Dans deux articles qui feront date, le LANCET propose une analyse approfondie du lien existant entre l'évolution économique de 184 pays, la part qui en résulte pour le financement public de la santé, et indirectement l'évolution de la qualité des soins. L’analyse pointe aussi les pays déviant franchement de cette tendance moyenne mondiale.
Partout dans le monde entre 1995 et 2014 (premier article), le développement économique s’est associé positivement à un meilleur financement public de la santé, et à une bascule progressive d’un ‘tout à charge’ pour le citoyen vers une prise en charge nationale de tout ou partie des soins.
Toutefois, ce sont les pays les plus riches qui ont connu dans l’absolu la plus grande augmentation annuelle des financements publics de santé (+3% annuel, pour atteindre $5221 par habitant), et ce sont les pays à peine moins riches (upper-and lower middle income countries) qui ont connu – en chiffres relatifs- le plus grand ratio d’amélioration du financement de la santé en rapport à leur rythme de développement économique (+5%, $ 964 annuel par habitant).
Les pays plus pauvres ont aussi connu une belle progression en pourcentage de leurs dépenses de santé (jusqu’à +6% annuels), mais cela reste très faible en chiffre absolu (ils sont passés en 20 ans de $51 à $120 par habitant).
En 2014, au total 59,2% des dépenses de santé étaient financés en moyenne par les finances publiques, mais cette moyenne cache le moins bon chiffre de 29% pour les pays les plus pauvres. Sans surprise, et malgré un rythme d’augmentation des dépenses de santé plus grand dans les pays pauvres, l’écart se creuse plutôt qu’il ne se réduit entre riches et pauvres.
Au total, ces moyennes cachent aussi le fait que 29 états dépensent plus pour la santé que ne le prédit leur performance économique, et 11% inversement bien moins qu’on ne pourrait s’y attendre avec leur performance économique. Il s’agit dans les deux cas de marqueurs d’une volonté politique plus qu’économique. Il en va de même de l’analyse des postes de dépenses publiques entre pays privilégiant les dépenses sur la prévention versus ceux privilégiant les dépenses curatives.
Si l’on se projette sur le futur (2015-2040, second article), que peut-on lire comme tendance ? On estime que le financement public MONDIAL de la santé va continuer à croître et même s’accélérer de US$ 9,2 billions en 2015 (un billion= mille milliards) jusqu’au chiffre astronomique de 24 billions en 2040 ; c’est le résultat d’un cercle vertueux pour la santé -mais très coûteux pour les finances-, où l’amélioration des conditions de vie et d’hygiène, couplé à l’amélioration technique continue des prises en charges médico-chirurgicales aiguës (toujours plus coûteuses) résulte dans un allongement incroyable et mondial de la durée de vie, qui sollicite encore plus en retour l’augmentation des dépenses de santé pour des pathologies chroniques du vieillissement.
En France, les dépenses de santé en 2014 atteignaient en moyenne $4589 par citoyen, soit 11,3% du PIB ; elles passeraient à $5963 par citoyen en 2030 soit 11,6% du PIB, et à $7402 en 2040 soit 12% du PIB (en utilisant une hypothèse basse supposant des réformes structurelles importantes du système de santé; à noter qu’en l’absence de ces réformes profondes du système de santé, la dette publique française est toute autre selon l'agence de notation Standard & Poor's (Le figaro.fr, 30 décembre 2016). En effet, les dépenses publiques, en premier lieu les pensions de retraite et la santé, devraient continuer à exploser sous l'effet du vieillissement de la population. Si rien n'était fait, et toujours selon cette agence, cette dégradation des comptes publics entraînerait une révision à la baisse de la note française. Dès 2020, le «AA» français pourrait dévisser de trois crans, à simple "A". "À l'horizon 2035, ajoute l'agence de notation, nous prévoyons que les indicateurs budgétaires français s'affaibliront et se rapprocheront de ceux des pays notés actuellement BBB." Soit une rétrogradation supplémentaire de trois crans.
Enfin, si l’on revient au niveau mondial, les dépenses par citoyen devraient croître plus vite dans les pays en voie de devenir riche (upper-middle income countries), de l’ordre de 5,3% par an. Ce taux serait de 4,2% pour les pays les plus pauvres, et de 2,1% pour les plus riches. Mais, au-delà des taux d’augmentation, forcément relatifs aux PIB, il faut lire le résultat en chiffres bruts : même avec seulement 2% d’augmentation annuelle, les pays riches augmenteront en moyenne leurs dépenses de santé par habitant de 5200$ en 2014 à 9200 $ en 2040, alors que les pays pauvres passeront de 75$ à 120$ avec 6% d’augmentation annuelle. Le fossé se creusera donc encore bien plus pour les pays pauvres avec pour conséquence un frein massif à l’accès aux innovations médicales toujours plus sophistiquées, et une dépendance accrue sinon totale de ces pays pauvres envers les pays riches pour leur politique de santé.
Evolution and patterns of global health financing 1995–2014: development assistance for health, and government, prepaid private, and out-of-pocket health spending in 184 countries Global Burden of Disease Health Financing Collaborator Network Lancet 2017; 389: 1981–2004 Published Online April 19, 2017 http://dx.doi.org/10.1016/ S0140-6736(17)30874-7
Future and potential spending on health 2015–40: development assistance for health, and government, prepaid private, and out-of-pocket health spending in 184 countries, Global Burden of Disease Health Financing Collaborator Network, Lancet 2017; 389: 2005–30, Published Online April 19, 2017 http://dx.doi.org/10.1016/ S0140-6736(17)30873-5
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