Il s’agit d’un texte court, facile à lire, (155 pages) écrit à quatre mains par deux spécialistes du risque: Charles Vincent, ex Professeur à University College London, maintenant à Oxford, et René Amalberti, ex Professeur du Val de Grâce, maintenant à la HAS et à la Prévention Médicale groupe MACSF
Le livre commence par un constat : on a fait beaucoup depuis 15 ans pour la sécurité du patient, avec des succès, mais on doit maintenant changer significativement la façon dont on procède. Il n’y a pas de choix et c’est la conséquence de l’excellence de la médecine.
Le système de santé change par le fait des savoirs accumulés, de la réduction massive des durées d’hospitalisation, de l’augmentation considérable des patients complexes, survivant à des pathologies qui les auraient tués rapidement dans les années 90, et qui maintenant conduit à un vieillissement massif.
Six évolutions majeures sont proposées
- Accepter l’idée que le périmètre de la sécurité du patient est en augmentation continue, sous l’effet de l’ambition médicale sans limite. Ce périmètre mouvant, et en extension constante suppose de reconsidérer les acquis et les priorités très régulièrement.
- Accepter que la sécurité du patient n’est pas la suppression de toutes les erreurs, et évènements, mais la gestion au mieux des risques consentis par le système de santé pour le bénéfice des populations. Dans ce contexte, la réduction de la fréquence des problèmes est moins une priorité que la réduction de la gravité des impacts. Le Zéro défaut n’a aucune chance de se réaliser dans un système médical dont l’ambition est sans limite, poussé sans arrêt à la hausse, pour incorporer et prendre en charge toujours plus efficacement des patients toujours plus âgés, toujours plus complexes, sur tout le territoire, 7jours sur 7 (et souvent avec des contraintes accrues de temps et d’accès à des spécialités rares, comme pour l’AVC); ce système accepte des risques considérables pour assouvir son ambition au bénéfice général de la population. Mais si le bénéfice finit par être réel et statistique pour la population, il masque une queue croissante de distribution de patients victimes qui ne peuvent pas bénéficier des soins attendus. Dans ce contexte, la sécurité du patient ne consiste pas à supprimer l’ambition du système… ni en réduire la vitesse, mais à limiter l’impact essentiellement en gravité sur les patients. La gestion des risques devient plus systémique, et remplace la simple logique de réduction des risques.
- Accepter les conséquences du bénéfice de la médecine et de la survie massive des patients. Ces patients sont forcément plus experts, plus exigeants, plus participatifs et ont un rapport à la sécurité qui change. Leur ‘retour à la vie’ s’accompagne naturellement d’une exigence de bien vieillir, du besoin de chirurgies de confort fréquentes, et déplace le curseur de ce qui est perçu comme un problème grave par ces patients. Les préjudices psychologiques, le poids des traitements imposés sur des années (‘burden of care’) deviennent des enjeux considérables qui peuvent altérer totalement le plaisir à vivre. Il faut pouvoir décentrer le regard des professionnels, dépasser notre vision purement technique et ponctuelle de l’accident causé par une erreur évidente causée par un professionnel clairement identifié ; il faut mieux écouter les patients dans leur vision intégrée du vécu des défauts de leur prise en charge sur le moyen et long terme, avec hélas la trop fréquente lente accumulation de soins de mauvaise qualité, d’attention psychologique insuffisante, de coordination insuffisante entre professionnels. En bref, il faut savoir devancer l’événement grave qui se prépare sur le lit de ces négligences accumulées dans le temps.
- Accepter l’idée que la logique de la sécurité du parcours de soin doit prendre le pas sur la sécurité de l’acte isolé, que la vision intégrée réintroduisant la totalité de la prise en charge est plus importante pour la sécurité que la vision réactive et isolée à des défauts ponctuels. Il faudrait réintégrer les événements indésirables dans le temps de l’épisode de soin, en considérant le ratio bénéfice-risque des soins apportés, des erreurs commises, des détections et des récupérations. Cette remise en perspective permet de remettre l’accent sur les vraies priorités, sur la récupération des erreurs, et sur l’efficacité de l’équipe dans la prise en charge, et in fine sur l’efficacité médicale de cette prise en charge (le résultat en fin d’épisode) qui doit rester l’élément essentiel de la mesure de la performance médicale. Une nouvelle grille d’analyse des EIG est proposée dans le livre en remplacement et évolution de la grille ALARME pour rendre compte de cette évolution.
- Accepter l’idée qu’il n’existe pas un seul modèle de sécurité pour toute la médecine, mais plusieurs qui s’appliquent à des contextes et conditions très différents d’exercice. Les solutions ne peuvent pas être les mêmes pour tous.
- Mieux utiliser la centaine de stratégies d’amélioration de la Qualité et de la Sécurité déjà identifiées et utilisées dans l’industrie selon les contexte ; hélas la médecine se sert au mieux de 4 ou 5 stratégies (avec au premier rang la conformité aux référentiels) et ignore les autres, avec un contre emploi évident de ces 4 ou 5 stratégies dominantes dans des contextes où elles sont totalement inefficaces. Tout se passe comme si on s’interdisait certaines actions que l’industrie pratique tous les jours (par exemple fermer quand les conditions de sécurité ne sont plus du tout acquises). On est souvent bien loin de l’intérêt du patient qui est pourtant présenté en excuse pour ne rien changer.
Les derniers chapitres multiplient les exemples et les conséquences de ces 6 ruptures dans le contexte de l’hôpital, des soins primaires, des soins à domiciles, et plus globalement dans celui des politiques publiques.