Homonymie et double erreur d’administration

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Homonymie et double erreur d’administration

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Dans un service de chirurgie vasculaire, deux patientes portant le même nom, sont hospitalisées à 48 heures d'intervalle…

  • Paramédical
Auteur : Bruno FRATTINI / MAJ : 12/09/2018

Présentation du contexte

Mme K. (que nous appellerons Mme K1 pour une bonne compréhension de la situation), 76 ans, est hospitalisée dans le service depuis 24 heures pour une ischémie du membre inférieur Gauche. Dans ses antécédents, on peut noter un lourd passé de tabagisme, expliquant un terrain artéritique. Elle est admise dans le service pour troubles trophiques des extrémités (orteils) et un traitement anticoagulant par Héparine* au Pousse Seringue Electrique (PSE) est mis en route. Cette thérapeutique est initiée en dernier recours, avant de proposer à la patiente la mise en place d’une endosprothèse métallique qui devrait permettre de recanaliser l’artère malade.

Mme K. (que nous appellerons Mme K2 pour une bonne compréhension de la situation), 58 ans, est hospitalisée dans le service depuis 3 jours, et a bénéficié d’un pontage artériel fémoro-poplité. Cette indication opératoire a été posée dans les suites de la découverte d’une plaque d’athérome sur l’artère iliaque. L’intervention s’est déroulée sans problématique particulière. Dans son traitement post-interventionnel, on note une anticoagulation à l’Héparine* au PSE.

Les posologies d’Héparine* prescrites à 10h30 par le sénior lors de la visite du matin sont :

  • Mme K1 : 22 000 UI / 24 h, avec une cible pour le ratio TCA de 2,5. Un contrôle de l’hémostase est demandé pour la fin de matinée, pour vérifier l’atteinte de la cible, car le traitement est en route depuis près de 16 heures.
  • Mme K2 : 7 000 UI / 24 h, avec une cible pour le ratio TCA ratio identique. Cette dose s’explique par la découverte fortuite en pré-opératoire d’une thrombopénie. Le contrôle du TCA ayant été effectué le matin même (résultat à 2,4), les posologies n’ont pas été modifiées.

Le prélèvement sanguin est effectué vers 12h45 (une très grosse charge de travail n’a pas permis de le réaliser avant 12h00 comme le souhaitait le médecin), et envoyé immédiatement au Laboratoire de Biologie Médicale. Le résultat pathologique est transmis par voie téléphonique et par voie informatique. Un ratio de TCA est annoncé à 5,1, soit le double de la cible. Le médecin est prévenu immédiatement, et il demande à ce que l’on arrête immédiatement le PSE. Il demande également un contrôle de l’hémostase à 20h00, et en fonction du résultat, une adaptation du traitement à voir avec le médecin de garde.

L’infirmière qui reçoit les consignes téléphoniques arrête un traitement d’héparine, le médecin confirme aussitôt ses consignes orales par écrit (Dossier Patient Informatisé) …

Les transmissions entre l’équipe de jour et de nuit se déroulent entre 19h45 et 20h05, la situation de Mme K1 est relayée, avec comme consigne de réaliser le contrôle TCA pour 20h00 …

Le prélèvement sanguin est réalisé à 20h10, envoyé au LBM, et les résultats reviennent de nouveau pathologiques avec un ratio TCA à 5,3 …

L’infirmière de nuit retourne immédiatement auprès de la patiente, et constate que le PSE est en fonctionnement et continue d’administrer de l’Héparine* à raison de 22 000 UI / 24h. Elle arrête le traitement immédiatement, et prévient le médecin de garde. Ce dernier donne une conduite à tenir. On peut noter que les constantes hémodynamiques de Mme K1 sont normales … et qu’il n’y a aucun signe hémorragique associé.

En réalisant son tour de soins, elle constate alors l’homonymie dans le service, et voit l’arrêt du PSE d’Héparine de Mme K2 … vers 22h00 …

Elle le remet en route immédiatement, et prévient le médecin de garde qui demande un contrôle de l’hémostase … afin d’adapter la posologie …

En fin de nuit, lors des transmissions entre l’équipe de nuit et de jour, l’infirmière de la veille est informée de l’inversion de patient. Les professionnels du service sont catastrophés à l’annonce de l’incident, et un sentiment collectif de culpabilité mais également de colère s’exprime.

Le cadre du service, en accord avec le chef de service, mais surtout les équipes paramédicales, effectue un signalement de l’incident par le biais du système de déclaration des événements indésirables de l’établissement.

Pas de conséquences pour les 2 patientes : boucher son pontage – faire une hémorragie.

Conséquences

Cet Evénement Indésirable n’a pas de conséquences pour le pronostic vital des 2 patientes, mais elles auraient pu être très graves, pour l’une ou pour l’autre, voire les 2 :

  • Mme K1 aurait pu présenter une hémorragie grave, qui au vu de son anticoagulation aurait pu être catastrophique,
  • Mme K2 aurait pu boucher son pontage qui aurait nécessité une réintervention chirurgicale,

Soit potentiellement 2 Evénements Indésirables Graves (EIG).

Dans le récit de ces incidents, on peut constater que les barrières de prévention n’ont pas fonctionné, mais que les barrières de récupération et d’atténuation ont permis d’éviter des catastrophes.

Les Responsables du Service ont sollicité le Gestionnaire de Risques de la structure pour réaliser une analyse de cet Evénement Indésirable Grave (EIG) et pour organiser une restitution aux acteurs de santé, cette restitution devant permettre de déterminer des actions correctrices avec l’équipe.

Méthodologie et analyse

Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.

La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.

Seuls les éléments contributifs à une meilleure compréhension de la situation seront retenus.

 

  • Les facteurs contributifs discutés en équipe

Facteurs liés aux patients :

Les 2 patientes sont peu actrices de leur prise en charge médicale. Elles se laissent porter par les organisations de soins et surtout ne possèdent pas, l’une et l’autre un niveau de compréhension suffisant.

De plus, elles sont très inquiètes vis à vis de leur maladie, car les informations, qu’elles ont retenues, sont les complications potentielles de leur pathologie et les traitements « définitifs » évoqués (amputation). Aussi, elles font une entière confiance aux équipes médico-paramédicales, et ne cherchent pas à poser de questions sur les différents traitements administrés.

Facteurs liés aux tâches à accomplir :

Ces typologies de patients sont le lot habituel des pathologies prises en charge dans le service.

Les traitements anticoagulants sous toutes ces formes sont le quotidien des professionnels du secteur : médicament, voies d’administration, modalités d’administration, contrôle des effets secondaires, contrôle des examens biologiques sont connus de tous et maîtrisés.

Les moyens nécessaires pour réaliser ces soins sont présents et fonctionnels : moyens techniques, système d’information, procédures et protocoles accessibles sur la base documentaire du service.

On peut noter néanmoins un retard dans la réalisation des soins par rapport à la planification initiale, en raison d’une charge de travail trop lourde, expliquée par un nombre important de patients avec des soins techniques complexes.

Facteurs liés à l’individu (professionnel impliqué) :

L’infirmière qui a arrêté le mauvais PSE est une professionnelle qui est présente dans le service depuis plus de 3 ans, et qui connaît parfaitement bien les différentes procédures de prises en charge.

C’est une paramédicale reconnue pour son excellent niveau, et qui bénéficie de la confiance de tous : médecins, chirurgiens, collègues de travail, encadrement, …

Le recueil du déroulé de la journée, réalisé le surlendemain de l’incident par le Gestionnaire de Risques pour ne pas perdre la mémoire des événements et leur chronologie, met en évidence :

  • un tour de soins qui avait pris près de 75 minutes de retard, expliqué par une charge en soins très lourde,
  • plusieurs interruptions de tâches : changement de prescriptions à prendre en compte immédiatement, un pansement supplémentaire demandé par le chirurgien et en sa présence, un appel du bloc opératoire pour une préparation de patient incomplète, des retours de bloc opératoire tardifs ;
  • un début des visites de famille qui commençait avec les questions habituelles des proches et un tour de soins inachevé.

Ce contexte chargé est contributif de l’erreur de patient. L’infirmière explique qu’elle n’a pas pris le temps de vérifier la modification de prescription dans le dossier patient.

Mais surtout, elle n’explique pas pourquoi elle a arrêté ce PSE, alors qu’elle savait que c’était l’autre. Et cela l’inquiète énormément …

Facteurs liés à l’équipe :

Il n’y a pas de problème de communication décrit dans le service.  L’ambiance est globalement bonne.

La charge de travail est signalée, par l’ensemble de l’équipe, comme anormalement très chargée, avec ce jour là de nombreux patients opérés et des malades avec des soins techniques très lourds.

Et une équipe en effectif normal, sans renfort malgré le signalement fait par les paramédicaux sur les difficultés rencontrées depuis plusieurs jours.

L’équipe est particulièrement « remontée » devant les ressources humaines insuffisantes pour cette période anormalement chargée.

Facteurs liés à l’environnement de travail :

Le cadre du service confirme les signalements des équipes, mais précise sa difficulté à justifier les demandes de renfort, par défaut d’outil d’évaluation de la charge de travail, et ce malgré quelques indicateurs au rouge : tours de soins retardés, soignants irrités et irritables, familles mécontentes, …

Facteurs liés à l’organisation et au management :

Les effectifs mobilisés sont ceux validés par la Direction Générale.

Les renforts ne sont pas autorisés.

Les outils de pilotage institutionnels ne permettent pas d’adapter les effectifs à la charge de travail.

Facteurs liés au contexte institutionnel :

Cet établissement de santé présente un déficit structurel depuis plusieurs années.

 

  • En résumé : ce qu’il faut retenir

- la présence dans le service de 2 patientes qui avaient le même nom,

- une charge de travail décrite très lourde par les équipes du service,

- des interruptions de tâches répétées dans la journée, occasionnant des retards dans la réalisation des tâches,

- une charge émotionnelle lourde pour la soignante qui a fait l’erreur et qui était débordée par sa charge en soins.

Les pistes de réflexion et/ ou d’amélioration

L’analyse de cette situation a conduit les professionnels médicaux et paramédicaux à réfléchir sur plusieurs actions :

- une alerte à la Direction Générale, devant les difficultés de l’encadrement à ajuster les effectifs en fonction de la charge de travail. La nécessité d’augmenter l’activité et la volonté de diminuer les durées de séjour concentrent les soins techniques lourds,

- un manque d’outils d’évaluation de la charge de travail : la Direction du Système d’Information Hospitalier sera sollicitée pour étudier la faisabilité technique d’élaboration d’un tel outil,

- une réflexion d’équipe pour redimensionner les équipes en fonction des prévisions d’activités.

Conclusion

Une double erreur pour 2 patientes, dans un contexte d’homonymie.

Au vu de l’analyse de cette problématique, il s’avère que cette erreur n’a pas qu’une seule cause.

Tous les acteurs sont impliqués dans cette dynamique de sécurité. L’organisation institutionnelle pour la maîtrise des risques doit évoluer pour être adaptée aux problématiques identifiées.

1 Commentaire
  • Thierry P 23/02/2016

    Les patientes avec des noms identiques ont probablement des prénoms différents. Dans le cas contraire, elles ont probablement des noms d'épouse (ou de jeune fille) différents.
    Dans notre établissement, dès que deux patients hospitalisés ont le même nom, il y a une feuille manuscrite qui le signale clairement sur le tableau des patients présents.
    Une plaque d'athérome iliaque ne peut justifier à elle seule un pontage fémoro-poplité ! Il devait y avoir d'importantes lésions sous-jacentes, sur les artères fémorale et poplité.
    A titre personnel, ayant vécu des incidents avec l'héparine en seringue électrique, je ne donne plus que des injections sous-cutanées en post-opératoire, sauf exception. C'est beaucoup plus facile pour le personnel, et le patient.

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