La diarrhée aiguë chez un patient avec comorbidité ne doit pas être banalisée ni traitée de manière systématique par une antibiothérapie sans une évaluation soigneuse des signes cliniques, de leur aggravation et sans un examen biologique des selles. Des signes de gravité comme une tension imprenable et une déshydratation doivent orienter rapidement vers une hospitalisation.
Le 4 janvier 2010, une femme de 61 ans, commerçante, appelle son médecin traitant car depuis les fêtes de fin d'année, elle se plaint de ce qui ressemble à une gastroentérite aiguë. Dans ses antécédents, on note une obésité morbide (IMC > 45) et une HTA traitée par un bêtabloquant (Sectral®) et un inhibiteur de l’enzyme de conversion (Coversyl®). Lors de la visite de son médecin, la TA est à 120/70 mmHg. Ce dernier prescrit des antibiotiques (doxycycline , Flagyl®) en raison de la fièvre (température non notée dans le dossier).
Le 11 janvier 2010, en raison de l’aggravation du tableau clinique, la patiente fait appel au médecin de garde. Celui-ci retrouve une tension "imprenable" (techniquement ?) mais ne la fait pas hospitaliser.
Le 12 janvier 2010, au matin, devant la majoration croissante des symptômes, à la demande du mari de la patiente, le médecin traitant intervient et décide, au vu de la situation clinique gravissime (déshydratation importante, obnubilation), de la faire hospitaliser (tension artérielle difficile à prendre et aucun chiffre noté).
Le médecin traitant dit avoir eu beaucoup de mal à obtenir le 15. La patiente est finalement transférée par les pompiers (transport non médicalisé). Elle arrive aux urgences du CHU à 14h31. Il est noté un choc hypovolémique (TA 77/27 mmHg, marbrures et extrémités froides). Une réhydratation est mise en place (dossier non renseigné).
Le bilan biologique de 20h28 (soit 6 heures après l'arrivée) montre une hyperkaliémie (5,6 mmol/l), une insuffisance rénale aiguë (créatininémie à 1011 µmol/l) (Normal : 80-100), une hyperlactatémie (3,37 mmol/l) avec une acidose métabolique grave (pH 7,21, bicarbonates à 6,6 mmol/l).
Vers minuit, la patiente est retrouvée en arrêt circulatoire, résolutif après massage cardiaque et l’injection de 2 mg d'adrénaline.
En raison de l'absence de place dans le service de réanimation du CHU, la patiente est transférée en réanimation dans un autre centre hospitalier où elle décède le lendemain à 18h30.
Le diagnostic retenu en post-mortem est celui d'une colite grave à Clostridium difficile compliquée d'une septicémie à Candida albicans et entérocoque.
A noter que dans son rapport, l’expert souligne que les différents dossiers consultés étaient assez pauvres et peu précis eu égard à la gravité de la situation.
Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par les ayants droit de la patiente pour obtenir réparation du préjudice qu’ils ont subi (décembre 2015).
Pour l’expert, professeur des universités, anesthésiste-réanimateur :
"(…) La prise en charge de la patiente par son médecin traitant a été incorrecte car l'antibiothérapie choisie en termes de molécule et de durée n'est pas adaptée. Aucune recherche de toxine de Clostridium difficile n'a été demandée devant l'aggravation de la symptomatologie clinique.
L'évaluation de la gravité n'a pas été optimale, et malheureusement il y a une chaîne d'inconséquences allant de la prise en charge en ville (médecin traitant), suivie par l’absence d’hospitalisation par le médecin de garde, le transport non médicalisé par les pompiers (centre 15) et le manque de réactivité de l'équipe médicale des urgences du CHU.
Les traitements habituels de la patiente ont pu aggraver la situation hémodynamique car elle était sous bétabloquant et IEC pour son hypertension. Son rythme cardiaque ne pouvait s'accélérer, aggravant l’hypotension.
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Se fondant sur le rapport d’expertise, la Commission considérait :
"(…) Qu'en premier lieu, il résulte de l'instruction qu'un lien de causalité direct et certain peut être retenu entre le décès de la patiente et la prise en charge médicale litigieuse.
En deuxième lieu, les soins dispensés par le médecin traitant n'ont pas été conformes aux règles de l'art. En effet, la patiente présentait un tableau de gastroentérite aiguë fébrile. L'antibiothérapie prescrite était inadaptée que ce soit en termes de molécule comme en termes de durée. La doxycycline n'était pas indiquée. En outre, aucune recherche de toxine de Clostridium difficile n'a été demandée devant l'aggravation de la symptomatologie clinique.
En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, devant l'aggravation de son état de santé, la patiente a consulté le médecin de garde. La commission considère, suivant les conclusions expertales, que les soins dispensés par ce dernier n'ont pas été conformes aux règles de l'art. En effet, le médecin de garde a mal évalué la gravité de l'état de santé de la patiente, alors même que sa tension artérielle était imprenable. Face à ces éléments, il aurait dû faire hospitaliser la patiente.
En quatrième lieu, la Commission considère, suivant les conclusions expertales, que les soins dispensés au CHU n'ont pas été conformes aux règles de l'art. En effet, le 11 janvier 2010, le médecin traitant a contacté le centre 15 au regard de l'état de santé gravissime de la patiente (déshydratation, tension imprenable, obnubilation). Au regard de l’état de santé de la patiente, le Centre 15 aurait dû organiser un transport médicalisé jusqu'au CHU. Or, le centre 15 a décidé d'envoyer les pompiers au domicile de la patiente. S'il y a eu une mauvaise régulation du centre 15, la commission estime que cela n'a pas entraîné une perte de chance d'éviter le décès de la patiente.
En revanche, la prise en charge au sein du CHU n'a pas été conforme aux règles de l'art. En effet, il y a eu un manque de réactivité de l'équipe médicale des urgences qui n'a effectué un bilan biologique que 6 heures après l'arrivée de la patiente. Ce manque de réactivité a été à l'origine d'un important retard de prise en charge d'une patiente en état de choc et a entraîné une perte de chance d'éviter le décès de la patiente. Le CHU ne conteste pas ce manquement.
La Commission estime que ces manquements sont à l'origine d'une perte de chance d'éviter le décès de la patiente. Il sera fait une juste appréciation de cette perte de chance en l'évaluant à 80 %.
- Le médecin traitant doit être reconnu responsable de 10 % des préjudices subis.
- Le médecin de garde doit être reconnu responsable de 20 % des préjudices subis.
- Le CHU doit être reconnu responsable de 50 % des préjudices subis.
En revanche, la Commission estime qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre des pompiers dès lors que le défaut de transport médicalisé est imputable au centre 15 et que le délai de transport par les pompiers d'une dizaine de minutes entre le domicile de la patiente et le CHU a été rapide et n'a, en tout état de cause, pas entraîné de perte de chance d'éviter le décès de la patiente. Par suite, la responsabilité des pompiers ne peut être retenue (…)".
A la suite de cet avis de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation, les ayants droit de la patiente décident d’assigner le médecin traitant, le médecin de garde et leurs assureurs en réparation de leurs préjudices (octobre 2019).
"(…) L’auteur de l’une des causes d’un dommage est tenu d’assurer la réparation intégrale de celui-ci vis-à-vis de la victime, sous la seule réserve d’un recours ultérieur contre les autres auteurs.
En l’espèce, les demandeurs n’ont donc pas l’obligation de diviser leurs poursuites et peuvent solliciter l’indemnisation du préjudice auprès d’un seul co-responsable, à charge pour ce dernier d’exercer les recours subrogatoires dont il dispose vis-à-vis des autres responsables.
Il ne peut être retenu que la faute du CHU a été la cause directe et exclusive du retard à la prise en charge, et que cette faute ultime absorbe les manquements des précédents intervenants car tous les acteurs de la prise en charge ont concouru au décès de la patiente par leurs manquements.
Le médecin traitant et le médecin de garde, ainsi que leurs assureurs, seront donc tenus in solidum à la réparation du préjudice résultant de la perte de chance de survivre, qui peut être évaluée à 80 % compte tenu des conclusions du rapport d’expertise (…)".
Indemnisation de 176 000 € dont 6 000 € pour les organismes sociaux.
Les diarrhées aiguës définies par l’émission de plus de 3 selles liquides par jour (et pendant moins de 14 jours), sont fréquentes chez l’adulte. Elles sont généralement bénignes et se résolvent spontanément avec un traitement symptomatique(1).
L’observation précédente témoigne toutefois, qu’il existe des exceptions, ce qui amène à envisager les deux principales questions qui se posent dans un tel contexte :
Pour répondre à ces deux questions, il est, évidemment nécessaire de procéder à une analyse soigneuse de la situation en se fondant sur des recommandations récentes(1,2) :
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L’indication d’une hospitalisation est fondée sur l’évaluation des signes de déshydratation qui doivent systématiquement être recherchés : sensation de soif, langue sèche, pli cutané persistant (région sous claviculaire, face interne des cuisses), réduction de la diurèse, perte de poids, tachycardie, hypotension artérielle, troubles de la vigilance.
Lorsque ces signes sont absents ou peu importants, que l’entourage du patient est suffisant et attentif aux recommandations, l’hospitalisation n’est pas nécessaire. Il convient, toutefois de prescrire une hydratation suffisante pour compenser les pertes digestives, éventuellement en ayant recours à des solutions de réhydratation orale.
Mais la prudence s’impose, lorsque le patient est âgé et/ou atteint d’une co-morbidité. Il faut, alors, établir une étroite surveillance (au moins quotidienne) et, à la moindre aggravation de l’état du patient, le faire hospitaliser. De même, en cas de vomissements associés à la diarrhée et imposant le recours à la perfusion d'une solution saline isotonique, l’hospitalisation est souvent préférable.
Un examen de selles doit être demandé, d’emblée, en cas de diarrhée avec sang ou pus ou fausses membranes, de fièvre supérieure à 39°C (2). En l’absence de ces symptômes, cette demande doit également être faite si la diarrhée persiste au delà de 4-5 jours, a fortiori en cas d’aggravation ou de nouveaux signes(2).
La prescription doit comprendre :
Il est important d'informer le biologiste des conditions de survenue de la diarrhée afin d'orienter les recherches (aliment contaminé, voyage tropical, antibiothérapie récente, …). En cas de suspicion, il faut demander spécifiquement la recherche de Salmonella, Shigella, Campylobacter, Yersinia ou de parasites tels que Giardia, Lamblia ou Entamoeba histolytica.
L’examen coprologique comporte :
En Suisse, de plus en plus de laboratoires remplacent les coprocultures par des PCR (Polymerase Chain Reaction) multiplex, qui permettent d’identifier le matériel génétique de différents pathogènes (bactéries, virus ou parasites). En fonction de la méthode utilisée, la PCR offre l’avantage d’un rendu des résultats plus rapide (quelques heures) et d’une meilleure sensibilité.
De plus, la détection moléculaire est moins sujette que la culture à des problèmes préanalytiques (transport, stockage) et permet la détection de microorganismes même s’ils ne sont plus cultivables. Cependant, la PCR détecte tout matériel génétique et ne permet pas de juger du rôle pathogène des organismes détectés. L’interprétation des résultats nécessite de les corréler avec l’anamnèse et la clinique, car le patient peut être simplement porteur et il n’est pas rare d’avoir des résultats indiquant la présence de plusieurs pathogènes. Pour cette raison, un résultat décelant une bactérie pathogène doit être confirmé par une culture qui en plus permet d’obtenir un antibiogramme. Tout résultat positif ne justifie pas forcément un traitement antibiotique en l’absence de critères de sévérité.
En effet, le traitement antibiotique doit être réservé à des patients sélectionnés, notamment ceux atteints d’une maladie sévère ou les patients immunodéprimés. La décision de commencer une antibiothérapie empirique dépendra de la gravité et de la persistance des symptômes ainsi que des comorbidités associés(1,2).
Références
(1) Prise en charge ambulatoire de la diarrhée aiguë. Bellini C. , Dumoulin A. - Rev Med Suisse 2018 ; 14 : 1790-42
(2) Diarrhée aiguë de l’adulte. VIDAL Recos
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