Les erreurs (ou modes dégradés considérés comme acceptables) peuvent avoir des conséquences graves. L’expression de Nietzsche "le diable est dans les détails" se vérifie encore une fois.
L’addition de plusieurs erreurs considérées comme minimes engendre des suites longues et douloureuses pour cette patiente qui devait déjà gérer une récidive de pathologie cancéreuse.
Mme C. est traitée pour récidive d’un cancer du sein gauche, 19 ans après un précédent traitement (chirurgie + radiothérapie).
Madame C. consulte son médecin traitant car, lors d’une autopalpation, il lui a semblé percevoir une boule à son sein gauche, sein qui avait déjà bénéficié d’une prise en charge pour un cancer avec une tumorectomie et 40 séances de radiothérapie en 2001.
Le praticien l’oriente aussitôt vers un Centre d’imagerie médicale pour une mammographie et une échographie, et lui demande de prendre RDV avec un chirurgien spécialisé en sénologie.
La mammographie montrera une image classée ACR5 qui justifiera la réalisation d’une biopsie sous échographie. Cette dernière objectivera une pathologie tumorale maligne.
Le chirurgien consulté en urgence proposera un traitement chirurgical, et précise qu’il souhaite présenter le dossier en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) pour retenir en équipe la meilleure thérapeutique possible. L’avis RCP proposera une mastectomie d’emblée, avec curage ganglionnaire. La patiente en acceptera le principe avec un certain désespoir.
La consultation préanesthésique ne relèvera rien de spécifique :
L’anesthésie générale est retenue comme technique la plus adaptée et acceptée par la patiente.
L’intervention chirurgicale se déroulera sans difficulté signalée, et une chambre implantable sera posée du côté droit dans les suites de la mastectomie, au cours de la même anesthésie. Les suites seront simples…
Dans les suites de la prise en charge, l’oncologue qui suit Mme C. planifie la première séance de chimiothérapie. Elle a lieu 8 semaines après l’acte chirurgical, en Hôpital de Jour.
Le jour J, Mme C. est admise en hôpital de jour d’oncologie. L’IDE en charge de la patiente fait son admission, l’installe sur un fauteuil, prend les premières constantes, et prévient l’oncologue de son arrivée. Ce dernier confirme la prescription au vu du bilan sanguin de contrôle. La prescription des chimiostatiques est validée par le pharmacien et la préparation est réalisée en unité de reconstitution.
Les produits anticancéreux sont transférés en HDJ pour administration. L’IDE les réceptionne, fait les vérifications habituelles et pose l’aiguille de Huber. Les médicaments prescrits en prémédication (Zophren® et Solumédrol®) sont administrés sans difficulté. Le début de l’administration d’épirubicine (premier antimitotique) est validée par une seconde IDE (contrôle de la pose et de l’opérationnalité du dispositif d’administration – de la prescription). La durée d’administration prévue est de 15 mn.
Après 10 minutes d’administration, la patiente déclenche l’appel patient : elle signale une douleur à type de brûlure au niveau de la chambre implantable. L’IDE stoppe immédiatement la perfusion (qui a été administrée à près de 70%), et constate la diffusion locale du produit. Elle prévient l’oncologue immédiatement, qui vient faire le point de la situation sans tarder. Il constate un œdème et un érythème autour du porta Cath (PAC) et conclut à une extravasation du produit de chimiothérapie : une aspiration des tissus sous cutané est réalisée, qui ramènera 10 ml de sérum sanguinolent, puis il demande l’application d’une brique de froid. |
Il appelle ensuite le service mère (CHR) pour connaître si une situation similaire est connue et pour obtenir un retour d’expérience. Aucune autre préconisation ne sera proposée, mais le transfert de la malade est demandé pour évaluer la pertinence de lui administrer l’antidote adapté. Ce qui serait fait immédiatement.
A son arrivée, après l’examen clinique et l’interrogatoire, l’administration de l’antidote ne sera pas retenue (jugée trop tardive), car son action à distance de l’accident n’était plus objectivée. Antalgiques et antiinflammatoires seront prescrits et la consigne de consulter si la situation ne s’améliore pas…
Les tissus cutanés montreront une inflammation importante, puis apparaîtront des phlyctènes faisant évoquer une brûlure du 2nd degré. La patiente sera mise alors sous antibiotiques en plus du traitement antalgique.
Les soins locaux seront alors prescrits avec l’application de Flammazine® et tulle gras jusqu’à cicatrisation…
Malheureusement, les troubles trophiques continueront à évoluer :
Cet événement indésirable (EI) a eu des conséquences graves pour la patiente :
Les équipes soignantes impactées par cette erreur sont choquées des conséquences de cet événement indésirable…
La cadre du service d’oncologie a déclaré cet EI via le système de signalement de l’établissement. Devant l’émotion des équipes et le sentiment de culpabilité des soignants impliqués, les responsables du service demandent une analy se de cet incident afin de pouvoir relayer aux équipes les facteurs contributifs identifiés qui ont permis la genèse de cette erreur, afin d’initier une démarche pédagogique en partage.
L'objectif de ce retour d'expérience :
Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée. Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue. Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de cette patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier. |
C’est la patiente qui a signalé l’incident devant l’apparition des douleurs.
En résumé
- Des effectifs paramédicaux en HDJ Onco qui sont conformes en nombre, mais pour lesquels le niveau de compétences questionne…
- Un geste technique (pose de l’aiguille de Huber) critiquable car non conforme aux bonnes pratiques…
- Une charge de travail très lourde pour des professionnels au retour d’expérience modeste…
- Une procédure d’accueil des nouveaux arrivants qui n’est pas finalisée, et surtout une absence totale d’évaluation des compétences techniques et des connaissances acquises.
- Pas de cursus de formation continue prévu pour ce secteur pour les fondamentaux malgré un nombre de spécificités important…
- Une permanence de la présence médicale qui a fonctionné, avec un oncologue présent immédiatement et qui a donné des consignes claires pour la gestion de cet EI.
- Une cartographie des risques incomplète, avec l’oubli de cette complication potentielle : pas de protocole, pas d’antidote disponible sur site…
- Une régulation des flux inexistante : pas de coordination entre les programmateurs, la pharmacie, l’HDJ…
- Une gestion des stocks de DMS (kit aiguille de Huber) qui n’est pas optimale…
Partant de cette analyse, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Un staff de régulation aura lieu chaque jeudi pour réguler le flux patient de la semaine suivante et vérifier si les ressources humaines et matérielles sont présentes pour une prise en charge sécure. Ce staff de régulation, pour être efficient, devra voir représenter l’HDJ Onco (manager), la pharmacie et un représentant des oncologues.
Un effectif supplémentaire doit être envisagé dès que le taux de rotation est égal ou supérieur à 1,6 (son calcul est désormais réalisé en routine) = indicateur sentinelle, associé à une évaluation de la charge de travail et des compétences présences le jour J.
De nouvelles séances de travail sont planifiées pour compléter l’outil existant, mais avec tous les acteurs de santé intervenant dans le process.
Plusieurs références sont à flux tendu, avec des stocks qui ne garantissent pas une poursuite des différentes activités. Des solutions de remplacements (autres fournisseurs) sont déjà initiées, et l’augmentation des stocks est déjà anticipée dès que cela sera possible.
Pour expliquer les dangers des modes dégradés pour ce qui concerne la sécurité des patients.
La banalisation de certains modes dégradés génère des situations dangereuses pour les patients.
Les manques de connaissances techniques et théoriques provoqués par les turnovers des professionnels de santé doivent être prises en compte dans les décisions managériales.
La corrélation entre ressources humaines et charge de travail doit être la règle pour générer des contextes de travail sécure pour les malades.