Comment détecter les médecins incompétents et prendre des mesures correctives hors contexte de plainte ?

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Comment détecter les médecins incompétents et prendre des mesures correctives hors contexte de plainte ?

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Une revue de questions mondiale peu optimiste : beaucoup de formations continues imposées, peu de vérifications du résultat, quasiment aucune suspension prononcée.

  • Médecin
  • Relationnel (patients, collègues, confrères)
  • Fréquence et nature des risques
  • Evolution des pratiques
Auteur : Pr. René AMALBERTI / MAJ : 17/06/2020

Les faits

Une faible fraction des médecins est ‘à risque‘. 2% des docteurs commettent 50% des erreurs médicales graves aux USA (Levitt, 2014). Les études en Australie évaluent les médecins ‘dangereux’ à 3% du total des professionnels. En France, une étude basée sur les données d’assurance (Amalberti, 2011) révèle que 6,8% des chirurgiens orthopédiques concentrent 46,8% des plaintes assurantielles et 64,1% du coût à charge pour l’assurance, un ordre de grandeur retrouvé dans les principales spécialités médicales et chez tous les assureurs.

Les Etats occidentaux ont depuis longtemps essayé de dépister ces médecins et agir sur leur compétence par la formation, la réorientation, voire l’interdiction d'exercer.  

Quelle évaluation ?

Dans toutes ces formules, et dans tous les pays, les évaluations manquent pour ces dispositifs de recertification, mais celles existantes et récentes ne montrent aucune amélioration patente de la sécurité des soins, ni de capacité particulière à éliminer les médecins vraiment incompétents (Hayes, 2014) ; les seuls bénéfices régulièrement pointés sont une meilleure pertinence avec une baisse de 2% du coût moyen de prise en charge des patients US pour les médecins certifiés (Gray, 2014).

Quelle sanction ?

Quasiment aucune suspension d’exercer avec perte de licence n’a été prononcée dans le monde suite à ces processus de recertification.

Les dispositifs pour détecter les médecins incompétents

Les ordres médicaux sont souvent cités comme les garants de la qualité des médecins et sont les institutions qualifiées pour prononcer des suspensions d’exercer pour les médecins incompétents, mais ils ont surtout une capacité reconnue en cas de plaintes et sont plus en difficulté en dehors de ce contexte comme le montre la suite de cet article.

L’accréditation individuelle pourrait aussi avoir cette fonction, mais les obstacles ne manquent pas et on parle plus d’obligation de formation continue que de remise en cause régulière du diplôme. Dans la réalité, le résultat de l’accréditation est souvent à valider par l’ordre des médecins en matière de capacité d’exercer, ce qui ramène au cas précédent des difficultés à exercer ce pouvoir hors contexte de plaintes de patients.

Les obstacles

La première difficulté tient à laresponsabilité propre du médecin sur ses mauvais résultats.

On sait que ce résultat dépend du médecin seulement à hauteur de 10%, de la plateforme de soins et son équipe pour 50%, et des choix de société (accès aux soins) et même des patients pour la part restante. La non adhésion des patients aux prescriptions du médecin atteint régulièrement 50% (Barber, 2002 ; Brown 2011).
Dans ce contexte, juger le médecin sur ces seuls résultats statistiques sur la population qu’il traite est risqué, voire injuste.

La seconde difficulté tient au mécanisme même de contrôle

Pour surveiller ce risque, tous les pays occidentaux ont décidé la nécessité d’une formation professionnelle continue obligatoire, elle-même divisée en deux modalités.

  • Continuing Professional Development (ou CPD) obligatoire, mais souvent basique et portant plus sur un volume exigé qu’un contenu exigé (quantité d’heure, d’activité de formation, crédits à obtenir, - de 12 minima à 80 au Canada). En France le Développement professionnel continu (DPC) correspond à cette modalité.
  • Continuous Medical education (ou CME), avec un programme précis et imposé à suivre en fonction de la spécialité. En France on pourrait la rapprocher de l’accréditation des médecins des spécialités à risques. Le programme ou les contenus sont souvent délégués par le gouvernement aux sociétés savantes.

Ces systèmes peuvent conduire à une mise en jeu du maintien de licence si la formation n’est pas suivie (Allemagne, Australie, Nouvelle-Zélande, Singapour, USA notamment) mais cette sanction n’est en général jamais observée dans la réalité (c’est notamment le cas en France et en Grèce).

Pire, ces formations sont réellement évaluées par les ordres médicaux dans très peu de cas : les pays les plus vertueux contrôlent à peine la réalité des déclarations et les résultats des formations effectuées par 2 à 5% de leurs médecins sont tirés au sort (Slovénie, Nouvelle-Zélande) ; et pour les autres aucun résultat, ce qui montre les limites du mécanisme de tampon re-revalidation remis par l’ordre des médecins.

Certains pays pénalisent financièrement le médecin non observant, d’autres le font coacher par un pair ; la plupart demandent simplement une mise en conformité avec beaucoup de tolérance dans la date de réalisation.
Sur tous les pays occidentaux, seule la Hongrie présente quelques cas de suspension de licence (Murgatroyd, 2011).

Enfin, une minorité de pays (Pays-Bas, USA, Norvège, Croatie, Singapour) sont allés encore plus loin en remettant en jeu le diplôme par une certification cyclique et limitée dans le temps (5 ans aux Pays-Bas et en Norvège, 6 ans en Croatie, 10 ans aux USA). En général, le processus de recertification inclut la validation du CPD ainsi que d’autres exigences.

Un endogamisme coupable

L’exemple de l’évolution des prérogatives de l’ordre des médecins au Royaume-Uni (General Medical Council) (Chamberlain, 2010) est illustratif à ce propos.
Traditionnellement la profession médicale au Royaume-Uni a été organisée et gouvernée par le General Medical Council (GMC), crée par le Medical act de 2006. Les membres du GMC sont élus par leurs collèges et sont issues des ‘élites’, professeurs et Lord, avec une histoire qui a montré une réduction progressive des membres non médicaux. Le GMC rend compte au parlement via le Privy council pour entériner ses décisions, mais dans la pratique reste extrêmement autonome. Ses responsabilités sont doubles : gérer la liste des médecins qualifiés, et définir les qualifications nécessaires. Ce champ d’autorité lui confère aussi un rôle central dans la formation.

En 2008, la situation a commencé à changer à cause d’une succession de scandales mettant en cause la compétence des médecins anglais (ie : pédiatres du Royal Bristol Infirmery en 96). Le GMC a d’abord réagi en introduisant le concept de ‘new medical professionalism’, basée sur un usage plus contraint de l’evidence-based médecine et une promesse de contrôle plus régulier. Mais la coupe s’est progressivement remplie avec la survenue de l’incroyable histoire du Dr Harold Shipman en 2008, généraliste qui aurait tué plus de 215 patients pendant plusieurs années sans que le GMC le décèle. L’Etat anglais s’est ému de cette affaire et a commencé à devenir nettement plus superviseur du GMC. Ainsi en 2008, deux nouvelles réformes ont profondément changé le système anglais du GMC :
(1) le nombre de membres du GMC a été réduit de 26 à 12, dont 6 personnalités non médicales,
et (2) encore plus important, le GMC a perdu une partie de ses capacités de sanction disciplinaire: le GMC reçoit les plaintes contre les médecins, mais n’est plus chargé d’établir la sanction qui est confiée à un groupe indépendant. De plus, l’affiliation des médecins est aussi soumise à un avis décisionnel du NHS (ministère) qui impose une formation continue annuelle, et une revalidation NHS annuelle.

Les médecins anglais n’ont pas manqué de réagir et atténuer par tout moyen l’effet de la réforme notamment par le concept de "restratification" qui sous différents subterfuges maintient une élite médicale sans son pouvoir de régulation de la profession ; l’astuce de la restratification est de parier sur des éléments objectifs comme l’EBM et les protocoles pour faire admettre le caractère scientifique en replacement des visions artistiques et tacites de la discipline, et donc son caractère contrôlable, mais aussi son caractère imposable à l’état (en contre poids des pressions économiques d’état), et son caractère expert (inaccessible à des naïfs). Finalement, dans la restratification, les médecins dirigent l’usage, et les non médecins sont limités à prononcer des sanctions pour ceux qui dévient le plus.

Le maintien de certification du diplôme de médecin : recertification obligatoire

Aux USA ’American Board of Internal Medicine'  (ABIM) a mis fin à la certification à vie des médecins en 1990 et l’a remplacé par une formule de certification à renouveler tous les 10 ans (maintenance of certification, MOC) qui comprend 4 exigences :

  • La partie 1 vérifie la licence d’exercice,
  • la partie 2 atteste de l’engagement actif du médecin dans des programmes de maintien des compétences organisés par son collège,
  • la partie 3 est appelée expertise cognitive, et vérifie les savoir-faire dans la relation médecin malade et dans les relations professionnelles à partir de mises en situation et de jeux de rôle ;
  • la partie 4 correspond à une évaluation des connaissances professionnelles au sens classique à partir de vignettes de cas cliniques où les médecins engagés doivent démontrer qu’ils connaissent les recommandations professionnelles de leurs spécialités.

Il y a aujourd’hui de l’ordre de 375.000 médecins engagés dans un programme de certification de spécialités (24 spécialités). Mais depuis 2011, la grogne augmente notamment à la FSMB (Federation of state medical boards). Même si le nombre d’engagés a augmenté en flux de presque 50 000 par an, les critiques se font faites de plus en plus fortes sur le coût et le temps à consacrer à ce type de programme, et même sur la forme (test des connaissances sans accès internet, ce qui est considéré comme stupide aujourd’hui).

Le MOC a donc évolué en 2012 passant du système initial OUI/NON tous les 10 ans décrit ci-dessus à un système de surveillance et de validation continue dont la forme la plus aboutie (mais pas la plus pratiquée) fournirait à terme un feedback continu sur les pratiques personnelles et leur efficacité (tableau de bord de résultats). Pour le moment, le portail public US mentionne simplement si les médecins ont satisfait au suivi continu de certification (s’ils sont certifiés)… sans pour autant leur interdire de pratiquer s’ils ne l’ont pas (encore) fait (s'ils sont en cours de certification) (Iglehart, 2011 ; Hayes, 2014).

L’intérêt d’une évolution vers une certification d’équipe

Certaines critiques insistent aussi sur la transformation du travail médical, avec des prises en charge de plus en plus collectives, type maison de santé ou services, gommant à l’évidence les différences individuelles. Du coup, cela pose en cascade à la fois l’intérêt limité d’une certification individuelle et l’intérêt très fort d’une certification collective (Lee, 2014).

Quel bilan, quelles pistes ?

A l’évidence, tous les pays sont en difficultés pour trouver un mécanisme efficace d’élimination de la petite partie incompétente de leur corps professionnels.

Les dispositifs ne sont pas des solutions magiques, car ils sont efficaces sur le papier et inefficaces dans le réel. La faute est peut-être liée à la complexité des mécanismes d’évaluation à mettre en jeu, à l’acceptation par le corps professionnels, mais elle est aussi souvent attribuée à l‘'endogamisme’ de ces systèmes, qui ont du mal à prendre de la distance vis-à-vis de leur propre corps. 

Bibliographie

  • Amalberti R, Bollini, G., Caton J., O. charrois, Nordin J.Y., Papin P. (2011) Dimensions du risque en chirurgie orthopédique en activité libérale, Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique, Volume 97, Issue 3, May 2011, Pages 348-358  
  • Barber N (2002) Should we consider non-compliance a medical error? Qual Saf Health Care, 11(1):81-84  
  • Brown M. Russell, Medication adherence, Mayo clinic proc. 2011 :86 (4) 304-14  
  • Chamberlain J. Governing Medicine: Medical Autonomy in the United Kingdom and the Restratification Thesis, eä, 1, 3 ( April 2010)  
  • Hayes J., Jackson J., McNutt G., Hertz B., Ryan J., Pawlikowski S. Association Between Physician Time-Unlimited vs Time-Limited Internal Medicine Board Certification and Ambulatory Patient Care Quality, JAMA. 2014;312(22):2358-2363  
  • Hershberger P., Bricker D. Who determines physician effectiveness ?, JAMA 2014, 312, 24, 2613-14  
  • Murgatroyd G., General Medical Council, Continuing Professional Development, July 2011  
  • Gray B., Vandergrift J., Johnston M., Reschovsky J., Lynn L., Holmboe E., McCullough J., Lipner R., Association Between Imposition of a Maintenance of Certification Requirement and Ambulatory Care–Sensitive Hospitalizations and Health Care Costs JAMA. 2014;312(22):2348-2357.  
  • Iglehart J., Baron R., Ensuring Physicians’ competence. Is maintenance of certification the answer ? New Engl j Med 367; december 27, 2012  
  • Lee T. Certifying the Good Physician A Work in Progress, JAMA, 312 (22) 2340  
  • Levitt P., Challenging the system approach : why adverse events rates are not improving, 2014, BMJ QUal Saf On line first