Mme Z. est à l’hôpital depuis 2 jours. Il est 19h30, et on vient de la trouver enfermée dans les toilettes, somnolente et les poignets tranchés…
Elle s’est présentée aux urgences pour une douleur lombaire intense, et qui empire graduellement depuis plusieurs jours. Cette douleur s’intensifie en décubitus dorsal. Elle déclare également une perte de poids de 10 kg en 6 semaines.
L’interrogatoire trouve également une fatigue et une perte d’appétit. Le conjoint de la patiente précise que son épouse est dépressive depuis plusieurs années.
L’examen clinique trouve un début d’ascite, une splénomégalie et des conjonctives jaunes.
Les examens biologiques montrent une amylase et une lipase élevée.
Devant ce tableau clinique, l’urgentiste propose une hospitalisation à la patiente, pour traiter le tableau douloureux dans un premier temps, et ensuite organiser un bilan d’imagerie médicale à la recherche d’un processus tumoral abdominal.
Le lendemain, le médecin interniste en charge de la patiente demande une échographie abdominale, et un scanner abdominal avec injection de produit de contraste (pour éventuellement faire un premier bilan d’extension locorégional potentiel).
Un bilan sanguin complémentaire est également demandé (marqueurs tumoraux).
Le diagnostic pressenti est confirmé : la patiente présente un cancer du pancréas.
L’annonce de la pathologie est faite au deuxième jour d’hospitalisation, en fin de matinée, en présence du conjoint qui est venu à la demande du responsable médical de l’Unité de Soins.
En début d’après midi, la patiente est trouvée prostrée dans son lit par l’infirmière lors de son passage pour son tour de soins …, immédiatement signalée au médecin qui demande à la psychologue clinicienne du service de passer la voir.
Cette dernière ne préconise pas une prise en charge particulière, si ce n’est une surveillance plus rapprochée pour cette malade qui présente une attitude mutique.
En fin de journée, vers 19h00, l’équipe soignante reçoit un appel téléphonique du mari de Mme Z., affolé, et leur fait part d’un message alarmant : son épouse vient de l’appeler pour lui dire qu’elle n’avait plus la force de vivre, et qu’elle lui demandait pardon de partir … Il ajoute que sa femme avait une voix endormie !!
Aussitôt l’équipe soignante se rend dans sa chambre, et ne la trouve pas … regarde dans le cabinet de toilette de la chambre, personne … et fait le tour du service. Les infirmières finissent par la retrouver enfermée dans un toilette à destination du public ; elles mettent un peu de temps pour ouvrir la porte (verrouillée de l’intérieur) et elles trouvent la patiente allongée par terre, dans une mare de sang et somnolente. Elle présente des incisions profondes des deux poignets, avec vraisemblablement des plaies artérielles (saignements en jets). Elle est somnolente … et l’on retrouve dans la poubelle une boite d’anxiolytiques vide.
La patiente est prise en charge immédiatement, pansement compressif, installation sur un brancard, transfert dans une chambre libre, et un médecin urgentiste arrive très rapidement après avoir été prévenu par une aide soignante.
Une voie veineuse est posée, la patiente est placée sous moniteur multiparamètres, un remplissage est initié avec une pression artérielle à 90 mm d’Hg et après un dosage d’hémoglobine par microcapillarité donnant un chiffre à 7,8 g/dl, l’état de somnolence est évalué …
Un transfert est décidé, vers un centre hospitalier permettant la chirurgie vasculaire au vu des lésions constatées (cet établissement de santé ne propose pas cette spécialité chirurgicale).
Le mari arrive alors, accompagné de son fils, très inquiets. L’aide soignante les prend en charge, puis l’urgentiste vient expliquer la situation à la famille.
La patiente est mise en condition, l’urgentiste trouve rapidement un établissement pouvant accueillir la malade, et le SMUR arrive pour organiser le transfert de Mme Z …
Les nouvelles prises le lendemain par l’équipe médicale sont rassurantes, l’équipe chirurgicale ayant réussi à remettre en continuité les différents vaisseaux sanguins lésés à droite et à gauche.
Cet événement très inhabituel a fortement ébranlé l’équipe paramédicale présente :
- une patiente avec un pronostic vital engagé,
- une prise en charge difficile car inhabituelle,
- une famille dans une détresse psychologique à prendre en charge et soutenir,
- un transfert en SMUR pour un autre établissement de santé.
Le Directeur Général de l’Etablissement décide de déclarer cet événement indésirable grave à l’Agence Régional en Santé, et demande à la cellule de Gestion des Risques de l’Etablissement de réaliser une analyse pour ce cas clinique, et de proposer d’éventuelles actions correctrices en fonction des enseignements mis en lumière.
Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Facteurs liés au patient :
La patiente présentait des antécédents dépressifs.
Le conjoint l’a d’ailleurs précisé à l’urgentiste, mais en oubliant de dire qu’elle avait un traitement spécifique.
La communication avec la patiente n’était pas aisée après l’annonce de son cancer.
La malade est rapidement dans un état mutique : mais aucun professionnel de santé n’a relevé d’élément qui pouvait faire craindre un tel passage à l’acte.
Les phlébotomies ont été réalisées par un couteau que la patiente avait dans son sac (autodéfense). Sa présence n’avait pas été détectée par l’équipe soignante.
Facteurs liés aux tâches à accomplir :
L’établissement de santé possède une procédure de prise en charge des urgences vitales : aucun élément négatif n’a été relevé concernant ce process. Il était adapté à la situation et la prise en charge a été très efficace.
L’équipe médico-paramédicale a su mobiliser les moyens pour une prise en charge d’une urgence vitale.
La répartition des rôles a été faite spontanément, chacun a su trouver sa place dans cette dynamique performante.
Les décisions ont été prises en temps et en heures. Aucun retard dans l’enchaînement des gestes techniques n’a été constaté dans l’analyse du dossier.
Les moyens mis en œuvre sont adaptés à la situation clinique, malgré le caractère exceptionnel de cette prise en charge.
La procédure d’accueil de la patiente a été respectée, notamment en ce qui concerne la mise sous séquestre du traitement habituel. Le traitement anxiolytique a bien été pris en compte dans l’anamnèse ; mais ni la patiente, ni le mari n’ont déclaré cette boîte d’anxiolytiques.
Facteurs liés à l’individu (professionnel impliqué) :
L’équipe paramédicale a très bien réagi, les premiers gestes de secours étaient cohérents à l’état de la malade ; l’équipe des urgences a su prendre les bonnes décisions au bon moment.
Facteurs liés à l’équipe :
Aucun problème n’a été signalé dans la répartition des rôles ; personne ne s’est senti en difficulté technique. La communication entre professionnels a été optimale. Le niveau de collaboration était en phase avec la situation. L’urgentiste a été naturellement le leader dans cette équipe constituée pour la circonstance.
La traçabilité des gestes techniques et des traitements administrés a été réalisée par une infirmière dédiée à cette mission.
La décision de transfert a été prise rapidement, et s’est imposé à tous.
Le cadre de garde n’a pas été prévenu.
Facteurs liés à l’environnement de travail :
Aucune mention dans la procédure de prise en charge d’une urgence vitale n’avait prévu le contexte d’un suicide ; l’administrateur de garde n’a été prévenu que le lendemain. La déclaration auprès d’un Officier de Police Judiciaire a été réalisée à distance, sans qu’il puisse y avoir un constat sur place.
Le chariot d’urgence a rempli son rôle parfaitement. La dotation de ce dernier était adaptée à cette situation clinique.
Les équipements nécessaires ont pu être mobilisés rapidement, notamment le brancard.
Le Dossier Patient Informatisé n’était pas adapté au contexte d’urgence : le médecin occupé à techniquer la malade n’était pas en mesure de saisir les prescriptions sur l’informatique. Le mode dégradé « support papier » a été immédiatement utilisé par l’équipe sans hésitation.
Le dimensionnement de l’équipe de jour (3IDE et 2 AS) était cohérent avec la prise en charge de cette urgence (unanimité de l’équipe). De plus, l’équipe de nuit en arrivant, a pris immédiatement le relais auprès des autres patients.
Facteurs liés à l’organisation et au management :
Les procédures d’urgences étaient présentes et opérationnelles.
On peut de nouveau noter que l’équipe n’a pas pensé à prévenir le cadre de garde (vu l’heure tardive) qui aurait pu être une valeur ajoutée dans la logistique et la prise en charge de la famille.
La notion de déclaration de l’incident auprès d’un O.P.J. n’était connue de personne.
Facteurs liés au contexte institutionnel :
Les partenariats avec les établissements voisins dans le cadre d’activités médicales complémentaires ont été respectés, permettant de ce fait un transfert rapide sans perte de chances pour la patiente.
- Une patiente ayant des antécédents de dépression,
- La mise sous séquestre des médicaments de la malade incomplète,
- La présence d’une arme blanche dans le sac à main de la patiente non détectée,
- Une prise en charge d’urgence vitale performante,
- Une procédure de prise en charge des urgences vitales opérationnelles,
- Des dotations de matériels et de médicaments adaptées,
- Des effectifs soignants conformes au schéma d’organisation validée,
- Le cadre de garde et l’administrateur non prévenus, et pas de déclaration immédiate de l’incident auprès d’un OPJ.
- Les partenariats inter établissements cohérents pour cette situation.
- La mise en évidence que le Dossier Patient Informatisé n’est pas adapté aux situations d’urgence vitale.
L’analyse de cette situation a été communiquée au niveau institutionnel lors d’une réunion de restitution dans le cadre d’une séance de R.M.M.. Les éléments suivants ont été retenus :
Cette analyse a également mis en évidence que la procédure de prise en charge de l’urgence vitale était adaptée au contexte, du temps d’alerte à la stabilisation de l’état de santé de la patiente, jusqu’au transfert dans un autre établissement.
Cette restitution a permis de conforter les équipes sur les mesures prévues pour cette situation clinique critique.
Mais elles ont été également alertées sur le risque juridique dans le cadre d’un suicide, avec la nécessité du déplacement d’un Officier de Police Judiciaire qui vient faire les premiers constats sur place pour consigner les éléments de contexte de l’incident.
Le procès verbal réalisé par les forces de l’ordre permet de figer les éléments du contexte, dans l’hypothèse d’une remise en cause des faits par les familles à distance de l’événement.
Une clinique MCO condamnée pour tentative de suicide d’un patient
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