Un œdème de jambe unilatéral douloureux doit faire suspecter la phlébite et générer la prescription d’un traitement anticoagulant à doses efficaces jusqu’à confirmation par un écho-doppler. En particulier quand il existe de lourds antécédents. Les avis des pharmaciens ne doivent pas être négligés, ils s’avèrent souvent très pertinents.
Mme A., 62 ans, assistante de direction, a dans ses antécédents une hypertension artérielle traitée par Micardis®, une hyperlipémie traitée par Atorvastatine®, un diabète connu depuis 2012 mais non traité, une hypothyroïdie traitée par Levothyrox® et un tabagisme évalué à 6 cigarettes par jour depuis l’âge de 22 ans. A noter également une obésité avec IMC évalué à 32.
Le 7 août 2020, alors qu’elle est en vacances chez son fils, Mme A. ressent, à la suite d’une promenade à pied, une gêne pour respirer. Elle décide de demander conseil à un pharmacien. Celui-ci, remarquant un œdème de la jambe droite de Mme A. et suspectant une phlébite, lui conseille de consulter un médecin.
Le 8 août 2020, Mme A. prend rendez-vous à la maison médicale de son lieu de vacances, avec le Dr S., médecin généraliste qu’elle voit pour la première fois. Le Dr S. note :
Lors de l’expertise, le Dr S. déclare ne pas avoir noté d’examen clinique détaillé car les autres paramètres étaient normaux. Il n’a pas prescrit de traitement, ni d’exploration complémentaire. A son avis, il s’agissait d’une insuffisance veineuse et il a écarté la possibilité d’une phlébite. Le caractère unilatéral de l’œdème ne l’a pas étonné. Il n’a pas donné de consignes, et aurait été rassurant.
Le 11 août 2020, la patiente regagne son domicile. Pendant les 3 jours précédant son départ, son fils affirme que : "le mollet de sa mère était chaud, douloureux, gonflé et qu’elle avait des difficultés à marcher".
Mme A. reprend son poste de travail dans son entreprise. Pas d’information sur l’évolution de ses symptômes.
Le 27 août 2020, la patiente consulte son médecin traitant qui note "stress Covid, vacances fatigantes, examen clinique TA 13/9, auscultation RAS, pleurs, perte de goût, anxiété". Le problème à la jambe droite survenu en début de mois n’est pas évoqué. Un anxiolytique (Alprazolam 0.25 mg) est prescrit.
Le 29 août 2020, (soit moins de 48 heures après la consultation avec son médecin traitant), le voisin de Mme A. fait appel au SAMU, car celle-ci éprouve d’importantes difficultés respiratoires. Le SAMU est sur place à 13 h 21.
Il est consigné que Mme A. présente des difficultés respiratoires depuis 5 jours, avec une sensation d’oppression et de malaise depuis le matin.
L’examen clinique réalisé par le médecin du SAMU à 13 h 25 met en évidence :
Le diagnostic d’embolie pulmonaire est suspecté. Tentative de thrombolyse par 10 000 Ul d’actilyse. Survenue d’une perte de contact avec arrêt cardio-respiratoire.
Réanimation cardio-respiratoire pendant 30 minutes, sans reprise du rythme cardiaque (Adrénaline : 6 mgr).
À 14 h 05, arrêt de la procédure de réanimation. Le médecin du SAMU conclut à un décès par embolie pulmonaire.
Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par le fils de la patiente pour obtenir réparation des préjudices qu’il a subis (novembre 2020).
Pour les deux experts, l’un médecin généraliste et l’autre anesthésiste-réanimateur (retraité) :
"(…) Le 08 août 2020, il y avait des signes de suspicion de phlébite qui auraient dû conduire le Dr S. à la réalisation d’un écho-doppler veineux et à la prescription d’un traitement par Héparine de Bas Poids Moléculaire jusqu’à l'obtention du résultat du doppler.
Il y a une erreur de diagnostic du Dr S. par non-satisfaction à l’obligation de moyens face à une suspicion de phlébite et un manque de traitement par anticoagulant jusqu’à preuve de sa non nécessité.
C’est dans ces conditions que la patiente n’a pas jugé utile d’informer son médecin traitant de l’épisode du 08 août 2020 lors de sa consultation, la veille de l’accident. Il est d’ailleurs fort probable que les symptômes ayant justifié cette consultation à son médecin traitant, étaient déjà en rapport avec des migrations emboliques. Mais ces signes - en l’absence de connaissance de l'alerte du 08 août 2020 - n’avaient aucune spécificité. (…)".
"(…) Il ressort du rapport d’expertise que le comportement du Dr S. n’a pas été conforme aux règles de l’art et aux données acquises de la science médicale au jour du fait générateur.
Face aux symptômes décrits par la patiente, marqués par une gêne respiratoire, un œdème unilatéral, un mollet chaud, douloureux et gonflé avec des difficultés à marcher, le Dr S. aurait dû suspecter une possible phlébite et prescrire un traitement anticoagulant préventif, dans l’attente d’une confirmation du diagnostic par des explorations complémentaires.
Le fait de laisser repartir sa patiente sans aucune consigne particulière ni aucune information quant aux signes de gravité à surveiller, est constitutif d’une faute à l’origine du dommage subi.
La prescription d’un traitement médical adapté, associé à la réalisation d’un examen type échodoppler, aurait permis de poser le diagnostic de phlébite et potentiellement d’éviter la survenue de l’embolie pulmonaire qui a été fatale à la patiente.
La Commission estime que le comportement non conforme du Dr S. est constitutif d’une faute à l’origine du dommage dont a été victime la patiente.
Toutefois, eu égard à la pathologie vasculaire présentée par la victime, il n’est pas certain que même dans le cadre d’une prise en charge conforme aux règles de l’art, la survenue de l’embolie pulmonaire, puis du décès de la patiente, aient pu être évités.
La Commission estime par conséquent que le comportement fautif du Dr S. n’est à l’origine que d’une perte de chance d’éviter le décès de la patiente, qu’elle évalue à 75 %. (…)".
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