Paradoxalement la médecine fondée sur les preuves est susceptible de générer des émotions négatives défavorables à son succès, contrairement aux médecines dites alternatives et complémentaires, lesquelles privilégient un relationnel chaleureux avec le praticien, source en soi d’effet placebo positif maximal, dans le cadre d’une consultation dont la durée généralement plus longue permet l’établissement et le renforcement de la confiance, indispensable à la réussite de l’acte. Il y a lieu de tirer leçon des vraies raisons du succès de ces médecines dites douces et ressenties de la sorte comme bienveillantes.
La façon d’être et de communiquer, précédemment évoquée, trouve pleine application (gestuelle, voix, sérénité, calme, gestion du temps…) au cours de l’examen clinique, toujours effectué en présence du maître.
En tout cas, cette notion de médecine vétérinaire bienveillante est pleinement à rapprocher de celle de soins consciencieux et attentifs, cœur des moyens exigés en RCP, et aussi des dispositions de l’article R 242-48 du code rural et de la pêche maritime, dans la partie dédiée au code de déontologie vétérinaire.
Aujourd’hui l’exercice vétérinaire devient majoritairement un exercice en groupe avec des équipes incluant un grand nombre d’auxiliaires. Le management de ces équipes est fondamental. Il ne s’improvise pas.
Les défauts de communication interne peuvent causer des accidents engageant la RCP vétérinaire.
Faut-il redire ici que les compétences non techniques sont très souvent impliquées dans la crise relationnelle.
Il faut démystifier l’erreur. Il s’en produit naturellement en continu dans toute activité humaine et, plutôt que de les dissimuler, il faut apprendre à les signaler, les analyser collectivement et rebondir sur les erreurs observées dans une démarche continue d’amélioration de la qualité du service. La notion d’erreur-tremplin est à inculquer aux équipes, auxquelles il faut enseigner la culture de la transparence et de l’enregistrement des événements.
Des check-lists constituent de bons outils de prévention des EIG.
De même des tests d’auto-évaluation seraient à développer pour améliorer les fonctionnements en équipe.
Des auteurs comme Céline PORRET CONDAMIN développent le management de l’équipe vétérinaire. Celle-ci insiste sur la délégation : la délégation est un outil de valorisation et d’optimisation du travail en équipe, encore faut-il savoir déléguer. Elle développe dans ses présentations les feed-backs et débriefings qui sont devenus des processus incontournables du bon management d’une équipe vétérinaire.
Après la qualité des soins eux-mêmes, c’est sans doute le point le plus important.
Aujourd’hui il y a deux principales obligations du vétérinaire en matière de RCP, la première étant celle de donner des soins consciencieux et attentifs, conformes aux données acquises de la science, la seconde étant celle d’informer le propriétaire de l’animal. La charge de la preuve de la première obligation incombe, c’est bien connu, au demandeur, c’est-à-dire au propriétaire ou au détenteur de l’animal, tandis que, dans le second cas, le vétérinaire a la charge de la preuve, comme en matière d’obligations de résultat. Il faut être en mesure de prouver qu’on a donné l’information, notamment sur les complications possibles, même celles qui sont rares.
Tous les moyens pédagogiques sont à utiliser (livres, fiches, croquis, schémas, photographies, vidéo-films…). Le renvoi sur des sites internet d’information sélectionnés peut être utile, le cas échéant sur le propre site de la clinique.
Il faut s’assurer, dans l’échange, que l’explication a bien été comprise en la faisant si nécessaire reformuler au maître de l’animal.
Il faut expliquer à l’oral et, autant que possible, compléter par des documents écrits, indépendamment de l’ordonnance qui accompagne réglementairement la prescription médicamenteuse. Des fiches de conseils, de recommandations sont à utiliser sans modération.
Parmi les informations à donner, celle sur la surveillance des animaux hospitalisés est très importante. Dans les cliniques vétérinaires, la surveillance des animaux est rarement continue. Il faut indiquer au client, de la façon la plus claire, en le confirmant par écrit, que la surveillance est assurée de façon discontinue. Cela fait partie des conditions générales de fonctionnement de l’établissement de soins vétérinaires. Le point essentiel est de donner la règle de manière claire et transparente.
Il existe aujourd’hui de surcroît des technologies permettant de faciliter le monitoring et même la surveillance visuelle des animaux hospitalisés. Il convient de les exploiter. Donner régulièrement au propriétaire des informations sur l’évolution clinique de l’animal hospitalisé est un facteur de confiance, de tranquillité pour le maître et pour le vétérinaire ; c’est un moyen de prévention des complications.
Le contrat de soins écrit offre l’avantage indéniable et probant que le consentement a été recueilli et qu’il a préalablement été suffisamment éclairé par les informations données.
De nombreux modèles existent. On pourra se reporter au modèle en ligne sur le site ordinal, voire à la thèse vétérinaire récemment soutenue à Lyon par Julie MISSON.
Ces contrats sont à adapter à l’établissement de soins et au cas d’espèce.
Mais il faut retenir qu’ils ne dispensent surtout pas de l’échange interactif oral, des explications données dans le cadre de cette consultation bienveillante. D’ailleurs il a été jugé en médecine humaine que le consentement recueilli exclusivement par écrit dans le cadre d’un processus formel excluant le dialogue en face à face ne satisfaisait pas à l’exigence d’information.
C’est un truisme que d’affirmer qu’il est préférable de prévenir la crise relationnelle plutôt que d’avoir à la gérer. Les outils ne manquent pas dès lors qu’on veut bien se donner la volonté de développer ses compétences techniques mais aussi ses compétences non techniques. Il faut, pour les vétérinaires, développer davantage une culture de la communication, du dialogue, de la transparence, de la clarté, dans une association équilibrée de l’oral et de l’écrit.
Lien vers le site du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires :
> Le consentement éclairé et le contrat de soins
Liens vers le site de la prévention Médicale :
> Prévenir le drame relationnel : la prise en charge bienveillante de l’animal et de son maître
Liens vers le site de la MACSF :
> Déclarer un sinistre à son assureur, est-ce reconnaître sa responsabilité ?
Information et responsabilité : bibliographie sommaire