L'entraide est certes importante en matière de travail en équipe, cependant la délégation de tâche ne peut se faire qu’entre professionnels ayant le même niveau d’habilitation. De même, le respect de la règle des 5B doit être absolue, les EIG liés au circuit du médicament restant fréquents et souvent graves.
Mme F. est une patiente anglophone de 20 ans suivie à la maternité pour sa première grossesse. Elle ne présente pas d'antécédents médicaux significatifs.
Le suivi de grossesse est sans particularité jusqu'à la 28e semaine d'aménorrhée où la patiente se présente spontanément aux urgences obstétricales pour des douleurs pelviennes à type de contractions utérines : le monitoring mettra en évidence 2 contractions par 10 minutes, l'examen du col est postérieur, court, déhiscent à l'orifice externe avec une présentation appliquée. Une échographie du col est alors réalisée par le médecin de garde, montrant un col à 24 mm : le diagnostic de Menace d'Accouchement Prématuré (MAP) est posé. Un traitement par Adalate® per os est débuté et la patiente reçoit une première injection de corticoïdes. Le bilan infectieux prélevé est négatif.
Les contractions cessent rapidement sous Adalate® : la patiente est hospitalisée dans le service des grossesses pathologiques.
48 h plus tard, la cure de corticoïdes et le traitement par Adalate® étant terminés, il est prévu que la patiente regagne son domicile le lendemain.
Dans la nuit, la patiente sonne pour signaler qu'elle ressent quelques douleurs intermittentes modérées (EVA =2) en bas du ventre. La sage-femme palpe l'utérus qui est souple, le monitoring met en évidence 1 contraction sur 45 min d'enregistrement : elle décide alors de donner à la patiente 2 comprimés de Spasfon®.
Au même moment, une autre patiente, Mme G., sollicite l'aide de la sage-femme : il s'agit d'une jeune accouchée qui vient de perdre un très gros caillot. La sage-femme décide alors de privilégier la prise en charge de cette patiente et demande alors à sa collègue auxiliaire puéricultrice d'aller donner le Spasfon® à Mme F : elle lui décrit 2 petits comprimés roses qu'elle a préparés dans un haricot du poste de soin, avec d'autres médicaments, au début de sa garde. L'auxiliaire puéricultrice s'exécute et donne les 2 cachets à la patiente qui finit par s'endormir et ne sollicitera plus l'équipe le reste de la nuit.
L'administration est tracée dans le dossier informatisé de la patiente.
Le lendemain matin, la sage-femme de jour passe voir Mme F. pour réaliser le monitoring afin de préparer sa sortie : elle lui demande comment s'est passée la nuit, la patiente lui relate l'épisode des contractions et la prise des 2 comprimés de Spasfon® qui l'ont bien soulagée. Voulant jeter l'emballage des médicaments resté sur la table de nuit, la sage-femme s'aperçoit que la patiente n'a pas pris du Spasfon® mais de l'ibuprofène. Elle prévient immédiatement le médecin de garde. Ce dernier vient rapidement interroger et examiner la patiente et lui explique la situation. La patiente comprend que le mauvais médicament lui a été administré, une surveillance mensuelle par échographie et monitoring lui est proposée dans ce contexte : la patiente accepte.
La fin de la grossesse se déroule normalement : l'enfant, eutrophe, naîtra à terme, avec une excellente adaptation à la vie extra-utérine, et n'aura aucune séquelle de cette erreur médicamenteuse.
L'équipe médicale et les cadres du service ont souhaité une analyse de cet EI dans le cadre d'une démarche de gestion des risques car les conséquences auraient pu être graves pour le fœtus.
Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge : recueil réalisé lors d'entretiens individuels, analyse de documents et relecture du dossier par la cadre et les professionnels concernés. La méthode ALARM est retenue.
Prescription orale de médicament et délivrance par un personnel non habilité, sans vérification par le prescripteur, dans un contexte de surcharge de travail.
Partage pour une communication institutionnelle sur l’événement afin de sensibiliser l’ensemble des professionnels de santé sur les erreurs médicamenteuses.
Rappel des bonnes pratiques préconisées par la HAS, à tous les professionnels, concernant l'administration d'un médicament : la règle des 5B :
Rappels sur les actes délégués : prendre en compte le périmètre de compétences et les habitudes >> pas de délégation au personnel non habilité. Et si délégation possible, la contrôler…
Rappels sur les règles d'utilisation des chariots de médicaments : identification par chambre, nominative, préparé toutes les 12 heures par l'équipe de garde, pas de haricot avec plusieurs médicaments mélangés.
Changement de conditionnement de l'ibuprofène : il a été demandé à la pharmacie de se fournir auprès d'un autre laboratoire dont les comprimés soient différents du Spasfon® (autre couleur/taille).
Réflexion initiée sur la pertinence du remplacement des équipements anciens, potentiellement générateur de TMS.
Incitation à la déclaration des surcharges de travail comme événement indésirable pour alerter les managers de proximité, mais également les managers de direction.
Les malades en établissements de santé sont amenés à rencontrer plusieurs corps de métiers différents.
Dans le cadre de la prescription et la délivrance de médicaments, la vigilance est toujours de mise, même lorsqu'il s'agit de médicaments "banals" ou considérés comme "inoffensifs" : la charge de travail et le recours à la délégation dans un but d'entraide ne doivent pas être à l'origine d'une prise en charge dégradée.
L’administration d’un médicament est toujours un acte à risque et doit bénéficier de manière systématique du contrôle ultime au lit du patient.
Les conséquences d'une telle erreur peuvent être graves et peuvent faire des équipes des victimes collatérales : la charge de travail doit alors être prise en compte dans l’organisation du travail, même lorsqu'il s'agit de tâches habituelles.