Mort in utero non diagnostiquée d’un jumeau : l’influence du manque d'expérience et des contraintes de temps

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Mort in utero non diagnostiquée d’un jumeau : l’influence du manque d'expérience et des contraintes de temps

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La Mort Fœtale In Utero (MFIU) est un événement relativement rare (environ 2 % des grossesses à l'échelle mondiale, 0,5 % dans les pays dits "à haut revenu"). En cas de grossesse gémellaire, le risque est 7 fois supérieur à une grossesse simple.
Tous les moyens cliniques et paracliniques de surveillance doivent donc être mis en œuvre : l'expérience de l’opérateur peut être décisive.

Auteur : Candice LHAUTE – Sage-Femme / MAJ : 22/05/2023

Présentation du contexte et de la problématique

Mme J. est une primigeste de 25 ans suivie à la maternité depuis 12 SA, sans antécédents médicaux particuliers : elle présente une grossesse gémellaire bichoriale biamniotique spontanée.

Le suivi est régulier tous les 15 jours. La patiente est de groupe sanguin A positif, les RAI sont négatives, les sérologies sont sans particularité. Le test de dépistage du diabète gestationnel est négatif.

À 29 SA + 4 jours, la patiente consulte aux urgences pour fièvre à 38°3 et contractions utérines (CU) ; le bilan infectieux donne une CRP à 50, les globules blancs à 12 000 ; une antibiothérapie probabiliste est débutée, de même qu’un protocole Adalate pour arrêter les CU. Une anémie par carence martiale est aussi diagnostiquée devant un taux d’hémoglobine à 7,8 g/dl et une ferritine à 8.

La patiente est alors hospitalisée, un prélèvement grippe est fait. Le bilan de contrôle du lendemain montre une anémie à 6,8 g/dl, la patiente est alors transfusée de 2 culots globulaires et reçoit 1 g de Ferinject®. Le prélèvement grippe revient positif, la patiente rentre à domicile avec le traitement adéquat.

À 34 SA + 1 jour, l'échographie montre J1 en position céphalique et J2 en position siège avec un diamètre Bipariétal au 91e percentile. La radiopelvimétrie a pour conclusion "bassin transversalement rétréci" : une césarienne est programmée à 38 SA.

La dernière consultation de suivi a lieu à 37 SA + 1 jour, les BDC (battements cardiaques) des fœtus ne sont pas mentionnés dans le dossier.

La patiente est hospitalisée à 37 SA + 6 jours, veille de la césarienne, comme prévu dans le protocole de la maternité. Le monitoring est posé à 18 h 39 par une sage-femme vacataire : 2 RCF (rythme cardiaque fœtal) normaux sont notés dans le dossier, il n'y a pas de contractions. Les RAI sont prélevées et envoyées au laboratoire.

Le lendemain, le monitoring est posé à 7 h 33 par la sage-femme de nuit qui sort faire les transmissions à 7 h 45. La sage-femme de jour débranche rapidement l'enregistrement à 7 h 55 car le brancardier est déjà présent pour emmener la patiente au bloc opératoire : le programme commence tôt ce jour-là car il est très chargé. Elle n’a pas le temps d'interpréter les tracés dans ce contexte.

Au bloc opératoire, une rachianesthésie est posée, J1 naît à 8 h 30 en position céphalique avec un Apgar à 10, J2 naît à 8 h 32 par version grande extraction, mort-né et macéré dans un liquide méconial. Les 30 minutes de manœuvres de réanimation mises en œuvre échoueront : l'examen clinique ne mettra en évidence aucune malformation apparente, on observera un double circulaire serré et un nœud au cordon. La date du décès sera estimée entre 12 h et 1 semaine. Les prélèvements et l’anatomopathologie du placenta ne donneront pas d'indices supplémentaires sur l'étiologie du décès. La proposition d'autopsie sera refusée par les parents.

Conséquences

  • Un traumatisme pour les parents qui ne s'attendent pas au décès (ancien) d'un des fœtus.
  • Un stress intense pour l'équipe obstétricale qui doit tenter de réanimer un enfant avec Apgar à 0.
  • Une désorganisation des soins et un retard dans le programme opératoire, la réanimation et l'annonce aux parents mobilisant une grande partie de l'équipe présente ce jour-là.
  • Un sentiment de culpabilité des 2 sages-femmes ayant réalisé les monitorings et les ayant interprétés comme normaux alors que J2 était déjà mort.

Méthodologie et analyse

L'équipe médicale et les cadres du service ont souhaité une analyse de cet EI dans le cadre d'une démarche de gestion des risques. Une analyse du dossier à postériori est donc réalisée.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge. La méthode ALARM est retenue.

Cause immédiate

Absence de diagnostic d'une mort fœtale in utero (MFIU) dans un contexte de  grossesse gémellaire bichoriale biamniotique.

Causes profondes

 

Barrière qui a détecté l'incident

  • Atténuation : tentative de réanimation d'un enfant avec un score d'Apgar à 0.

 

Barrières qui n'ont pas fonctionné et qui ont permis l'incident

  • Prévention : RCF de la veille mal interprété par la sage-femme, pourtant mise en garde par les points d'interrogation notés par l'appareil.
  • Prévention : sage-femme jeune diplômée, manque d'expérience, connaissant mal le service (pas de doublure), connaissant mal le matériel (points d'interrogation non reconnus comme signe d'alerte), fatiguée et stressée ce qui a généré un manque de vigilance.
  • Prévention : contrainte horaire forte demandée par l'équipe du bloc opératoire du fait d'un programme chargé : RCF du matin en cours au moment de la venue du brancardier et RCF non interprété par la sage-femme car elle doit finir très rapidement de préparer la patiente (dossier médical, vérifications diverses).

 

Barrières qui ont fonctionné et ont permis de récupérer l'incident

  • Atténuation : maîtrise des gestes de réanimation néonatale par l'équipe.

Pistes de réflexion et d'amélioration

  • Modification du protocole portant sur le circuit des césariennes programmées : mise en place d'une consultation sur rendez-vous aux Explorations Fonctionnelles la veille de la césarienne pour la réalisation du monitoring et du bilan préopératoire (moins de contrainte d'activité et de charge de travail car créneau de rendez-vous adapté).
  • Diffusion des ordres de passage au bloc opératoire la veille pour le lendemain (et non le matin même) : les césariennes programmées seront réalisées en fin de programme sauf cas particulier : plus de temps pour préparer la patiente avant de descendre au bloc.
  • Demande auprès des équipes du bloc d'attendre la fin de l'enregistrement du RCF avant de demander d’aller chercher la patiente (20 minutes minimum légales, dans notre cas le 2e monitoring n'avait pu durer que 12 minutes).
  • Obligation pour les personnels vacataires d'avoir au moins une garde doublée par un personnel fixe avant d'effectuer une première garde seul (même dans le contexte de manque de personnel).
  • Rappel sur l'enregistrement des RCF sur les grossesses gémellaires : cela impose toujours de se poser la question "Y-a-t-il bien 2 RCF distincts ?", ne pas hésiter à repérer la position des cœurs par une échographie pour s'aider ou s'il y a un doute.

Conclusion

Le manque d'expérience, la contrainte horaire, la charge de travail, la fatigue, le stress sont des situations auxquelles sont habitués les professionnels de santé. 

Dans notre situation, l'issue pour le fœtus n'aurait pas été différente même si les enregistrements avaient été correctement interprétés dès l'arrivée de la patiente. Cependant les équipes (et le couple !) auraient pu mieux préparer la naissance de ces enfants : la prise en charge n'a pas pu être optimale et le traumatisme qui en a résulté pour tous les acteurs aurait pu être évité.

Enfin, l'analyse du RCF est un pilier fondamental de la prise en charge obstétricale : le  doute n'est pas permis et la réactualisation des connaissances doit être effectuée régulièrement.

Crédit photo : ASTIER / BSIP