Beaucoup de gens pensent que la santé est l’exemple typique d’un système adaptatif complexe, on y retrouve beaucoup de parties prenantes, publiques, étatiques, clientes et professionnelles, un mélange de public et privé, et différents systèmes cohabitant entre soins primaires, secondaires et tertiaires.
En reprenant l’apport des théories sur les systèmes complexes, l’adaptation devrait être factuelle, continuelle, sans anticipation réelle des comportements qui seront adoptés, avec une somme des parties différentes de la valeur de chaque acteur, et un système de relations non linéaire entre toutes ces parties.
Si on dresse un graphe des types de systèmes avec deux axes, un axe représentant le nombre de composantes, et l’autre le degré d’interrelations, on distingue trois grandes classes de systèmes :
L’étude des systèmes complexes est donc un bon modèle pour comprendre le fonctionnement des systèmes médicaux, imaginer des solutions ou en tous cas de comprendre ce qu’on ne peut pas faire versus ce qui permet d’agir et d’influencer (plutôt que de corriger) de tel systèmes.
A l’échelon individuel, peu ou pas d’acteurs d’un système complexe, peut capturer la complexité complète du système, ces acteurs imaginent tous être des éléments individualisés, différents du voisin, complexes par eux-mêmes, mais incapables de représenter les interdépendances et la complexité du tout dont ils font partie. Du coup, les acteurs, décideurs, professionnels ou patients d’un tel système complexe sont toujours mécontents car ils n’arrivent pas à comprendre pourquoi le système ne fait pas ce qu’ils attendent.
Pire, on peut imaginer par exemple que des idées simples comme "centré sur le patient" sont un peu illusoires pour la même raison quand on les met en pratique. Les dimensions économiques, les ressources humaines, les distances, les agendas politiques font que le tout demeure en général très éloigné d’une action locale idéale.
Souvent, le parcours de soin prescrit par les professionnels et suivi par le patient, finit par se satisfaire de traiter le problème de complexité par la routine, par le suivi de la recommandation, valables pour le plus grand nombre, typique d’un raisonnement linéaire rassurant.
On sait tous que la variation des contextes (qualité et distance hospitalière, ainsi que la cartographie médicale) et les variations de formes des pathologies peuvent fortement contrarier ces routines, et contrarier les pronostics. Cependant, l’approche linéaire rassure tous les acteurs, et donne des repères pour se raccrocher et enseigner une ligne de travail.
En quelque sorte, la santé a pris le parti de la simplicité, comme l’ont fait beaucoup d’autres systèmes complexes, d’enseigner un système assez franchement inexact, mais qui permet de se construire une représentation simple pour des objectifs locaux de chacun, et qui est un objet rassurant.
Il faut bien sûr admettre que si l’on voulait réellement enseigner la complexité du système de santé aux professionnels, comme aux patients, la tâche serait immense, longue à souhait, et vouée très probablement à l’échec : il faudrait au moins deux fois plus d’années de formation pour former un professionnel, tout en sélectionnant encore plus ceux qui sont capables intellectuellement d’accéder à cette complexité, faire dix fois plus de pédagogie et d’explications pour les citoyens pour leur expliquer leur système de santé, au risque de jeter une confusion et d’être de moins en moins compris, voire de générer des comportements à contresens ; bref, en la matière un réductionnisme fort paraît fonctionnel au jour le jour, et facilitateur d’un point de vue journalistique et politique, mais forcément qui génère des frustrations quotidiennes car il est loin de refléter le réel.
De même, si on parle d’adaptation, ce sont des règles simples qui régissent le monde animal et biologique dans la sélection Darwinienne ; les évolutions viennent toujours de la base, pas du sommet de l’espèce. Elles forment des clusters locaux de variations en fonction de contextes changeants (des essaimages et des émergences), qui ne sont en rien fédérées par un processus "top-down".
En santé, on pourrait penser que c’est la même chose qui devrait se passer pour gérer la complexité tant du fait de l’immense variété des lieux de soins que des solutions politiques choisies par chaque pays, mais les directives restent au contraire très mondialisées, souvent au bénéfice de dirigeants et d’autorités qui se voient reconnus par cette centralisation, et avec in fine bien peu de tolérance aux essaimages locaux.
Et même s’il persiste évidemment des ajustements locaux, la santé mondiale se traduit par de faibles variations et de faibles variations et de faibles évolutions culturelles et organisationnelles notables :
Une posture qui gèle l'adaptation au risque de crises soudaines d'inadaptation.
Jeffrey Braithwaite1 et ses collègues nous mettent en garde, et nous disent que c’est peut-être une de ces très grandes crises d’inadaptation que la santé recommence à vivre depuis moins de 5 ans avec moins de ressources humaines, plus de demandes (vieillissement massif), une organisation trop rigide, trop unique, trop culturellement et administrativement top-down au détriment d’une capacité d’adaptation locale.
1Président actuel de l’ISQUA (International Association of Quality in HealthCare)