Les conséquences dramatiques (arrêt cardiaque du patient) d'un refus de transport par ambulance malgré la décision d'hospitalisation en urgence par le médecin généraliste.
• Un traitement symptomatique de cette défaillance multiviscérale, avec notamment épuration extra-rénale est mis en route. Après une relative stabilité initiale, l'évolution est rapidement défavorable entraînant le décès du patient le 18 mars à 11 h 55.
- Conclusion : arrêt cardio-respiratoire d'étiologie indéterminée.
- Découverte d'une pathologie interstitielle pulmonaire avec adénopathies médiastinales
- Absence d'autopsie
Assignation du médecin généraliste devant le tribunal de grande instance par l'épouse du patient pour obtenir réparation du préjudice qu’elle avait subi (octobre 2012)
L’expert ,médecin généraliste, reprenait les conclusions du service de réanimation du CHU, soulignant que seule une autopsie aurait pu donner un complément d'information pour expliquer l'origine de l'arrêt cardio-respiratoire responsable du décès du patient.
A son avis, deux questions étaient à poser :
" (...) 1) Le suivi par le médecin traitant aurait-il pu prévenir le décès du patient ?
La réponse était non, aucune cause du décès n'ayant été retenue.
2) Le fait de laisser partir seul et par ses propres moyens le patient le 17 mars, a-t-il augmenté les risques d' arrêt cardio-respiratoire chez le patient, compte-tenu de son état clinique ?
La réponse était oui probablement, malgré l'absence de cause de décès identifiée, mais cette réponse était tempérée par le refus du patient d'un transport en ambulance affirmé par le médecin traitant qui aurait dû néanmoins noter ce refus dans le dossier médical...
En outre, en raison de la dyspnée et de l'altération de l'état général du patient , le médecin aurait dû évoquer les pathologies pouvant être à l'origine de cette aggravation telles qu'une pathologie coronarienne, une poussée d'insuffisance cardiaque, une pathologie pulmonaire, une embolie pulmonaire. Il aurait pu en discuter, éventuellement avec le médecin régulateur du centre 15 en lui demandant de confirmer au patient, les risques qu'il courait en se rendant, seul et à pied, aux urgences hospitalières.
Toutefois, l'attitude antérieure du patient -- refus d'effectuer des examens complémentaires et refus d'un suivi médical réel ( confirmés par son épouse) -- peut conforter les propos du médecin traitant concernant le refus par le patient, d'un transport en ambulance .
En conclusion, et en tenant compte du dossier médical et des explications données lors de l'expertise, les soins prodigués au patient par le médecin traitant ont été conformes aux règles de l'art (...)".
Les magistrats estimaient qu' : " (...) Il ne saurait être fait grief au médecin traitant de ne pas avoir fait appel a une ambulance ou à un SMUR devant le refus du patient. Si ce refus, dont fait état le médecin, n'a pas fait l'objet d'une formalisation, il n'en reste pas moins crédible à l'aune du comportement antérieur de M X..., patient difficile et rétif aux traitements ainsi que son épouse en a elle-même convenu lors de l'expertise.
Si l'on ne peut donc faire grief au médecin d'avoir respecté le refus de son patient, il n'en demeure pas moins établi que le choix du patient de vouloir se rendre aux urgences du CHU par ses propres moyens relève d'une imprudence.
Le médecin a nécessairement été conscient de cette imprudence, dès lors qu'en lui proposant un transport en ambulance pour se rendre au CHU, il estimait nécessairement que son état de santé le justifiait.
Or force est de constater que le docteur A... qui, en tant que médecin traitant connaissait les antécédents du patient et ses refus de traitements, ne justifie nullement l'avoir informé le patient des risques que son refus d'aller aux urgences en ambulance, lui faisait courir, n'ayant rien consigné dans le dossier du patient.
L'expert déplore qu'à cet égard, le docteur A..., même s'il a été médecin régulateur lui-même, n'ait pas appelé le médecin régulateur du centre 15 pour une prise en charge optimale et une meilleure information du patient, avant de le laisser quitter son cabinet.
Echouant à administrer la preuve qu'il a satisfait à son obligation contractuelle d'éclairer le refus de son patient, le docteur A... doit, dès lors, être jugé responsable des conséquences de ce manquement fautif (...)"
Le tribunal allouait la somme de 2 000€ à l'épouse du patient en réparation de son préjudice moral mais rejetait sa demande de réparation de son préjudice matériel, le lien de causalité entre le manquement à l'obligation d'information et de conseil du médecin et ce décès, n'étant pas établi.
Dans l’ouvrage intitulé : « Audit de sécurité des soins en médecine de ville » de René Amalberti et de Jean Brami, édition Springler-Verlag France, Paris, 2013 , une partie du chapitre 8 "Relations avec les patients" est consacrée aux patients "difficiles" et notamment aux patients "non observants " (pp 130-1) :
"(...) Cette catégorie de patients est particulièrement nombreuse puisque les études répétées pointent toutes des chiffres qui se situent entre 20 % pour les plus optimistes et 50 % pour les moins optimistes. Le constat n'est pas nouveau.
Déjà, dans une étude parue en 1993 dans le British medical journal, la comparaison des prescriptions du généraliste avec les achats en pharmacie des patients montrait des écarts significatifs. L'analyse de 21 000 prescriptions réalisées en milieu rural pendant 3 mois par 9 généralistes d'un centre de santé auprès de 4 854 patients montrait que près de 15 % des patients n'avaient même pas cherché à obtenir les médicaments prescrits, chiffre qui variait par ailleurs sensiblement en fonction du sexe et de l'âge du patient ainsi que du médecin prescripteur. Le taux montait à 24,8% pour les pilules contraceptives et s'élevait également le week-end et quand il s'agissait d'une prescription réalisée par un interne en formation au cabinet ou par un remplaçant.
La non-observance touche d'abord le non-respect de la durée des prescriptions et le délai excessif de la réalisation (ou non) des examens complémentaires, particulièrement ceux prescrits dans le cadre du dépistage. Les changements de dose ou le remplacement par des médicaments de substitution (remplacement facilité par l'arrivée des génériques) viennent comme seconde source de non-observance en fréquence et en gravité.
Beaucoup d'études de non-observance ont été réalisées sur des pathologies chroniques comme le diabète.
Les modèles expliquant la non-observance sont assez nombreux. Certains accordent une priorité aux patients. Par exemple, la non-observance dans les maladies chroniques est souvent associée à la nature, à long terme, des récompenses "promises" par une observance totale. Il s'agit, bien sûr, d'une récompense abstraite, exprimée de manière négative et qui, en fait, n'est jamais reçue (on s'évite des complications. La force du désir, véritable moteur de nos actions, dépend puissamment de la proximité de la récompense. D'autres explications viennent du modèle économique. Mais, la cause la plus souvent citée, vient de l'interaction avec le médecin.
Le style de communication du médecin, la relation médecin-patient et le degré de confiance mutuelle sont des facteurs clés dans l'observance du patient. La non-observance résulte d'une interaction dysfonctionnelle entre un modèle de médecin trop indifférent à la perception réelle du patient sur sa pathologie ou trop normatif et réglementaire ou trop pressé et un patient trop consommateur ou trop peu convaincu de la logique de la prescription (..)".
En conclusion, R Amalberti et J Brami soulignent que : "(...) Les patients "difficiles" ne sont pas, seulement, problématiques pour les relations humaines, ils sont aussi le révélateur ou l'accélérateur de risques supplémentaires dans leur prise en charge. Ces patients sont une source accrue d'erreurs (...)". L'observation rapportée en est, malheureusement, l'exemple.