Nous sommes en route pour une considérable révolution tant organisationnelle que technique de notre modèle de santé, sans précédent depuis presque 100 ans.
Le fait n’a rien de spécifique à la France, il est mondial. Quelles en sont les conséquences ? Le point de vue du Pr. René Amalberti.
La percolation et l’accélération des innovations organisationnelles et techniques des prises en charge sont la raison principale pour laquelle il faut maintenant changer presque totalement de système de santé et de référentiel Qualité et Sécurité. La demi-vie de la connaissance médicale (durée d'obsolescence de la moitié d’une revue de question majeure dans une discipline médicale) ne cesse de se réduire et est passée sous la barre des 5 ans et demi (Shojana, 2007 ; Neuman, 2014 ; Alderson 2014)1.
Cet accroissement rapide des connaissances et cette excellence médicale sans limite, d'abord appliquée à la maternité et l'enfance, étendue à l’adulte et à la fin de vie, sur un fond de génération sans guerre dans 80% des pays, et d'efforts importants d’hygiène (accès à l’eau et à la nourriture mieux filtrées et conservées) créent un vieillissement massif des populations mondiales (et presque pire dans les pays les plus pauvres). En 1950, il y avait 205 millions de personnes dans le monde âgés de plus de 60 ans. On atteindra 1 milliard en 2020, et 2 milliards en 2050. En 2030, la France comptera plus de 30% de ses citoyens ayant dépassé 60 ans, dont 12% au dessus de 85 ans. L’INSEE considère que la population Française croîtra d’ici 2070 de 10,7 millions d’habitants dont 10,4 millions de plus de 65 ans, et ce solde positif sera lié pour 97% au seul vieillissement et non à la natalité (Blanpain 2016)2.
En bref, notre excellence est ‘une usine’ à créer du patient (plus 20% de nouveaux patients depuis 2000, tous co-morbides, chroniques et complexes) et ce chiffre va monter à 50% de nouveaux patients en 2030 par rapport à 2000 ; ces ‘nouveaux’ patients survivent longtemps (années) à des pathologies qui les auraient tués en quelques mois seulement à la fin des années 90 (INSEE, 2016).
Mais pire, en 2050, par le cumul du vieillissement à un bout de la vie, et des effets de la génomique et de la médecine de prévention personnalisée à l'autre bout, ce sont près de 80% des citoyens français qui auront une pathologie diagnostiquée et potentiellement mortelle, mais dont la prise en charge efficace leur donnera paradoxalement un ‘droit’ au vieillissement en bonne forme encore plus important que celui existant actuellement, avec des diagnostics tardifs des mêmes pathologies.
Cinq conséquences majeures sont en déjà en voie de réalisation (Amalberti, Braithwaite, 2016 ; Grenier et sous presse)3 :
Certains bouleversements sont fondamentaux pour notre approche de la sécurité. Pour ne citer que les plus importants :
D’autres fondamentaux et façons de lire le risque sont fortement impactées par ces changements de fond.
Ce court texte ne peut prétendre balayer toutes les conséquences du tsunami que nous avons nous même créé dans les décennies précédentes par l'excellence de la médecine. Plusieurs groupes de travail à l’OMS, à la Commission européenne, dans chaque état, et dans bien d'autres grands organismes internationaux s’essaient à lister les conséquences et à se donner un calendrier pour réaliser la révolution nécessaire à la gestion de cette nouvelle donne.
On table en général sur 40 ans de transitions, et on considère que les pays occidentaux ont déjà parcouru 15 ans de la réforme nécessaire. Les premiers pas étaient politiques et structurels, mais nous en sommes maintenant aux conséquences pratiques sur les pratiques et les métiers. A noter qu’il n’y a pas d’émergence connue d'autre chemin alternatif connu à ce jour, dans aucun pays, quel que soit le bord politique, et même la santé financière des pays.
1 Alderson L., Alderson P., Tan T. Median life span of a cohort of national institute for health and care excellence clinical guidelines was about 60 months, Journal of Clinical Epidemiology, 2014, 67, 1, 52-55
Neuman M., Goldstein J., Cirullo M., Sanford Scharwtz J. Durability of Class 1 American College of Cardiology/American Heart Association Practice Guideline Recommendations, JAMA, 2014, 311 (20) 2092-2100
Sjohania K., Sampson M., Ansari M., JI S., Douvette S., Moher D., How quickly do systematic reviews go out of date? A survival analysis, Ann Int Med, 2007, 147, :224-33
2 Blanpain N., Buisson G., Insee - Première Projections de population à l'horizon 2070 - Deux fois plus de personnes de 75 ans ou plus qu'en 2013, N)1619, Novembre 2016 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2496228
3 Amalberti R., Braithwaite, J. Nicklin W. Preparing national health systems to cope with the impending tsunami of ageing and its associated complexities. Towards more sustainable health care, Int J Qual Health Care. 2016 June; 28(3):412-4
Grenier C. Amalberti R., May L., Armanteras de Saxcé AM France: Horizon 2030: adopting a ‘global local’ approach to patient safety in in J. Braithwaite AU, R.Mannion UK, Y.Matsuyama, P. Shekelle US, sous presse
4 Guichard G. Le vieillissement ferait bondir la dette publique, Le figaro 30 décembre 2016, lu sur http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/12/30/20002-20161230ARTFIG00004-le-vieillissement-ferait-bondir-la-dette-publique.php
5 Vincent C., Amalberti R., Safer healthcare : strategies for the real world, Springer, 2016 Free download https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-319-25559-0
6Ghafari A, Birkmeyer J, Dimick J. Variation in hospital mortality associated with inpatient surgery. N Engl J Med 2009; 361:1368
7 Howell, A., Panezar S. , Burns E. , Donaldson L. , Darzi. A. Reducing the Burden of Surgical Harm: A Systematic Review of the Interventions Used to Reduce Adverse Events in Surgery. Annals of Surgery 259, n°4 (avril 2014): 630 641.
8 Vincent C., Amalberti R. Safety in healthcare is a moving target BMJ Qual Saf 2015; 24:539-540
Amalberti R. Navigating safety, Necessary compromises and trade-offs - theory and practice, 2013, Springer verlag :Berlin
L’article du Pr Amalberti appelle trois commentaires :
-evoquer le coût de la santé en point du PIB, c’est une réalité comptable mais très difficile à appliquer sur le terrain.Choix de patients et de pathologies,basés sur les connaissances apprises en CHU ou à École de commerce
-en cas de "problème ",les magistrats se basent sur des textes et non sur des agences de notation
-un individu,dans une ville universitaire ou dans un hameau isolé du Perche,n’ a pas les mêmes soins à sa disposition. Et pourtant tous les deux participent avec le même pourcentage en imposition au PIB. Inequité vs égalité ?