L’origine de l’indicateur de réadmission à 30 jours est ancienne. Déjà évoqué dans les années 60, son utilisation pour le paiement à la performance dans les hôpitaux remonte à 2010 aux États-Unis d’abord, puis dans de nombreux pays anglo-saxons. Cet article analyse les retours critiques d'experts américains sur l'utilisation de cet indicateur.
Depuis les années 1950, les cliniciens, les chercheurs et les décideurs ont régulièrement reconnu les risques liés à l'utilisation de cet indicateur de réadmissions à l'hôpital comme mesure de la qualité.
Ces critiques avaient fait renoncer à l’indicateur pendant des décennies en mettant en avant le fait que les réadmissions étaient causées par des conditions médicales et des circonstances sociales que les hôpitaux ne pouvaient pas facilement influencer.
Il était établi dans de nombreuses publications que les réadmissions étaient plus liées au territoire de soins et ses caractéristiques qu’à la qualité de l'hôpital.
Mais la résistance s'est finalement estompée.
Une étude américaine de 2009 (Jencq, 2009) rapportait que parmi les 11,8 millions de bénéficiaires de Medicare hospitalisés de 2003 à 2004, 19,6 % avaient été réadmis dans le premier mois après l'hospitalisation. Ces réadmissions représentaient un coût estimé à 41 milliards de dollars par an.
Les chercheurs et les décideurs américains ont déduit de ces résultats que compte tenu qu’une proportion importante des réadmissions était causée par des défaillances du système de santé (que ce soit en raison d'un traitement inadéquat lors de l'hospitalisation initiale ou d'un échec de la coordination des soins après la sortie de l'hôpital) alors l'adoption de politiques conçues pour réduire les réadmissions inappropriées seraient justifiée. Notamment parce que les hôpitaux reçoivent des paiements supplémentaires lorsque les patients sont réadmis.
Ces résultats ont contribué au développement du programme de réduction des réadmissions à l'hôpital (HRRP Hospital-Readmissions Reduction Program), promulgué en 2010 dans la loi de santé américaine.
En 2012, après la mise en place de l’indicateur dans le système de paiement à la performance des hôpitaux, une grande fraction des hôpitaux américains s'est retrouvée menacée par Medicare d’une réduction budgétaire allant jusqu’à 3 % (plafonnée à 1 % pendant la première année) en fonction du taux de réadmission excédentaire de leur hôpital calculée pour 3 conditions spécifiques (infarctus aigu du myocarde, insuffisance cardiaque et pneumonie), rapidement augmentée de 3 autres conditions spécifiques (maladie pulmonaire obstructive chronique, le pontage coronarien et l’arthroplastie totale).
Après la mise en place de l’indicateur, les premières études ont été encourageantes.
Par exemple, en 2016, Zuckerman signale une réduction absolue d'environ 4 % des réadmissions à 30 jours (21,5 % à 17,8 %) après l'introduction du HRRP ; d'autres études sont tout aussi positives, suggérant que le HRRP pourrait réduire les réadmissions à 30 jours jusqu'à 1 % par an. Gupta (2017) estimait même que les réductions des réadmissions avaient permis à Medicare d'économiser 620 millions de dollars par an.
Une série d’articles et d’experts américain de premier plan de santé publique s’accumulent depuis 5 ans contre cet indicateur tel qu’il est utilisé dans le paiement à la performance (voir une synthèse dans Cram, 2022).
Pour eux, l'accent persistant mis sur les réadmissions au cours de la dernière décennie, bien qu'il ait pu conduire à certaines améliorations des soins, a eu très peu d’avantages démontrés.
Pire, selon ces auteurs le HRRP aurait :
Un nombre croissant d'études suggèrent que les réductions signalées des réadmissions pourraient avoir été surestimées.
Wadhera (2019) constate qu'un nombre croissant de patients qui auraient auparavant été réadmis sont maintenant traités en externe pour éviter de charger l’indicateur.
D'autres chercheurs ont découvert qu'une grande partie de la prétendue réduction des réadmissions pouvait s'expliquer par un changement des normes de facturation qui permettent aux hôpitaux de déclarer un plus grand nombre de diagnostics de comorbidité chez leurs patients et d’échapper ainsi au comptage des réadmissions qui ne s’appliquent pas dans la loi américaine aux patients très comorbides (exception à l’indicateur).
Les comparaisons internationales remettent également en question l'efficacité du HRRP.
Des études longitudinales montrent que les réductions des taux de réadmission aux États-Unis sont également observées dans d'autres pays dans les mêmes proportions, alors que ces pays n’avaient pas introduit de politique de réduction des réadmissions.
Par exemple, Samsky (2019) montre que la réduction des taux de réadmission à 30 jours pour insuffisance cardiaque au Canada entre 2005 et 2015 sont similaires à ceux observés aux États-Unis. De même que les réductions des réadmissions pour infarctus du myocarde observées aux États-Unis entre 2011 et 2017 sont équivalentes au Canada, aux Pays-Bas, en Israël et à Taïwan (pays qui n'ont pas intégré l’indicateur dans leur paiement à la performance des hôpitaux).
En plus, ce programme de réduction des réadmissions n’est pas sans coût pour les hôpitaux.
Bien que difficiles à quantifier, ces coûts sont liés au personnel et aux ressources dédiées à une myriade d'interventions visant à réduire les réadmissions (dont certaines sont probablement bénéfiques pour les patients), mais aussi aux efforts pour améliorer le codage et la documentation qui influencent les calculs observés aux taux de réadmission attendus grâce à un ajustement en fonction du risque.
Une revue systématique des interventions visant à réduire les réadmissions à l'hôpital (Nuckols, 2017) a révélé que le coût moyen par patient était de 600 $ à 700 $ (en dollars de 2015). Si ces programmes étaient étendus à 50 % à 100 % des 9 millions d'hospitalisations annuelles de Medicare, cela équivaudrait à environ 3 à 6 milliards de dollars par an.
Au cours de la décennie qui a suivi la mise en œuvre du HRRP, on a mieux compris pourquoi les systèmes de santé ont tant de mal à prévenir les réadmissions.
Graham (2018) constate que moins de 36 % des réadmissions précoces (dans les 7 jours suivant la sortie) et 23 % des réadmissions tardives (8 à 30 jours après la sortie) étaient évitables.
De plus 47 % hôpitaux concentrent la majorité de ces réadmissions évitables.
Étant donné le succès limité du HRRP, les experts américains de plus en plus nombreux se demandent si les systèmes de santé ne pourraient pas réorienter leur focus sur d’autres priorités.
Deux questions clé sont sur la table :
La réponse est non.
Les réadmissions sont coûteuses, et même si seule une proportion modeste peut être évitée, elle vaut la peine d’être réduite.
Les programmes et efforts de réduction des réadmissions ont aussi des vertus cachées. De tels programmes ont sans aucun doute participé à l’amélioration des transferts/communications entre les équipes de soins hospitaliers et ambulatoires, ainsi que la communication des plans de traitement après la sortie et le suivi avec les patients et leur famille. L'importance de ces avantages ne doit pas être prématurément ignorée. Les réadmissions devraient donc continuer à être mesurées et suivies, mais les sanctions financières associées au HRRP pourraient être supprimées.
D'autres pratiques de sécurité des patients et de qualité pourraient constituer des cibles attrayantes.
Par exemple, un groupe d'experts de 2013 de l'Agence pour la Recherche et la Qualité des Soins de Santé américaine (AHRQ) a identifié un éventail de pratiques à privilégier :
Les hôpitaux pourraient également réaffecter leurs ressources à l'amélioration de l'utilisation de thérapies fondées sur des données probantes telles que la prescription d'inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine ou de bloqueurs des récepteurs de l'angiotensine pour les patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque congestive ou la thérapie de reperfusion pour les patients victimes d'un AVC aigu. Ces traitements sont étayés par des preuves extrêmement solides, actuellement sous-utilisées et sous le contrôle direct des hôpitaux.
D'autres opportunités potentielles d'amélioration, telles que le bien-être des cliniciens et du personnel hospitalier, l'expérience des patients, les services de traitement de la toxicomanie et les soins palliatifs, méritent également une attention particulière.
En 2010 la réduction des réadmissions à l'hôpital apparaissait comme une idée forte et un très bon objectif d'amélioration de la qualité.
En 2022, après plus d'une décennie d'efforts concertés, ce plaidoyer d’experts considère qu’il est temps de concentrer les ressources hospitalières limitées sur des cibles plus gérables, scientifiquement mieux établies et qui sont plus directement sous le contrôle des hôpitaux.