L'analyse de ce cas clinique met en évidence un défaut de surveillance chez une patiente aux antécédents particuliers, hospitalisée pour une pose de prothèse de hanche. Une lésion du nerf sciatique, connue comme une complication postopératoire courante, aurait pu être réversible si elle avait été traitée à temps.
Depuis octobre 2014, une femme de 81 ans souffre d'une arthrose de la hanche droite, d'aggravation rapide entraînant de violentes douleurs et une déambulation très difficile, à l'aide de deux cannes. En 2006, cette patiente est opérée pour la pose d’une valve aortique mécanique justifiant des anticoagulants type AVK à vie. En 2009, suite à une prise de sang au niveau du pli du coude droit, un hématome important apparaît, entraînant une compression du nerf médian suivie d’une parésie définitive, nécessitant le port permanent, nuit et jour y compris en été, d'un gant pour réchauffer les doigts.
Le 12 janvier 2015
La patiente consulte, en clinique, un chirurgien orthopédiste qui note "(...) Valve aortique mécanique, traitement par AVK, INR autour de 3, marche difficile avec deux cannes, douleurs diurnes et nocturnes... A l'examen clinique, flessum de la hanche droite d'environ 20°, flexion limitée à 60° (...) A la radio, évolution d'une coxarthrose droite rapide avec nécrose à l'IRM (...) Il faut envisager rapidement une PTH droite ...".
Au décours, la patiente consulte son cardiologue traitant. Celui-ci confirme l’absence de contre-indication opératoire et préconise un relai AVK par Calciparine®, avant l'intervention chirurgicale.
Le 5 février 2015
Lors de la consultation d'anesthésie, une ordonnance est rédigée pour arrêter la prise de Coumadine® et la remplacer par trois injections (matin, midi et soir) de Calciparine® jusqu'au matin du 17 février 2015.
Les différents formulaires de consentement éclairé pour la chirurgie et pour l'anesthésie sont signés.
Le mardi 17 février 2015
Après avoir reçu la dernière injection de Calciparine®, la patiente est hospitalisée en clinique.
Bilan d'hémostase : TP à 59 % et TCA très allongé supérieur à 240 sec contre 30 sec pour le témoin.
Le mercredi 18 février 2015
Le jeudi 19 février 2015 (J1)
La patiente est très algique, (douleur à 8/10 sur l'échelle de l'EVA) ; de la morphine lui est administrée en continu.
Le vendredi 20 février 2015 (J2)
Dossier médical (chirurgien docteur B.) : "(...) nauséeuse ce matin, changer son traitement antalgique, hémoglobine 7,8 hier, transfusée de 2 culots, nouvelle transfusion ce jour de 2 culots de plus (...)".
Dossier infirmier : "patiente se plaignant de douleurs intenses au niveau des jambes, administration d’antalgiques de palier 3, entraînant nausées et vomissements".
Dossier médical (anesthésiste docteur Y.) : Prescription de Primpéran, Zophren, et Inipomp.
Le samedi 21 février 2015 (J3)
Bilan sanguin, hémoglobine à 10,6 g/100 ml, créatininémie à 100 mmol/l, clairance créatinine à 37 ml/min, activité anti Xa 0,73 U/ml.
Dossier infirmier : "18 h 37. Bilan sanguin vu par anesthésiste Y. RAS".
Le dimanche 22 février 2015 (J4)
Dossier infirmier : "diarrhée (...)"
Le lundi 23 février 2015 (J5)
Dossier médical (chirurgien docteur A.) : "(...) très douloureuse la nuit, ablation du redon ce jour, essayer de la faire marcher avec kiné (...).
11 h 55 - Bilan sanguin : hémoglobine à 6,7 g/100 ml, créatininémie à 12 mg/l, clairance créatinine à 35 ml/min TP à 81 %, TCA 36 s/30 s. Transfusion de 2 culots globulaires (anesthésiste de garde).
Le mardi 24 février 2015 (J6)
15 h 00 - Transfusion d'un culot globulaire.
Le mercredi 25 février 2015 (J7à
Dossier médical (chirurgien remplaçant du docteur A.) : "(...) une sortie est prévue en rééducation pour le 03/03, bien glacer (...)".
Bilan sanguin : hémoglobine à 9,6 g/100 ml, créatininémie à 69 mmol/l, clairance créatinine à 53 ml/min, TP à 91%, TCA normal.
La patiente dit avoir de plus en plus mal.
Dans la nuit du 25 au 26/02/2015
04 h 38 - Malaise de la patiente, PA 63/36. Examen par l’anesthésiste de garde docteur T…), qui signale une sciatalgie droite.
Le jeudi 26 février 2015 (J8)
Le vendredi 27 février 2015 (J9)
Le samedi 28 février 2015
Reprise opératoire (chirurgien, docteur B.) : "(…) Abord de la hanche. Évacuation d’un hématome expansif sus et sous-aponévrotique. Lavage au sérum bétadiné. Hémostase d’une artériole capsulaire (…)".
La patiente restait hospitalisée en clinique jusqu’au 19 mars 2015.
Le compte-rendu de sortie rédigé par le chirurgien qui a réalisé la pose de la prothèse, indique :
"(...) Le 26/02 sont apparues des sciatalgies du côté droit. L'évacuation de l'hématome de la cuisse a été reportée en raison de la fatigue et à la demande de la patiente. Elle a été faite le 27/02, il existait alors une paralysie sciatique complète... Le bilan précoce a montré un trouble de sensibilité important du dos du pied et de la face plantaire, ainsi qu’une paralysie motrice des releveurs et des fléchisseurs des orteils...
D'un point de vue général, stabilisation progressive de l'anémie... les suites consistent à calmer les douleurs neuropathiques, à faire marcher la patiente avec son releveur de pied. A la sortie, état psychologique stable avec périodes normales et périodes d'anxiété... Toujours des douleurs neuropathiques du membre inférieur traitées par Neurontin® et Durogesic®. RAS à l'examen de la hanche. La patiente peut marcher avec l'aide du releveur (…)".
Du 19 mars au 24 juin 2015
La patiente est hospitalisée en centre de rééducation, puis regagne son domicile.
Le 03 juillet 2015
La patiente est de nouveau hospitalisée et opérée par le même chirurgien et dans même clinique, pour la mise en place d'une prothèse totale de la hanche gauche. Les suites sont simples.
La patiente se plaint de douleurs neuropathiques du membre inférieur droit ainsi que de séquelles de paralysie sciatique. Elle dit porter en permanence une chaussette, y compris pour se doucher.
Elle ne peut plus effectuer la plupart des gestes de la vie courante, fait peu de ménage, ne peut plus faire de jardinage, ni conduire son véhicule. Tous ses déplacements et ses courses se font avec l'aide de ses deux filles.
La rééducation à domicile a cessé en octobre 2016. Le traitement associe Coumadine®, Ixprim® 2/j, Neurontin 200® 3/j.
La patiente est suivie en centre antidouleur tous les trois mois.
A l’examen clinique
La marche, avec ou sans canne, se fait avec un steppage. Au niveau du membre inférieur droit, atteinte combinée poplité externe/poplité interne liée à l'atteinte du tronc sciatique, avec une récupération partielle, plus de deux ans et demi après le fait générateur.
Saisine de la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI) en décembre 2016 par la patiente pour obtenir réparation du préjudice qu'elle a subi.
D'après l’expert, praticien hospitalier, chirurgien orthopédiste :
"(…) La patiente, qui était fortement anti coagulée car elle était porteuse d'une valve mécanique aortique, avait été victime d’une paralysie sciatique par compression due à un hématome post opératoire dans les suites de la mise en place d'une prothèse totale de hanche.
La paralysie sciatique est une complication connue des prothèses totales de hanche de première intention. Sa fréquence est de 0,2 à 2 %. Elle est due à un hématome postopératoire situé au voisinage du nerf sciatique. Une douleur inhabituelle, un gonflement significatif de la fesse ou de la cuisse, de même que des signes d'irritation du nerf sciatique doivent faire évoquer la présence d'un hématome au voisinage du nerf sciatique. Il est essentiel de prêter attention aux signes de paralysie sciatique au cours de la période postopératoire précoce. En effet, lorsqu'elle est reconnue et traitée rapidement, la lésion du nerf sciatique est réversible.
Chez la patiente, la mise en place d’une prothèse totale de hanche était le seul traitement possible, devant l'importance de la gêne fonctionnelle et après l'échec du traitement médical.
La réalisation technique de l'intervention chirurgicale était conforme aux règles de l'art ainsi que l’anesthésie et la gestion de l'anticoagulation en période périopératoire après avis du cardiologue traitant. Les AVK ont été arrêtés cinq jours avant l'intervention et remplacés par la Calciparine® et, en postopératoire, dans les délais habituels, une HBPM (Lovenox®) a été réintroduite, à la dose de 0,6 ml x2/j, conformément aux recommandations scientifiques.
Le chirurgien de la patiente étant absent, pour congés annuels, à partir du lendemain de l’intervention, la surveillance postopératoire a été réalisée par deux autres praticiens.
Malgré une déperdition sanguine récurrente ayant nécessité la transfusion de plusieurs culots globulaires, aucun examen complémentaire, ni bilan d'imagerie n'a été effectué pour rechercher la cause de l'hémorragie. Dans la nuit du 25 au 26/02/2015 (J7), la patiente a fait un malaise hypovolémique nécessitant l’intervention de l'anesthésiste de garde. Ce dernier a noté, dans son observation, que la patiente se plaignait d’une sciatalgie. Il s'agit de la première fois où une atteinte neurologique est signalée. Dans les dossiers remplis par les autres praticiens (chirurgiens ou anesthésistes), il n’est pas fait mention d’un examen clinique, notamment neurologique. De même, il n’y a pas d’information ou de constatation de l’intervention d’un kinésithérapeute.
Le 26/02/2015, au matin, une intervention de reprise a été proposée à la patiente qui l’a initialement récusée, cette intervention ayant finalement été réalisée le lendemain.
Il faut rappeler que la patiente était dans un état de confusion suite au malaise hypovolémique par déperdition sanguine survenu dans la nuit du 25 au 26/02/2015. De ce fait, elle ne pouvait pas apporter un consentement éclairé à cette intervention chirurgicale d'indication formelle et urgente.
Elle n'a d’ailleurs aucun souvenir de cette journée et l'étude du dossier infirmier indique un grand état de confusion mentale et d'agitation. Quant aux conséquences de ce retard de 24 heures à la reprise opératoire, aucun examen clinique n’est disponible pour affirmer qu’au matin du 26/02/2015, la paralysie n’était pas déjà constituée.
Au vu de ces éléments, il existe, indiscutablement, un défaut de prise en charge et de surveillance des deux chirurgiens, les docteurs A. et B., qui ont examiné la patiente en postopératoire.
La constatation d’une déperdition sanguine importante aurait dû entraîner la réalisation d’un bilan d'imagerie à la recherche d’une hémorragie interne ou d'un hématome compressif. Un suivi très étroit et rigoureux était nécessaire chez cette patiente aux antécédents particuliers qui avait déjà présenté une parésie du nerf médian après un hématome compressif du coude survenu après une simple prise de sang. Cette surveillance attentive aurait permis l'évacuation de l'hématome de la hanche et de la cuisse avant l'apparition de signes neurologiques déficitaires.
En revanche, il n’y a pas de responsabilité des différents anesthésistes qui ont également pris en charge la patiente. A aucun moment, au vu des bilans sanguins répétés, il n’a existé d'insuffisance rénale nécessitant le changement de posologie des anticoagulants.
Si les praticiens concernés exercent tous au sein de la clinique à titre libéral et engagent leur propre responsabilité, l'établissement de santé est responsable de l'organisation globale de la prise en charge des patients et notamment de la tenue des dossiers infirmiers. Cette organisation semble perfectible. Le contenu des transmissions des infirmières est des plus sommaires et il n’a pas été trouvé trace du dossier du kinésithérapeute. Surtout, il ne semble pas y avoir eu de concertation entre les différents praticiens, chirurgiens et anesthésistes, ayant pris en charge la patiente. Nous considérons, à titre personnel, que l'établissement de santé doit être le garant de la continuité du suivi post opératoire.
En résumé, la patiente avait un état antérieur qui l'exposait davantage à la possibilité de la survenue d'une hémorragie ou d'un hématome postopératoire.
Un défaut de surveillance de la part des deux chirurgiens l'ayant pris en charge en l'absence du chirurgien opérateur, est responsable de la survenue d'une paralysie sciatique dont, à la date de consolidation, la récupération n’est que partielle.
Eu égard à ces éléments, la responsabilité du dommage peut être attribuée :
La CCI retenait les conclusions de l’expert et confirmait le pourcentage de perte de chance qu’il avait proposé ainsi que sa répartition.