L’interruption de tâche (même justifiée) est l’une des causes prépondérantes dans la genèse des erreurs et des événements indésirables graves liés aux soins. Toute interruption, en particulier d’un processus de contrôle, doit nécessairement faire l’objet de la mise en œuvre de pratiques de fiabilité telle que la minute d’arrêt. Lors du retour à la tâche, il convient de reprendre le processus depuis le début afin d’éviter tout oubli, doublon ou confusion.
Mme D., âgée de 73 ans, est diabétique depuis près de 30 ans et présente une néphropathie diabétique depuis plusieurs années. Cette dernière a évolué en insuffisance rénale chronique (IRC) malgré les mesures de prévention et de protection prises, car la patiente était peu observante des consignes médicales.
Son traitement personnel :
Cette patiente est donc adressée par son médecin traitant auprès d’un confrère néphrologue. Un bilan clinique et paraclinique est réalisé : la patiente explique qu’elle est très fatiguée, qu’elle a moins d’appétit, qu’elle est assez souvent essoufflée et qu’elle a régulièrement des maux de tête.
Le praticien trouve lors de son examen clinique une hypertension artérielle (165/95 mm Hg), des œdèmes des chevilles.
Le bilan sanguin confirme les éléments transmis par le médecin traitant, à savoir des taux d’urée et de créatinine très élevés et un débit de filtration glomérulaire effondré, inférieur à 15 mL/min/1,73 m2 (classe 5 de la maladie rénale chronique).
Le spécialiste lui proposera donc d’entrer dans une procédure d’hémodialyse et de réaliser pour ce faire une fistule artérioveineuse (FAV) du côté gauche, puisqu’elle est droitière. Toutes les informations lui sont données, en lui précisant que ce traitement chronique permettra d’éliminer les déchets organiques, les sels et les liquides en excès qui peuvent mettre en danger son pronostic vital. Le rythme de 3 séances par semaine est d’emblée retenu. Ce traitement est présenté comme sûr, et devrait permettre de lui donner plusieurs années de répit.
La patiente demande un temps de réflexion car elle est terrorisée à l’idée d’être opérée (FAV) et de devoir s’astreindre à ces contraintes importantes et chronophages. De plus, elle avoue détester les piqûres… Enfin, elle comprend les contraintes en lien avec la FAV, notamment la contre-indication de ports de charges lourdes alors qu’elle est passionnée de jardinage. Ces différents éléments vont bouleverser ses habitudes de vie.
Le praticien lui propose un temps de réflexion, ce qui va permettre de faire un bilan échodoppler des abords (bilan pré-fistule) avec notamment la détection de la présence ou non de sténose athéromateuse et le diamètre des vaisseaux concernés. Ce bilan ne retrouve pas de contre-indication à la réalisation de la FAV.
Elle est revue en consultation par son néphrologue une dizaine de jours plus tard : elle accepte finalement le traitement par hémodialyse. Un rendez-vous avec un chirurgien vasculaire est planifié. Lors de cette consultation pré-opératoire, les informations concernant l’intervention chirurgicale lui sont délivrées. L’intervention est ensuite programmée sur une vacation opératoire du praticien.
Lors de la consultation pré-anesthésique, le médecin anesthésiste-réanimateur (MAR) ne retrouve pas de contre-indication à la réalisation de cette intervention, et propose une anesthésie locorégionale (ALR) pour créer cette FAV. Le protocole anesthésique est accepté par la patiente dans le cadre d’un parcours de soins en ambulatoire.
Le jour J, Mme D. arrive dans le service de chirurgie ambulatoire : elle est accueillie par une infirmière (IDE) qui réalise l’accueil et ses procédures administratives, et vérifie qu’elle a bien observé les consignes pour ce qui concerne la préparation opératoire, et plus précisément la préparation cutanée de la future opérée.
Elle est ensuite transférée au bloc opératoire, à la demande du médecin anesthésiste. Elle est installée en zone de pré-induction avec les autres patients qui doivent bénéficier d’une ALR.
Ce jour, sur le programme opératoire sont prévues deux patientes à la suite qui doivent bénéficier de la création d’une FAV. Elles sont appelées en même temps, et sont présentes dans ce secteur pour y bénéficier de leur anesthésie. Mme D. doit être opérée du côté gauche, et l’autre patiente du côté droit (pour les deux patientes, elles sont opérées du côté opposé à leur côté dominant).
Le médecin anesthésiste, en charge du programme du chirurgien, interroge Mme D., puis la seconde patiente, et ensuite prend les deux dossiers (en format papier) pour aller vérifier sur l’ordinateur les résultats des bilans sanguins, et plus précisément les bilans d’hémostase. Ces derniers sont normaux.
Au même moment, il est appelé pour gérer une situation urgente dans une des deux salles d’opération dont il a la charge. Il replace les dossiers sur chaque brancard… Il revient quelques minutes plus tard pour réaliser les deux ALR, en commençant par Mme D. puisqu’elle est positionnée avant l’autre patiente sur le programme. Il réalise un bloc supra claviculaire sans difficulté sous contrôle échographique.
L’IDE de bloc en charge de la salle d’opération accueille la patiente et débute l’entretien pré-opératoire : l’action d’identitovigilance est réalisée sans problème, par une question ouverte et en lui demandant d’épeler son nom et prénom et de lui préciser sa date de naissance.
L’IDE s’aperçoit alors qu’elle n’a pas le bon dossier entre les mains. En fait, elle a le dossier de l’autre malade qui va bénéficier elle aussi de la création d’une FAV. Elle conclut à une inversion de dossier. C’est à ce moment que la patiente lui demande pourquoi le chirurgien a souhaité changer de côté…
L’IDE de bloc signale le constat au chirurgien, qui en parle à son confrère médecin anesthésiste (un jeune chef de clinique). Il allait commencer l’ALR de l’autre patiente.
En revérifiant, il conclut alors qu’il a inversé les dossiers en les remettant sur chaque brancard dans la précipitation, lorsqu’il a été appelé pour gérer l’épisode de désaturation d’un autre patient en salle d’opération.
Après concertation avec son sénior, il décide de proposer à la patiente, après lui avoir expliqué l’erreur de côté, de lui refaire l’ALR du bon côté puisque les doses maximales ne seront pas atteintes, malgré la réalisation de deux ALR.
Il lui est également expliqué qu’elle bénéficiera d’une hospitalisation conventionnelle d’une nuit à l’hôpital car il ne serait pas prudent de la laisser rentrer chez elle avec les deux bras anesthésiés. Proposition qu’elle acceptera bien volontiers, même si elle est très contrariée de la situation.
L’intervention se déroulera sans aucun problème, et le chirurgien sera satisfait du résultat constaté : pas de difficulté technique, la veine est bien pulsatile, pas d’ischémie de l’extrémité du membre supérieur gauche.
L’échodoppler de contrôle objectivera un très bon résultat avec un débit artériel brachial évalué à 650 ml/min (> 500 ml/min) et un diamètre de la veine cible à 7 mm (> 4 mm).
La responsable du bloc opératoire, le chirurgien et le MAR ont déclaré cet événement indésirable (EI) conjointement par le système de déclaration de l’établissement de santé. La commission Qualité-Gestion des risques lors de leur revue des EI ne l’a pas classé comme grave. Mais faisant partie des never event, il est décidé de réaliser une analyse dans le cadre d’une démarche de gestion des risques.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier. La patiente a également été questionnée sur les raisons pour laquelle elle n’a pas interpellé les soignants lors de la réalisation de l’anesthésie au mauvais bras. |
C’est l’IDE de bloc qui détecte l’erreur de côté lors de l’entretien pré-opératoire réalisé à l’accueil du patient au bloc opératoire.
Les conséquences pour le patient sont modérées :
Les conséquences pour l’établissement :
Il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Pour aller plus loin
Le patient partenaire de la sécurité des soins - Fiche méthode 610 – Dr MC MOLL – La Prévention médicale >
A titre indicatif, lors d’interventions sur des organes ou membres pairs, la mise en place de détrompeurs en amont de l’intervention est toujours un plus (marquage du côté à opérer, détrompeur coloré dans le dossier…).
La sécurité des soins nécessite une approche systémique pour tout processus de prise en charge d’un patient, que ce soit au bloc opératoire ou dans d’autres secteurs.
Une approche systémique implique une démarche collective de tous les acteurs de soins. C’est par la vigilance constante de tous, patient inclus, que les prises en charge seront sécures pour les malades.
L’interruption de tâche doit être toujours être considérée comme une situation à risques pour le patient, générant de fait une attention toute particulière.
Pour aller plus loin
HAS - Interruption de tâche lors des activités anesthésiques au bloc opératoire et en salle de surveillance post-interventionnelle >