Chute évitée au bloc opératoire : retour d'expérience

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Chute évitée au bloc opératoire : retour d'expérience

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Un homme de 55 ans en surpoids doit subir une intervention digestive. Une chute est évitée de justesse au bloc opératoire malgré le respect de la procédure d'installation de l'intervention chirurgicale par le personnel médical.

Auteur : Bruno FRATTINI, Expert en prévention du risque / MAJ : 29/05/2019

Anamnèse

Mr. P, âgé de 55 ans, est suivi par son médecin traitant depuis plusieurs années pour un surpoids important, puisqu’il pèse 142 kilos pour 172 cm, soit un Indice de Masse Corporelle (IMC) de 48. Plusieurs régimes ont été réalisés sans une amélioration notable et durable de sa courbe de poids.

Il présente également dans ses antécédents un Syndrome d’Apnée du Sommeil (SAS) appareillé et une HyperTension Artérielle (HTA) traitée par nicardipine (Loxen®) 20 mg, 3 fois par jour, par voie per os.

Le patient est orienté vers un chirurgien digestif, spécialisé en chirurgie bariatrique. Ce dernier, après un examen clinique ne retrouvant aucun obstacle à la réalisation d’un acte chirurgical, lui propose une sleeve gastrectomie. Cette technique restrictive et non réversible consiste à retirer les 2/3 de l’estomac, et notamment la partie contenant les cellules sécrétant la ghréline, hormone stimulant l’appétit.

Les bénéfices et les risques lui sont exposés, et surtout il lui est expliqué qu’un bilan pré-opératoire pluridisciplinaire est nécessaire pour valider l’indication chirurgicale. Ce bilan est préconisé par la Haute Autorité de Santé et retenu par l’équipe chirurgicale du service de chirurgie digestive.

Le patient est donc orienté vers :

  • un cardiologue pour faire un point complet sur son HTA, mais également pour réaliser un bilan cardiaque complet, notamment sur le fonctionnement de son myocarde,
  • un pneumologue pour faire le point sur son SAS,
  • un gastro-entérologue pour réaliser une endoscopie gastrique pour vérifier l’intégrité de l’estomac, l’absence de toute pathologie inflammatoire et l’absence de germe type helicobacter pylori qui serait à traiter dans le cas d’un prélèvement positif,
  • un nutritionniste pour faire le point sur son obésité (ancienneté, modalités, habitudes et comportements alimentaires…),
  • un endocrinologue après la réalisation d’un bilan sanguin pour vérifier que son obésité n’a pas de cause médicale pouvant être à l’origine de cet excès pondéral,
  • un psychiatre pour rechercher des antécédents psychiatriques pouvant être aggravés par l’intervention (modification de son image corporelle).

La Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) valide l’indication opératoire et une date est proposée à Mr P. qui l’accepte. La consultation d’anesthésie ne retrouve pas de contre-indication pour une Anesthésie Générale (AG).

Le jour J arrive, et le patient passe sans difficulté toutes les étapes de sa prise en charge et est transféré au Bloc Opératoire. Après un entretien d’accueil conforme aux attendus de sécurité et la première partie de Check-List HAS validée par l’infirmière de bloc opératoire et l’infirmier anesthésiste, le patient est installé sur la table d’opération pour l’induction anesthésique.

Le patient une fois endormi et conditionné (pose d’une 2ème voie veineuse) pour l’intervention chirurgicale, l’équipe chirurgicale procède à l’installation pour la réalisation du geste opératoire : Décubitus Dorsal (DD), jambes écartées pour laisser la place à l’opérateur. La préparation cutanée est réalisée, les champs opératoires posés, l’instrumentation préparée, les différents branchements et tests d’opérationnalité effectués (aspiration chirurgicale, lumière froide, générateur haute fréquence…).

L’intervention débute, les trocarts de cœliochirurgie sont positionnés. Le chirurgien demande assez rapidement de mettre le patient en proclive de 20°, puis demande d’accentuer le proclive de 10° supplémentaire pour obtenir une meilleure visualisation du champ opératoire.

A ce moment, l’équipe chirurgicale constate que le patient n’est plus dans la position initiale sur la table, les trocarts sont alors retirés, le patient remis à plat et la vérification de la position du patient sous les champs confirme que le patient a bien glissé, que les fesses sont dans le vide et qu’une jambière est plus basse que l’autre.

Les trous de trocarts sont protégés par un pansement, les champs sont enlevés, et le patient est repositionné sur la table. L’examen de la jambière montre qu’il y a effectivement un défaut de maintien de la position. Les jambières pour cœliochirurgie à ressort à gaz sont changées pour des jambières articulées standards sur lesquels on a rajouté des cale-pieds (mode dégradé accepté par le chirurgien).

Une plaque de gel est rajoutée sous le patient pour éviter tout glissement (on retire l’alèze de protection sur la table d’opération). Le patient réinstallé, il peut bénéficier de son intervention dans de bonnes conditions techniques. Lors de son passage en SSPI, l’anesthésiste et le chirurgien vérifieront l’absence de séquelles notamment neurologiques sur le membre inférieur concerné. L’incident a été rapporté au patient.

Une déclaration de matériovigilance a été réalisée par le chirurgien.

Conséquences

Cette erreur technique a eu plusieurs conséquences :

  • une chute évitée de justesse,
  • un allongement de la durée opératoire de près de 50 minutes par rapport à la planification du seul fait de cette interruption,
  • un débordement du programme opératoire induit,
  • des professionnels inquiets par cet événement car le groupe a respecté la procédure d’installation de l’intervention chirurgicale,
  • un arrêt de l’activité de chirurgie bariatrique sans le niveau d’équipement attendu (décision prise par le chirurgien),
  • l’équipement qui a dysfonctionné a été envoyé en maintenance. Le fournisseur a précisé que c’était le ressort à gaz qui était défectueux et qui a été changé.

Analyse des causes

La déclaration de matériovigilance rédigée par le chirurgien a été analysée par le COVIRIS de la structure lors de leur revue mensuelle d’Événements Indésirables. Il demande une analyse de cet incident qu’il considère grave pour vérifier l’absence de défaillances possibles.

La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.

Cause immédiate

C’est l’instrumentiste de la salle d’opération qui a détecté que le patient a glissé sur la table d’opération.

Causes profondes

Barrière qui a détecté l’incident :

  • Atténuation : vigilance de l’instrumentiste qui a permis de réagir de manière adaptée pour éviter des conséquences graves pour le patient (séquelles neurologiques dans un contexte d’étirement du membre inférieur ou conséquences en lien avec une chute potentielle).

Barrières qui n’ont pas fonctionné et qui ont permis l’incident :

  • Prévention : la présence d’une alèze entre la table et le patient a majoré le risque de glissement du patient sur le plateau opératoire
  • Prévention : pas d’équipement en double pour faire face à une panne potentielle d’élément matériel et pas d’anticipation sur un prêt possible à l’identique.
  • Prévention : une maintenance curative initiale de l’équipement défectueux réalisé en mode dégradé.
  • Prévention : un arbitrage en faveur de l’utilisation d’un matériel potentiellement défaillant sans expertise optimale.
  • Prévention : défaut de communication dans le partage d’informations avec le chirurgien d’une part, et les paramédicaux du Bloc Opératoire d’autre part.

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

Arbitrage financier : doit prendre en compte les impacts sur l’organisation et le fonctionnement du secteur qui doit bénéficier de ce nouvel équipement. Pour ce faire, questionner et écouter les utilisateurs représente une valeur ajoutée pour la sécurité des activités médico-chirurgicales développées et prendre une décision argumentée au mieux des intérêts du patient.   

Rappel des bonnes pratiques : le respect des préconisations du fournisseur doit rester la règle, car dans la dynamique de la conception d’un équipement, les choix réalisés prennent en compte les problématiques rencontrées sur le terrain. Dans le cas présent, mettre une alèze sur le plateau de la table d’opération permet de faciliter le bionettoyage de l’équipement, mais génère une vulnérabilité pour le patient lors des mises en proclive ou déclive.

Partage des informations : ce retour d’expérience met en lumière que les décisions prises devraient être plus collégiales. Le partage d’informations avec tous les acteurs doit permettre une réflexion à plusieurs, toujours plus riche qu’une décision prise en solitaire. Cela permet une prise en compte des vulnérabilités plus large parce que discutées par tous les métiers concernés.

En conclusion

Un incident sans conséquence grave pour ce patient grâce au professionnalisme des soignants présents qui ont pu mettre en œuvre les mesures conservatoires adaptées.

Une fois encore, on peut constater que la genèse de cet incident n’est pas le fait d’une seule personne, mais d’un ensemble de mauvaise décision à plusieurs niveaux.

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