Mme N, arrive aux Urgences, accompagnée par une personne servant également d’interprète, car la malade a de grosses difficultés avec la langue française.
Mme N, 48 ans, se présente aux Urgences pour une Altération de l’Etat Général (AEG). Son accompagnant explique qu’elle est très fatiguée depuis 2 à 3 jours, qu’elle est très essoufflée lorsqu’elle fait un petit effort.
Habituellement très dynamique, son état de santé inquiète son entourage.
Mme N est accueillie par l’Infirmier d’Accueil et d’Orientation. Il est 2 heures du matin. Il réalise l’enregistrement administratif, la patiente est connue dans la base de données de l’établissement. Il procède à l’interrogatoire de la malade et recueille les symptômes afin de déterminer si elle doit bénéficier d’une prise en charge prioritaire.
Les premières constantes sont prises : Tension Artérielle (TA) à 100/55 mm de Hg, Fréquence Cardiaque (FC) à 125 pulsations par minute, Saturation en oxygène (SpO2) à 94%. L’IAO note également une coloration des téguments un peu pâle, mais il précise dans sa transmission qu’il a quelques difficultés à l’apprécier chez cette malade d’origine asiatique.
La patiente est alors installée sur un brancard dans un box de consultations, une oxygénothérapie à la lunette nasale est mise en route à 3 litres / minute, et un bilan sanguin est prélevé conformément au protocole du service pour cette symptomatologie et transporté au Laboratoire de Biologie Médicale (LBM).
Le résultat de la Numération Formule Sanguine est téléphoné rapidement au sénior des Urgences car il est pathologique, avec un taux d’hémoglobine annoncé à 4,5 g/dL. Le praticien se rend sans tarder au chevet de la malade pour l’examiner et l’interroger. Il demande également une mesure de l’hémoglobine par micro méthode (Hémocue*). Les éléments suivants sont retrouvés dans le dossier :
Le praticien pratique un examen gynécologique et retrouve un utérus très augmenté de volume, pouvant faire évoquer la présence de myome(s).
Au vu de l’heure (3 heures du matin), l’Urgentiste propose à la malade de la garder en observation jusqu’au lendemain, une transfusion de 2 Concentrés de Globules Rouges (CGR) car de nombreux signes cliniques montrent qu’elle ne supporte pas bien cette anémie, et l’assurance de consulter un gynécologue obstétricien au matin.
Cette proposition thérapeutique expliquée par l’accompagnant est acceptée par Mme N.
Les 2 CGR sont commandés immédiatement, car une carte de groupe sanguin valide est trouvée dans le dossier médical de la patiente.
Lors du contrôle ultime transfusionnel réalisé au lit de la patiente, l’IDE en charge de l’application du traitement trouve une discordance entre le donneur et le receveur. L’Urgentiste est prévenu, et ce dernier demande un contrôle du groupe sanguin en urgence (une détermination). Le résultat revient rapidement du LBM, et confirme la discordance entre la carte de groupe du dossier et la détermination de contrôle.
Le praticien retourne voir la malade et son accompagnatrice, échange de longues minutes avec elles, et elles finissent par convenir qu’elles ont donné l’identité d’une amie (avec son accord) qui avait une couverture sociale. C’est à ce moment que l’équipe soignante a découvert l’usurpation d’identité.
Cet incident n’a eu aucune conséquence pour la patiente et son pronostic vital, mais des impacts financiers et organisationnels pour l’établissement, et notamment :
Cet Evénement Porteur de Risques (EPR) a inquiété les personnels présents cette nuit là. L’IAO, à l’origine de l’enregistrement administratif, a d’ailleurs fait une déclaration d’événement indésirable au service Qualité-Gestion des Risques.
Ce dernier a décidé de procéder à une analyse de cet incident afin de mieux comprendre les raisons de ce dysfonctionnement.
La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.
Erreur d’identité : le patient s’est fait enregistrer avec une fausse identité.
Facteurs de la grille ALARM | Causes identifiées |
Facteurs liés au patient |
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Facteurs liés aux tâches à accomplir |
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Facteurs liés à l’individu (personnel de la structure) |
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Facteurs liés à l’équipe |
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Facteurs liés à l’environnement de travail |
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Facteurs liés à l’organisation et au management |
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Facteurs liés au contexte institutionnel |
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L’analyse de cette situation a conduit les professionnels administratifs, médicaux et paramédicaux à réfléchir sur les points suivants :
Cet établissement de santé a rédigé sa procédure d’identitovigilance, considérant que cette barrière permettrait de maîtriser le risque d’erreur d’identité des malades.
Et pourtant, une vulnérabilité majeure a pu être présente dans cette prise en charge. Elle est partie d’une fausse déclaration de la personne soignée, acte volontaire. Mais cette possibilité avait été envisagée dans la procédure, puisque l’enregistrement d’un passage aux Urgences ou d’un séjour dans la structure se fait à partir d’une pièce d’identité.
Les difficultés de communication (barrière de la langue) n’ont pas permis un dialogue habituel avec la personne soignée.
L’importance du respect de toutes les étapes de cette procédure est primordiale et aucune ne doit être sous-estimée.
Enfin, la charge de travail des équipes doit être prise en compte dans les prises de décisions de remplacement, et l’application de consignes pas toujours adaptées peut être aussi génératrice d’une altération de la sécurité du patient.
La compréhension de ces éléments doit permettre à chaque acteur et décideur de prendre la bonne orientation pour les malades.
Félicitations à l'infirmier qui a effectué un contrôle ultime au lit de la patiente avant transfusion, et à l'urgentiste qui a demandé un contrôle de groupe sanguin en urgence. Sans ces 2 actions, la patiente serait sans doute décédée d'erreur transfusionnelle, et l'IDE et le médecin condamnés, alors que c'est elle qui a volontairement usurpé son identité.
Vos analyses sont toujours très fines et intelligentes. Mais quelle est la sanction envisagée à l'encontre de cette patiente qui a mis volontairement sa vie en danger et de la personne qui l'a accompagnée dans cet acte, en toute connaissance de cause ? De qui se moque-t-on ? S'il y avait eu le moindre accident grave, l'hôpital aurait été attaqué sans remords... Bravo au professionnalisme de l'équipe soignante de la phase ultime !