Malgré la mise en place de la check list sécurité au bloc opératoire, on rencontre encore des événements indésirables évitables au sein de ce plateau médico-technique. Dans l’analyse systémique de cet accident, on retiendra plusieurs défaillances collectives montrant une fois encore l’importance du respect des barrières de prévention mises en place.
Mr L. est admis aux Urgences pour de très fortes douleurs abdominales prédominantes en fosse iliaque droite en plein mois de février.
Mr L., patient de 85 ans, en bonne condition physique, se plaint depuis plusieurs jours d’une diarrhée, puis d’une constipation persistante, avec éructations. La diarrhée a été associée à une prise d’antibiotiques pour une bronchopneumopathie 10 jours auparavant, mais la constipation, qui s’en est suivie, n’est pas expliquée par le médecin traitant (examen clinique de l’abdomen non contributif) qui propose des laxatifs et d’attendre si le traitement instauré va solutionner ce désagrément digestif.
Dans les heures et jours qui suivent, le patient se plaint de douleurs abdominales, de plus en plus importantes, avec une prédominance en fosse iliaque droite. Le médecin traitant alerté par l’épouse préconise de se rendre aux Urgences pour une exploration de cette aggravation du tableau clinique.
Un médecin urgentiste va prendre Mr L. en charge : l’examen clinique retrouve un abdomen distendu, avec un météorisme à la percussion et des bruits hydro-aériques à l’auscultation. L’interrogatoire retient un arrêt du transit digestif du fait des signes de constipation et des nausées décrites par le malade. Les constantes montrent une tension artérielle subnormale à 105/55 mm de Hg, une tachycardie à 110 bpm, et une température à 38,7°c. Lors de l’examen clinique, il retrouve des cicatrices sur la paroi abdominale, expliquées par deux interventions dans ses antécédents chirurgicaux : un anévrisme abdominal opéré 3 ans auparavant, et une cure d’éventration datant de 6 mois… Il convient de préciser que ces interventions ont eu lieu dans le même établissement de santé, mais différent de la structure qui l’a pris en charge dans le cadre de l’urgence.
Il n’est signalé aucun autre antécédent, notamment médical : pas de traitement médicamenteux chronique ; c’est un monsieur décrit comme très actif, avec une marche quotidienne de près de 6 kilomètres pour promener son chien, et un passionné d’espaces verts qui entretient un beau jardin-potager.
Devant ce tableau clinique assez typique d’une occlusion digestive, il est demandé en urgence un scanner abdominal. Le malade peut bénéficier de cet examen d’imagerie rapidement.
Il est alors mis en évidence :
- un syndrome occlusif du grêle,
- une distension colique aérique,
- une inflammation de la région du cæcum,
- des troubles de la ventilation des deux bases,
- et surtout la présence d’une pince métallique dans l’abdomen (flanc droit para médian).
Dès réception des résultats de l’examen (alerte téléphonique du manipulateur radio au médecin urgentiste prescripteur), le chirurgien digestif de garde est immédiatement sollicité pour convenir d’une conduite à tenir devant cette cause atypique d’occlusion intestinale.
Il est alors convenu :
- de mettre en place immédiatement une aspiration digestive douce,
- de débuter rapidement une hydratation par voie intraveineuse,
- de contacter immédiatement le médecin anesthésiste de garde pour convenir ensemble d’un bilan sanguin afin explorer une possible déshydratation en lien avec un 3e secteur,
- d’initier rapidement une antibiothérapie à large spectre,
- d’organiser une prise en charge chirurgicale rapide dès que le patient sera préparé pour le bloc opératoire.
Le patient bénéficie d’une intervention chirurgicale dans les heures qui suivent : l’équipe chirurgicale retrouve une grande partie de l’intestin grêle ischémiée, nécrosée, volvulée sur une pince chirurgicale de 13 cm retrouvée, intégrée dans la paroi du grêle. Une résection intestinale est pratiquée et une stomie de décharge installée.
Les suites post-interventionnelles sont compliquées, avec la survenue d’un choc septique malgré une antibiothérapie à large spectre dans un contexte d’une dénutrition importante (albuminémie à 11 g/litre). Le patient est transféré en réanimation, ou un syndrome de défaillance multiviscérale est constaté avec persistance du choc septique, et une insuffisance rénale, malgré l’apport de noradrénaline.
Ce tableau clinique catastrophique conduit au décès du patient au 25e jour post-interventionnel.
Cet oubli d’instrument dans le champ opératoire (abdomen du patient) aura comme conséquences de :
Cet oubli d’instrument au bloc opératoire a été très difficile à gérer par les professionnels de santé évoluant au sein de ce secteur d’activité. L’annonce de cet événement indésirable au sein de l’équipe a généré de nombreuses questions. Il convient de préciser que ce type de dysfonctionnement n’avait jamais été rencontré, de mémoire, dans cette structure.
Devant les réactions de l’ensemble des professionnels de santé de cette unité, le chef de bloc opératoire sollicite une analyse approfondie du contexte ayant permis cette erreur.
L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement et d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.
Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.
Lors de l’examen des pièces du dossier médical du patient, il s’avère que l’intervention qui a généré cet oubli est la cure d’éventration, puisque le chirurgien qui a proposé cette prise en charge chirurgicale avait demandé un scanner abdominal pré-opératoire qui ne montre aucun corps étranger…
C’est l’examen d’imagerie médicale, demandé par le médecin urgentiste, qui a mis en évidence l’oubli de cette pince chirurgicale.
Les conséquences de cet Événement Indésirable Grave (EIG) pour le patient ont été médicalement dramatiques à moyen terme :
- une occlusion de l’intestin grêle,
- une prise en charge chirurgicale en urgence,
- des complications post-opératoires en lien avec la dégradation physiopathologique liée à l’occlusion,
- un séjour en réanimation dans un contexte de défaillance multiviscérale,
- le décès du patient.
Réaliser cette analyse plusieurs mois après la découverte de cet événement indésirable représente une réelle difficulté en termes de précision et d’exactitude des informations relevées.
Néanmoins, l’analyse s’est centrée sur les éléments de preuve trouvés dans les différents documents du dossier patient. Et à partir des non-conformités relevées, le travail de recherche et d’analyse a consisté à chercher des explications plausibles à partir de la vraie vie de ce bloc opératoire, en se polarisant sur les dysfonctionnements souvent rencontrés, trop rarement déclarés, générant potentiellement des zones de vulnérabilité dans les organisations.
Partant de ce constat, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
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