Décès in utero par défaut de suivi d'un traitement antihypertenseur

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Décès in utero par défaut de suivi d'un traitement antihypertenseur

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La poursuite d’un traitement antihypertenseur chez une femme enceinte sans un contrôle et un suivi attentifs des médicaments pris par la patiente peut avoir des conséquences fatales sur le fœtus, en particulier quand la communication est compliquée par la barrière de la langue.

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 08/03/2022

Cas clinique

Une patiente de 31 ans (en 2017 au moment des faits) est suivie par son médecin généraliste depuis octobre 2015 pour une HTA traitée après un avis cardiologique, par Exforge® (association Amlodipine/Valsartan), ce médicament étant contre-indiqué en cours de grossesse.

Cette femme est en France depuis 2014. Elle ne comprend pas bien et parle mal le français, ne sait ni lire, ni écrire. Ne travaillant pas, elle est hébergée par le SAMU Social et est en demande de régularisation, avec un renouvellement d’AME (Aide Médicale d’Etat) en attente.

Elle avait accouché 3 fois dans son pays d’origine en 2003, 2007 et 2010, où les deux premiers enfants sont restés mais la troisième - une fille - vit en France avec sa mère. Dans ses antécédents, outre l’HTA, on retrouve un épisode dépressif depuis son arrivée en France, non traité et aggravé après le décès de sa mère, ainsi qu’une hépatite B, 

Le 31 janvier 2017, la patiente est prise en charge à la maternité du CHU pour sa quatrième grossesse. Elle n’évoque pas spontanément son traitement pour l’hypertension artérielle, vraisemblablement en raison de ses difficultés à s’exprimer en français.

Le 22 mars 2017 à 9 SA, elle consulte son médecin traitant qui note dans son dossier : "Enceinte depuis janvier, suivie au CHU : renouvellement ordonnance d’Exforge®, Gaviscon® et Oméprazole » .

Le 31 mars 2017 à 10 SA + 3j, la patiente se présente aux urgences gynécologiques du CHU pour coups et blessures. "Patiente ne comprenant et ne parlant pas bien le français / Pas d’ATCD rapporté hors des 3 accouchements ; dit avoir reçu un coup de poing dans le dos 4 jours avant : va bien, pas d’ecchymose décrite et écho obstétricale normale".

Le 12 avril 2017 à 12 SA, consultation du médecin traitant pour gastrite : "Suivie au CHU, écho prévue : renouvellement Exforge®".

Le 14 avril 2017 à 12 SA + 3j, échographie du premier trimestre faite à la consultation d’obstétrique du CHU : "Grossesse intra-utérine monofœtale évolutive en rapport avec le terme théorique. Absence d’anomalie morphologique décelable, dépistage MST1 expliqué, proposé et prélevé ce jour. Marqueurs sériques de Trisomie 21 ne plaçant pas Mme X dans un groupe à risque".

A partir de 18 SA, suivi en consultation d’obstétrique au CHU.

Le 24 mai 2017 à 18 SA, consultation d’obstétrique : "Antécédents et contexte social : 4e grossesse ; problème social, tristesse de l’humeur depuis son arrivée en France ; renouvellement AME en attente. Tension Artérielle à 126/78. Examen d’urine normal. Examens biologiques de début de grossesse prescrits".

L’examen du dossier médical ne permet pas de déterminer si un interrogatoire sur les pathologies et les prises médicamenteuses a été fait.

Le 22 juin 2017 à 22 SA + 2j, échographie de dépistage : "Croissance satisfaisante. Absence d’anomalie morphologique échographiquement décelable. Hyperéchogénicité intestinale sans passé de métrorragie. Nuque à revoir car semble épaissie mais pôle céphalique pris en étau au niveau du segment inférieur avec dolichocéphalie et nuque artificiellement épaissie".

Le 25 juin 2017 à 23 SA, consultation d’obstétrique : "Tension Artérielle 113/72. Hauteur utérine à 20. Bruits du cœur présents. Entretien difficile, problème de compréhension. Ne comprend pas la raison du suivi au Diagnostic PréNatal (DPN), ne veut pas de prélèvement de sang fœtal. La prochaine consultation le 10/08/2017 au DPN est prévue".

Adressée au DPN. Une consultation de diagnostic prénatal est prévue le 10 août 2017, mais le suivi est en fait débuté dès le 6 juillet 2017. Le dossier médical ne permet pas de savoir si l’interrogatoire a porté sur les pathologies de grossesse et les traitements suivis. Le dépistage des aneuploïdies est repris lors de cette consultation.

Le 6 juillet 17 à 24 SA + 2j, échographie : "Croissance satisfaisante. 2 reins volume normal mais peu différenciés, sans dilatation. Quantité de Liquide Amniotique (LA) diminuée, vessie non visible, lame péricardique, sexe féminin à revoir, intestins bien vus avec échogénicité inférieure à l’os, vésicule biliaire vue. Pas d’autre anomalie visible".

Devant cet ensemble, proposition d’une ponction de liquide amniotique pour "caryotype, virus, enzymes digestives, réserve pour puce à ADN". 

Il est, également, précisé "Prévoir écho fœtale. Présentation au staff de l’Hôpital A. pour échographie référent +/- indication de Ponction de Sang Fœtale (PSF) vu l’aspect des reins". Une amniocentèse n’était "pas souhaitée pour l’instant".

Le 11 juillet 2017, le dossier de la patiente est discuté, en réunion pluridisciplinaire de diagnostic prénatal à l’Hôpital A. Au cours de la discussion, est posée la question d’une ponction de sang fœtal. Dans la synthèse, il est  en particulier noté "pas de prise d’antihypertenseur (Anti HTA)", ce qui est retranscrit, manuellement, dans le dossier de diagnostic prénatal le 12/07/2017.

Le 17 juillet 2017, la patiente est vue en consultation  par une sage-femme. Malgré des problèmes de compréhension, la patiente est très claire sur le fait qu’elle ne souhaite pas de prélèvement de liquide amniotique. 

Le prélèvement d’alpha-fœtoprotéine (1.65 ng/ml) n’est pas en faveur d’un syndrome néphrotique fœtal.

Le 31 juillet 2017, l’échographie réalisée par la sage-femme montre une "Croissance dans les normes, mais un anamnios complet, fœtus en siège peu mobile, reins sans différenciation, vessie vide, estomac peu rempli." 

Des explications sont données à la patiente sur l’intérêt d’un prélèvement de sang fœtal, vu la sévérité du tableau clinique orientant vers une pathologie génétique et le risque de mort fœtale intra utérine ou de décès néonatal. Ces informations sont fournies en présence d’une amie de la patiente qui parle sa langue native.                   

Après avoir été informée des alternatives possibles (abstention de surveillance/interruption médicale de grossesse/prise en charge active), la patiente dit souhaiter que tout soit fait pour l’enfant à naître.

Le 9 août 2017, la patiente est informée de l’impossibilité de sauver l’enfant (décès in utero ou post-natal certain), avec rappel de la possibilité d’une interruption médicale de grossesse. Le lendemain, la patiente rappelle pour indiquer qu’elle n’avait pas compris l’entretien.

Le 22 août 2017, les informations précédentes sont redonnées à la patiente en consultation de diagnostic anténatal.

Le 25 août 2017, le dossier est discuté au staff obstétrico-pédiatrique et le 29/08/2017 au staff médico-psychosocial, pour aider dans la prise en charge.

Le 30 août 2017, l’échographie confirme les données de l’examen du 31/07/2017.

Les 4 et 5 septembre 2017, aux consultations de la sage-femme, les explications sont de nouveau données en présence de l’assistante sociale de la patiente et une interruption médicale de grossesse est alors demandée.

Le 5 septembre 2017, pour la première fois, le traitement pour l’hypertension artérielle est signalé, par la patiente, à l’interne assurant la consultation préanesthésique pour interruption médicale de grossesse. Ce dernier prescrit de poursuivre le traitement.

 Le 7 septembre 2017, la patiente arrive au CHU pour des contractions et il est constaté la mort fœtale in utero.

Dans la soirée, la patiente demande à l’infirmière si elle doit prendre son comprimé d’Exforge® (Note des experts : "Ce traitement n’avait jamais été mentionné dans les interrogatoires à l’équipe de gynécologie obstétrique").

Le 8 septembre 2017, le travail est déclenché, sous anesthésie péridurale, conduisant à un accouchement par voie basse d’un enfant décédé, de sexe féminin, pesant  1760 g, sans malformation apparente. Suites simples, relais Loxen® (antihypertenseur).

Prise en charge par un psychologue.

Le 11 septembre 2017, sortie de la patiente.

Compte rendu de l'autopsie
  • Fœtus assez macéré présentant une hypocalvaria (hypoplasie des os du crâne) et une hypoplasie vésicale en rapport avec une dysgénésie tubulaire rénale.
  • Placenta légèrement hypotrophique, avec signes d’hypoperfusion villositaire distale et hypoxie prolongée. Chorioamniotite stade 2.

Au total, tubulopathie rénale bilatérale associée à un hypocalvaria compatible avec une tubulopathie aux sartans.

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par la patiente pour obtenir réparation du préjudice qu’elle a subi (décembre 2018). 

Expertise (novembre 2020)

Les experts, l’un professeur des universités, chef de service de chirurgie gynécologique et obstétrique, et l’autre praticien hospitalier spécialiste en diagnostic prénatal et médecine fœtale estimaient que :

"(...) Le dommage consiste en une tubulopathie fœtale rénale bilatérale, due à la prise d’ Exforge® pendant la grossesse, responsable d’une mort fœtale in utero.

La tubulopathie rénale a abouti à une destruction du tissu rénal in utero, les reins ne peuvent plus produire d’urine d’où un aspect anormal des reins à l’échographie, une absence de remplissage de la vessie et une absence de liquide amniotique (qui correspond à l’urine fœtale).

Ce médicament est une association d’un inhibiteur calcique et d’un inhibiteur des récepteurs de l’angiotensine qui, en cas de prise aux 2e et 3e trimestres de la grossesse, entraîne une toxicité rénale fœtale parfois irréversible, voire fatale, se traduisant chez le fœtus par un oligoamnios ou un anamnios (diminution ou absence de liquide amniotique), compliqué éventuellement d’hypoplasie pulmonaire fœtale et d’hypoplasie de la voûte du crâne.

Cette tubulopathie a abouti au décès du fœtus in utéro à 33 SA.

Le comportement de l'équipe médicale n'a pas été conforme :

Tout d’abord, le médecin traitant aurait dû à 9 SA le 22 mars 2017 arrêter le traitement par Exforge® et effectuer un changement d’antihypertenseur car celui-ci est contre-indiqué pendant la grossesse. Durant l’expertise, ce dernier a admis que cela avait échappé à sa vigilance.

Par la suite, le 24 mai 2017 à 18 SA, lors du début du suivi en consultation d’obstétrique au CHU, un interrogatoire plus attentif aurait pu permettre de savoir que la patiente prenait un traitement antihypertenseur contre-indiqué pendant la grossesse. 

De même, lors de l’interrogatoire au diagnostic prénatal, le 6 juillet 2017, les signes échographiques évocateurs auraient dû réalerter sur cette éventualité (cela a d’ailleurs été évoqué au staff de l’hôpital A. le 11 juillet 2017, sans que cela soit clairement réabordé avec la patiente). 

Lors de la consultation par l’interne d’anesthésie (qui est le plus souvent une consultation rapide) le 5 septembre 2017, la patiente a bien dit qu’elle prenait de l’Exforge®. Cette attitude "non conforme" est à tempérer par la difficulté de suivi d’une patiente parlant et comprenant mal le français.

Par la suite la prise en charge au CHU, une fois les lésions rénales installées, a été très attentive pour informer et entourer la patiente (…)".

En conclusion, les experts estimaient que :

"(...) Le médecin traitant et le CHU sont responsables à part égale - 50 % et 50 % - du dommage (...)".

Commission de Conciliation et d'Indemnisation (janvier 2021)

"(...)
Article 1 - La réparation des préjudices subis par la patiente incombe :
- au médecin traitant, à hauteur de 50 % des préjudices,
- au CHU, à hauteur de 50 % des préjudices.

Article 2 - L'état de la patiente peut être considéré comme consolidé à la date du 16 septembre 2017.

Article 3 - Les préjudices subis par la patiente qu'il convient d'indemniser sont les préjudices extra-patrimoniaux :
Avant consolidation
Souffrances endurées non chiffrables, s'agissant de la perte d'un enfant né sans vie.
Permanents
Préjudice moral qui rejoint le préjudice de douleur psychologique, s'agissant du décès d'un enfant que rien ne prédisposait à ne pas vivre.
(...)".

 

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