Incroyable défi de l’effet domino du 21e siècle : bonnes conditions de vie, médecine d’excellence, vieillissement massif, complexification des prises en charges, changement inéluctable du système de santé, pression sur la sécurité du patient.
Depuis 1990 la population Française est passée de 57 à 67 millions. Si les tendances démographiques se poursuivent, la France comptera 76,5 millions d’habitants en 2070 (source Insee 2016).
Cette augmentation de près de 17 millions d’habitants sera essentiellement portée par le vieillissement de la population, c'est-à-dire par les personnes de 65 ans ou plus (+ 10,4 millions).
Jusqu’en 2040, la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus progressera fortement, quelles que soient les hypothèses retenues sur l’évolution de la fécondité, des migrations ou de l’espérance de vie : à cette date, environ un habitant sur quatre aura 65 ans ou plus (contre 18% en 2013). Cette forte hausse correspond à l’arrivée dans cette classe d’âge de toutes les générations du baby-boom. L’évolution serait ensuite plus modérée : selon les hypothèses, 25% à 34% de la population dépasserait cet âge en 2070 (source Insee 2016 et Global Age Watch, 2015).
Pour le dire autrement, notre croissance de population -longtemps essentiellement liée à l’absence de guerre, la qualité et l’hygiène des conditions de vie, et une médicalisation efficace maternelle et périnatale-, s’accélère maintenant avec le bénéfice de l’excellence de la médecine sur les adultes, et il n’y a pas de limite perçue à cette excellence.
En particulier, la population âgée de 75 ans ou plus serait deux fois plus nombreuse en 2070 qu’en 2013 (+ 7,8 millions).
Cette excellence de la médecine nous conduit à deux phénomènes nouveaux (Amalberti, 2016):
Dans ce contexte, le but même des prises en charge médicales se transforme : il ne s’agit plus de « guérir » mais de « permettre de vieillir avec ses comorbidités le plus longtemps possible dans les meilleures conditions ». Le long terme prend le pas sur le court terme dans l’évaluation du résultat.
La sécurité du patient se transforme complétement en parallèle : le but n’est plus d’éviter tout événement indésirable (on va travailler sur des trajectoires de vie dont la durée se mesure en dizaines d’années pour les prises en charges, ce qui n’a plus forcément plus rien à voir avec le calcul d’un risque ponctuel et son comptage pour évaluer la sécurité. Le simple indicateur de la fréquence des EIG ne peut plus suffire). Le but de la sécurité devient au contraire de détecter, gérer (le risque), récupérer et neutraliser au plus vite les évènements indésirables inéluctables d’un parcours aussi long. Dans ce cadre, le regard du patient compte autant que le regard du professionnel, à la fois dans la caractérisation de ce qui est EIG (les EIG sont aujourd’hui presque exclusivement définis par les professionnels) et sur les possibilités synergiques de le détecter et de le contrer rapidement pour en effacer toutes les conséquences sur le long terme (Vincent & Amalberti, 2016).
Un sacré changement…
Sources
• Global AgeWatch. AgeWatch Report Card, China 2015. http://www.helpage.org/global-agewatch/population-ageing-data/country-ageing-data/?country=China (accès sur le web le 8 Janvier 2016)
• INSEE 2016 : Projections de population à l’horizon 2070 Deux fois plus de personnes de 75 ans ou plus qu’en 2013, Insee première, Novembre 2016
• Amalberti R., Braithwaite, J. Nicklin W. (2016) Preparing national health systems to cope with the impending tsunami of ageing and its associated complexities. Towards more sustainable health care, IJQHC, 2016, 1-3
• Vincent C., Amalberti, R., (2016) Safer healthcare, strategies for the real world, Springer, 2016
La population vieillit, c'est un fait et le culte de la longévité fait son chemin.
Le "bien vieillir" est une aspiration légitime, mais ne faut-il pas se poser la question du "jusqu'où soigner" et de quel soin parle-t-on? S'il s'agit d'accompagner jusqu'au bout, avec humanité, évidemment. S'il s'agit de mettre au service d'une partie de la population, un système toujours plus gourmand, associant des soins toujours plus techniques et un réseau de parcours et de services à la personne toujours plus tentaculaire, se pose alors la question du sens. Le portrait de Dorian Gray n'est plus très loin, avec une jeunesse livrée au sens propre comme au figuré aux démons du culte de la longévité.
Réponse à Christian S : L’ambition infinie du système de santé et des protocoles de prises en charge complexes a nourri un bénéfice considérable à l'échelon des nations en terme d'allongement du temps de vie dans des conditions de bonne santé. Mais l’inclusion de patients plus difficiles, avec des protocoles plus complexes, à la clé de ces bénéfices nationaux , pose forcément l’alignement des structures de santé 7 jours sur 7, 365 jours sur tout le territoire. On conçoit que cet alignement n’est pas instantanné à l’échelle nationale, et que l’ambition de faire (toujours) mieux se heurte à la réalité du terrain, même chez les meilleurs quand on considère le samedi soir, ou le dimanche... L’accès au meilleur des recommandations, sans cesse revue à la hausse- qui devient un droit des patients puisqu’elle est recommandée officiellement par l’état et les sociétés savantes- est donc associée mécaniquement à plus de non respects de protocoles, plus d’inégalités de territoire, plus de difficultés à être toujours à ce nouveau niveau. C’est la raison pour laquelle le résultat de cette ambition contraste sévèrement entre la masse du bénéfice global national (vrai pour la population générale) et une queue de problèmes et de rares victimes qui augmente. Dans cette logique, la justice tranchera entre entre aléas et fautes pour tous les cas où le soin idéal (ambitieux et recommandé) n’a pas pu etre exécuté (et avec des conséquences graves) vu les conditions locales de prise en charge (effectifs, techniques, savoirs, coordination). L’histoire montre que l’excuse à ne pas respecter les protocoles recommandés pour des difficultés objectives locales commence toujours par des jugements cléments d’aléas (non fautifs) avant d’être progressivement jugés comme fautifs. Alors oui, on peut craindre plus d’EIG, et plus EIG évitables dans un système plus performant.
Si les EIG augmentent dans les prochaines décennies, la proportion d'EIG évitables dans cette augmentation sera-t-elle supérieure ou non à celle actuellement constatée? Si oui, pourquoi ?