Mauvaise coordination générale, secrétariat médical approximatif, médecin de garde peu efficace, temps perdu à souhait par tous. Tous les médecins reconnus responsables.
La famille (parents, épouse des deux enfants mineurs) reproche :
JUGEMENT
EXPERTISE CCI (2014)
Les experts sont cardiologue et expert près la Cour de Cassation et chirurgien vasculaire.
Ils ont diligenté deux réunions, la première en présence des médecins généralistes, la deuxième en présence également du radiologue.
Chacun (famille et médecins) a été entendu.
Le médecin traitant dit qu’à la première consultation, il a pensé à une cause pulmonaire mais devant un signe de Murphy, il a demandé aussi une échographie abdominale, qui s’est avérée non concluante.
Devant le compte rendu de radiographie thoracique, pour lui « c’était une malformation, c’était une pathologie cardiaque », il a prescrit un scanner puis avec le résultat, a tenté de joindre son correspondant hospitalier cardiologue sans résultat : « je n’ai pas pu prendre le rendez-vous car j’étais surchargé et le CHU ne répondait pas. Le patient m’a dit qu’il prenait le rendez-vous. Je suis rentré de vacances le 2 janvier. J’avais précisé qu’en cas de problème, il pouvait appeler le 15 ».
Les experts soulignent : il apparait d’une part que le médecin n’a pas pu obtenir de rendez-vous, d’autre part que son secrétariat a indiqué à trois reprises à l’épouse « on s’en charge » faisant perdre un temps précieux. Ils regrettent vivement que l’aspect hautement pathologique des examens - le compte rendu de scanner comportant (malgré tout) des éléments qui auraient dû déclencher l’alarme - n’ait pas incité à « forcer le barrage » téléphonique pour obtenir un rendez-vous en urgence, auprès d’un cardiologue ou d’un chirurgien thoracique et au minimum une échographie cardiaque, cette absence de démarche ayant été à l’origine d’une perte de temps, là aussi, précieuse.
Le radiologue indique qu’il était prévu un scanner avec injection de contraste mais que le patient n’avait pas pris sa prémédication.
Il existe ici une ambiguïté puisque le MG indique que c’est lui qui a prescrit le scanner et que le radiologue indique que le patient est reparti du cabinet de radiologie avec une prescription pour une pré médication anti allergique et la date de son rendez-vous.
Pour le radiologue, il dit que « puisque le patient était là, il fallait déjà faire cet examen de débrouillage même si on n’avait pas d’injection ». « Je ne lui ai pas proposé de deuxième rendez-vous en l’injectant car je ne voulais pas lui faire perdre huit jours ».
Cet examen, bien que n’étant pas optimal pour l’étude des vaisseaux, a permis cependant d’objectiver une anomalie significative au niveau de l’aorte ascendante. Pour les experts, il s’agit d’un très important débord droit de l’ombre cardiaque tout à fait pathologique.
Les images ont été analysées de façon contradictoire : il en ressort qu’on constate l’existence indiscutable d’une anomalie au niveau de l’aorte thoracique ascendante, très significative, évoquant d’emblée en tout premier lieu, une dilatation majeure de l’aorte ascendante à environ 70 mm de diamètre transversal et imposant une prise en charge sans délai, à fortiori eu égard aux douleurs thoraciques, même si celles-ci n’ont pas de caractère spécifique formel.
Les commentaires des experts portent sur différents points :
Ils insistent sur le fait que le manquement consistant à ne pas avoir refait l’examen avec injection et de ne pas s’être soucié de l’aspect hautement pathologique de la radiographie thoracique, d’autant plus grave que le motif de réalisation de ces examens était la notion de douleurs thoraciques, est constitutif d’une perte de chance importante.
Concernant le médecin de garde, les experts estiment qu’« il a fait une erreur de diagnostic, ce qui peut, hélas, arriver à chaque praticien, mais il ne s’est pas donné les moyens d’avoir une approche complète du passé récent du patient en ne demandant pas à voir les examens radiologiques récents ». Cette démarche négligente ne lui permettait pas d’envisager une pathologie potentiellement sévère de façon urgente, qui aurait pu l’inciter à hospitaliser en urgence ce patient pour douleurs thoraciques dans un contexte de débord droit évoquant une dilatation aortique, malgré le mode rédactionnel du compte rendu, soit à contacter le SAMU pour avis.
Les experts, dans leur synthèse, formulent :
- Si un scanner avec injection avait été réalisé,
- Si le patient avait été hospitalisé en urgence par le médecin de garde….
Dans ces deux hypothèses, il existait une chance importante de sauver la vie de ce patient par une intervention.
La chirurgie « à froid » de la pathologie aortique permet une survie de 95 %, la mortalité péri opératoire des anévrysmes de l’aorte thoracique étant de 5 % dans des équipes spécialisées.
Globalement, ils retiennent « vis-à-vis des trois praticiens, que l’image sur la radiographie thoracique était à elle seule particulièrement préoccupante, évoquant soit un lymphome médiastinal (auquel à l’évidence ils ne croient pas) avec risque de compression vasculaire, soit à un anévrysme de l’aorte thoracique ». A lui seul, ce cliché devait impérativement donner lieu à une prise en charge rapide et efficace, « en prenant le patient sans le lâcher tant qu’il n’aurait pas été dans un circuit spécialisé ».
« Le volume de cette anomalie était tel que le risque de rupture était très significatif, pouvant intervenir sans signe annonciateur et cette rupture constitue une éventualité menaçante grave ».
Certes, la cause précise du décès n’est pas affirmée de façon absolument certaine, mais la conviction des experts, motivée dans leur rapport, est celle d’un décès par rupture d’un anévrysme de l’aorte ascendante.
Ils estiment que la perte de chance de survie, chiffrée à 95%, est imputable aux trois praticiens :
AVIS de la COMMISSION CCI (2014)
La Commission confirme l’expertise en retenant une prise en charge non conforme aux règles de l’Art, concernant les trois praticiens.
Toutefois, la commission relève qu’une prise en charge optimale n’aurait pas supprimé le risque de survenue du dommage.
Elle confirme la responsabilité des trois praticiens, au titre d’une perte de chance de survie de 95%,
« Au vu de ce qui précède, il apparait:
« L’image de la radiographie thoracique était, à elle seule, particulièrement préoccupante. A lui seul, ce cliché thoracique devait impérativement donner lieu à une prise en charge rapide et efficace dans un milieu spécialisé. Une telle image évoque très fortement une pathologie de l’aorte ascendante, en l’absence même de douleurs. Le volume de cette anomalie est tel que le risque de rupture est très significatif, imposant un traitement chirurgical prophylactique. La rupture constitue une éventualité menaçante très grave de très mauvais pronostic, pouvant survenir sans signes annonciateurs ».
La répartition des responsabilités est, par contre, différente de celle évaluée dans le rapport des experts.
- 40 % pour le MG traitant,
- 40% pour le radiologue,
- 15% pour le MG remplaçant.
Une transaction a été obtenue.
Ce dossier douloureux avant tout pour la famille, l’a également été pour tous les médecins mis en cause. Le préjudice économique est important pour la mère des jeunes enfants mineurs.
Le profil du patient, jeune et sportif, peu symptomatique, n’a pas entrainé une inquiétude nécessitant une prise en charge spécialisée dans l’urgence.
Les comptes rendus des radiologues, souvent pointés du doigt dans des dossiers médico- légaux, doivent être lisibles pour les patients et les autres médecins, formuler autant que faire se peut des hypothèses et éventuellement des recommandations en termes clairs et ne pas se résumer à des énoncés seulement anatomiquement descriptifs.
Si le radiologue émet un diagnostic radiologique nécessitant une prise en charge urgente, il est également médecin et doit prendre sa part de la prise en charge : dans des affaires citées dans les cas de la Prévention Médicale, on a pu constater, par exemple, qu’un patient est reparti sur ses pieds avec son compte rendu alors qu’il avait une embolie pulmonaire diagnostiquée et qu’un autre a été renvoyé en ambulance chez lui avec un diagnostic de compression de la queue de cheval.
Le rôle du radiologue n’est pas seulement celui d’un technicien mais celui d’un médecin : il peut et doit, avec certes parcimonie, demander des compléments d’explorations dans son cadre de compétence, si cela s’avère nécessaire.
On peut (plutôt souvent) déplorer, dans des dossiers sensibles, l’absence de contact direct du radiologue avec son correspondant médecin.
Comme souvent, le MG traitant, coordinateur des soins, surtout s’il a été l’auteur de la démarche diagnostique dans son ensemble, se retrouve toujours « sur la sellette ».
Même si, dans le cas précis, sa démarche logique a été bien orientée au départ, on peut retenir :
La délégation de certaines tâches au secrétariat est inévitable, encore faut-il pouvoir les gérer….
Le MG est investi de beaucoup d’attentes : la prise en charge au quotidien, éventuellement dans l’urgence mais on lui reconnait aussi sa grande compétence et donc ses devoirs dans l’interprétation d’examens « courants » même si les spécialistes sont en défaut. Il est le prescripteur et le garant de la conduite découlant des résultats.
Dans le cas présent, si le compte rendu du radiologue avait été plus explicite, la prise en charge aurait été différente. Mais ce compte rendu comportait probablement suffisamment de signes d’alerte ou d’interrogations pour se poser des questions et tenter de formuler des hypothèses en ayant à l’idée ; quel est le diagnostic à ne pas rater ?
Les consultations pour douleurs, y compris thoraciques, sont le quotidien du MG : parfois, alors qu’elles le mériteraient, elles ne sont pas prises en considération. D’autres fois, elles interpellent et les réponses des examens sont peu explicites mais l’enquête étiologique doit continuer avec la question : hospitaliser ou non ? Degré d’urgence ? Quelles hypothèses ?
Une fois de plus, c’est en période de festivités et de vacances scolaires que ce dossier se situe en partie : tout comme les weekends a fortiori prolongés, ces périodes sont des « Tempos » forts en gestion des risques.
Bibliographie sur les anévrysmes
Dilatation de l'aorte ascendante : quand faut-il opérer ? de N AL-ATTAR - Réalités Cardiologiques, 278_Juin 2011 : www.realites-cardiologiques.com/wp-content/uploads/2011/07/03.pdf
La dilatation de l'aorte ascendante - Cardiologie-francophone
Pour en savoir plus... / Les Anévrismes de l'Aorte Thoracique ...
La charge de travail, les appels qui s'enchainent a un rythme infernal, sans compter au méme moment les appels des autres professionnels , patients et familles etc. il arrive souvent d'entendre en réponse au téléphone
"On s'en occupe" car oui quelqu'un va s'en occuper mais a assurer quand , qui et comment, ..ou pas du tout..
Dossier fort intéressant (et malheureux).
Cela me rappelle :
- les nombreux scanners à la recherche d'embolie pulmonaire où le radiologue ne voulait pas injecter sous le prétexte d'une vague allergie (pas à l'iode)
- les comptes-rendus de scanner donnés au patient deux jours après sans aucune explication (tumeur, et même une fois embolie pulmonaire [heureusement non confirmée]
Comme très souvent, les erreurs ne relèvent pas d'un manque de connaissance mais d'un problème d'organisation.
Lu entièrement , très intéressant, et bien sûr , à méditer pour chacun de nous , professionnels de la santé ou usagers des soins ...