La concertation et la communication entre prescripteurs et radiologues sont des éléments déterminants de la gestion précoce des complications postopératoires. En particulier quand un examen d’imagerie est réputé anormal par le radiologue et qu’il existe des signes cliniques évocateurs.
Le 18 novembre 2014, une patiente de 50 ans, qui avait subi en 2004 une polymyomectomie par laparotomie, est vue en consultation par un chirurgien gynécologue, en raison de ménométrorragies, d'une pollakiurie diurne et nocturne, d'une déformation abdominale et d'une pesanteur pelvienne. Le diagnostic d’utérus polyfibromateux est posé. Après discussion et information de la patiente, une décision d'hystérectomie par laparotomie, avec conservation annexielle, est prise.
Le 8 janvier 2015, une consultation d'anesthésie est réalisée par le Dr A. Aucun antécédent médical n’est retrouvé et l’examen clinique est normal. Un bilan sanguin préopératoire prescrit (hémoglobine à 11,3 gr/dL ). Une rachianesthésie est décidée pour la procédure chirurgicale.
Le 12 janvier 2015, l’intervention a lieu : "(…) Incision de Pfannenstiel. Utérus polymyomateux remontant au dessus de l'ombilic mais annexes saines. Nombreuses adhérences post-opératoires obturant la cavité abdomino-pelvienne et très nombreuses adhérences épiploïques et iléales à la surface de l'utérus. Ligature des ligaments ronds et des pédicules annexiels des cornes utérines. Extériorisation de l’utérus après libération de toutes ses adhérences. Annexes laissées en place. Incision du péritoine vésico-utérin et postérieur, puis décollement de la vessie. Ligature puis section des pédicules utérins et cervico-vaginaux permettant l’hystérectomie totale. Suture du vagin par des points en X. Vérification et remise en place des anses digestives. Réalisation de la toilette péritonéale après vérification de l’hémostase. Fermeture de la paroi abdominale en 3 plans puis de la peau. Prescription d’un sondage urinaire pour 24 heures. Durée opératoire de 90 minutes. Pas de transfusion sanguine. HemoCue en fin d'intervention à 9,3 gr/dL (…)".
Anatomo-Pathologie le 19 janvier 2015 : lésions de léiomyomes et d’adénomyomatose. Absence de malignité.
Le 16 janvier 2015 (J4) :
Le 17 janvier 2015 (J5) :
Le 18 janvier 2015 (J6) :
Le 19 janvier 2015 (J7) :
Un scanner abdominal est réalisé dans la matinée :
Dans un dire aux experts, le chirurgien digestif affirme que : "Le lundi 19 janvier au matin, voulant s’enquérir de l’état de la patiente, il l’avait rejointe au service d’imagerie et avait visualisé sur la console les images (en présence du radiologue)(*). Confrontées à l’examen clinique, celles-ci l’avaient conduit à préconiser une surveillance rapprochée, faute d’arguments suffisants pour une reprise chirurgicale en urgence à ce moment-là. Il en avait averti ses confrères en charge de la patiente, en les informant qu’il restait joignable, si nécessaire".
(*)NB : En fait le compte-rendu du scanner par le radiologue est en faveur d’une péritonite.
Le 20 janvier 2015 (J8) :
A l’examen abdominal : défense pelvienne nette faisant suspecter une perforation du tube digestif.
Laparotomie exploratrice d’urgence sous anesthésie générale. "Après incision médiane sus et sous ombilicale, issue de liquide fécaloïde à l'ouverture péritonéale (prélèvements multiples à visée bactériologique). Péritonite généralisée des 4 quadrants atteignant les deux coupoles diaphragmatiques, la région sous-hépatique et la région pelvienne. Lavage abondant de la grande cavité péritonéale. Mise en évidence d’une perforation sur la boucle sigmoïdienne au sein du foyer de viscérolyse. Réalisation d’une colostomie latérale sur baguette dans la fosse iliaque gauche ainsi que d'une rétrovidange de l'ensemble du grêle. Drainage des 2 coupoles diaphragmatiques et de la cavité pelvienne avant la fermeture pariétale, plan par plan".
Prescription d’une double antibiothérapie par Tazocilline® et gentamicine, après les prélèvements bactériologiques. Hémodynamique stable en per-opératoire (remplissage de 3 litres de cristalloïdes et de 500 ml de bicarbonates 1,4 %). Transfusion de 3 concentrés érythrocytaires pour corriger une anémie à 7,8 gr/dL.
Transfert dans le service de réanimation du CHU en raison de la nécessité d'une ventilation post-opératoire et du traitement d’un choc septique.
Hospitalisation de la patiente au CHU du 20 janvier au 30 mars 2015. D’abord dans le service de réanimation du 20 au 27 janvier 2015 pour choc septique, puis en service de chirurgie digestive du 27 janvier au 30 mars 2015.
À son arrivée en réanimation le 20 janvier 2015 : patiente sédatée, intubée et ventilée (FI02 100 %, PEEP 5 cm H20). Hypotherme à 35,2°C.
Le 24 janvier 2015 : apparition d'un abcès à la partie inférieure de la cicatrice médiane.
Le 25 janvier 2015 : scanner abdomino-pelvien : plusieurs collections intra-abdominales ;
Reprise chirurgicale : désunion de la partie inférieure de la stomie ayant entraîné un écoulement fécaloïde pariétal et intra-abdominal, responsable d'une nouvelle péritonite (viscérolyse complète, lavage-drainage des 4 cadrans, réfection de la colostomie (avec déplacement latéral de l'orifice)
Le 26 janvier 2015 : suites post-opératoires simples avec émission de gaz intestinaux ; extubation de la patiente ; poursuite de l'antibiothérapie par Tazocïlline®
Le 27 janvier 2015, transfert en service de chirurgie digestive. Hospitalisation marquée par la survenue de multiples abcès intra-abdominaux ayant nécessité :
Hospitalisation de la patiente du 30 mars au 30 avril 2015 en Centre de rééducation. (Unité de gastroentérologie et nutrition) : mise en place d’un changement de VAC toutes les 72 heures pour la cicatrisation dirigée d'une perte de substance (2 orifices) sur la cicatrice médiane
Évolution favorable de la cicatrisation dirigée avec arrêt du VAC le 7 avril 2015 ; colostomie fonctionnelle.
Le 30 avril 2015, retour au domicile.
Le 29 octobre 2015, fermeture de la colostomie (service de chirurgie digestive du CHU).
Du 13 novembre au 4 décembre 2015, hospitalisation au CHU pour prise en charge d'une fistule colo-cutanée.
Patiente en arrêt maladie jusqu'au 17 janvier 2016.
Reprise partielle autorisée du 17 janvier au 31 mars 2016.
Apte à la reprise de ses activités professionnelles à temps plein le 2 mai 2016.
Procédure en référé déposée par la patiente pour obtenir réparation du préjudice qu'elle a subi (Ordonnances de novembre 2015 et d’avril 2016 du juge des référés).
Pour les trois experts, praticiens hospitaliers, anesthésiste-réanimateur, chirurgien digestif et gynécologue :
"(…) Concernant l'intervention initiale, l'indication opératoire était parfaitement justifiée chez une patiente de 50 ans, en insuffisance lutéale, ayant bénéficié dix ans plus tôt d'une polymyomectomie, présentant des ménométrorragies abondantes et un utérus très augmenté de volume.
Sur le plan chirurgical, il existait de nombreuses adhérences du fait de la première intervention (cure de fibrome en 2004). De ce fait, le chirurgien a dû effectuer une adhésiolyse. Lors de ce geste, est survenue une plaie du sigmoïde entraînant une péritonite généralisée. Cette plaie digestive est un risque connu lors de ce type d'intervention, et ce d'autant plus en cas d’adhérences. Ce risque a été signalé dans la fiche d'information remise à la patiente: « des lésions de voisinage de l'utérus peuvent se produire de manière exceptionnelle, blessure intestinale...".
Ceci constitue donc un aléa thérapeutique.
Dès le 18 janvier 2015 (J6), il y avait suffisamment d'éléments anormaux pour évoquer une complication postopératoire, (dyspnée, tachycardie évoluant depuis plus de 24 heures, désordres biologiques, demande d’un avis cardiologique à un médecin généraliste de garde). Les examens appropriés auraient dû, alors, être réalisés à la recherche d'une embolie pulmonaire et/ou d'une complication intra-abdominale., ce qui n'a pas été le cas.
A noter que l’intervention d’un médecin généraliste interpelle l'expert anesthésiste, qui comprend mal son rôle un dimanche soir au sein de cette clinique. Si c'était pour lire un électrocardiogramme, cela devait être fait par le médecin anesthésiste.
Si le médecin généraliste a donné un avis, il n'y pas eu d'examen complémentaire de prescrit ce qui constitue un manquement au vu de la constatation d'une tachycardie à 119 par minute et d'une dyspnée.
Mais, c'était surtout au médecin anesthésiste de donner un avis autorisé et de ne pas tenir compte de l'intervention d'un médecin généraliste dont le domaine de compétence est très inférieur à celui d'un médecin spécialiste et dont le rôle n'est certainement pas la prise en charge post-opératoire des patients.
Il y a donc eu un manquement et un défaut dans l'obligation de moyens qui est à imputer au Dr B… anesthésiste-réanimateur et au médecin généraliste.
Un scanner abdomino-pelvien n’a été réalisé que le 19 janvier 2015 (J7). Son compte-rendu mentionne un épanchement intrapéritonéal important, un épanchement pleural bilatéral et une collection centro-digestive mesurée à 10 cm x 6,6 cm dans le plan axial sur plus de 12 cm. Ce compte-rendu aurait dû interpeller davantage le chirurgien, sur une cause chirurgicale. En tout cas il aurait dû recontacter le chirurgien digestif et lui demander son avis sur les conclusions d'un tel compte-rendu et si cela ne nécessitait pas une ré intervention.
De même, des manquements sont à imputer aux anesthésistes en charge du secteur d’hospitalisation car les signes cliniques de la patiente étaient suffisamment évocateurs d’une complication justifiant une ré intervention le 19 et surtout le 20 janvier au matin
Un diagnostic plus précoce aurait, donc, dû être réalisé et il existe, incontestablement, un retard dans la prise en charge de la complication.
Cependant au stade de péritonite, même si la ré intervention avait eu lieu le 19 janvier, il était nécessaire de réaliser une colostomie car il n’était pas possible d’effectuer une simple suture dans ce contexte. Il n'y a, donc, pas eu de perte de chance par rapport à une prise en charge qui aurait été effectuée la veille, sur le plan du geste chirurgical qui a été réalisé.
Au total :
Assignation de la clinique devant le tribunal judiciaire par la patiente pour obtenir réparation du préjudice qu'elle avait subi (février 2019).
Assignation de l’ONIAM, du chirurgien gynécologue, des anesthésistes-réanimateurs Dr A. et Dr B. par la clinique aux fins d’appel en garantie et de jonction des dossiers (septembre 2019).
Pour les magistrats :
"(…)
Concernant la clinique, en l’absence d’infection nosocomiale, sa responsabilité de plein droit sera écartée et la patiente sera déboutée de ses demandes dirigées contre la clinique.Concernant les conséquences de l’aléa thérapeutique, leur réparation n’entre pas dans le champ des obligations dont le médecin est contractuellement tenu à l’égard de son patient.
En cas de coexistence d'un aléa thérapeutique et d'une faute incombant à un personnel de santé, il résulte de la combinaison des articles L1142-1 et L1142-8 du code de la santé publique que ne peuvent être exclus du bénéfice de la réparation au titre de la solidarité nationale les préjudices, non indemnisés, ayant pour origine un accident non fautif, dans le respect du principe de la réparation intégrale due aux victimes.
En l’espèce, la patiente qui forme une demande subsidiaire à l’adresse de l’ONIAM, sera déclarée recevable en sa demande.
Par ailleurs, il sera relevé que les conditions d’indemnisation par la solidarité nationale sont réunies dans la mesure où les préjudices sont directement en lien avec la péritonite généralisée, elle même consécutive à la complication provenant d’un aléa thérapeutique.
Sur les fautes médicales et l’imputabilité du dommage, il résulte des dispositions des articles L1142-1-1 et R4127-32 du code de la santé publique que, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les praticiens ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Il s’en déduit a contrario que la responsabilité médicale est engagée si une faute, dont a résulté un préjudice en lien de causalité avec celle-ci, a été commise.
Les experts ont exclu toute faute du chirurgien dans le geste opératoire. En revanche, ils ont relevé un retard de diagnostic à plusieurs reprises du chirurgien :
- Le 19 janvier 2015, en relevant qu’il a examiné sa patiente et vu tardivement le scanner abdominal.
- Le 20 janvier 2015, en relevant qu’il a revu sa patiente et aurait dû re intervenir depuis la veille.
Ils ont également relevé les manquements des anesthésistes :
- Le 18 janvier 2015, imputable au Dr B… qui n’est pas allé au bout de sa démarche diagnostique devant la présence de signes cardiovasculaire et respiratoire et devant l’absence d’indication chirurgicale formulée par le chirurgien digestif et le chirurgien gynécologue.
- Le 19 janvier 2015, imputable au Dr A. et au chirurgien digestif qui aurait dû alerter le chirurgien gynécologue afin de le persuader de ré intervenir au plus vite vu les éléments cliniques et radiologiques anormaux.
Les experts ont conclu à un retard de prise en charge à compter du 18 janvier 2015, date à partir de laquelle les signes généraux sont apparus.
Ainsi, le tribunal considère que le chirurgien gynécologue qui a vu tous les jours la patiente et n’a pu que constater l’aggravation de son état, n’a pas donné à sa patiente des soins post-opératoires attentifs et diligents en ne s’interrogeant pas face aux symptômes d’aggravation sur une possible plaie consécutive à l’acte d’adhésiolyse pratiqué pour ôter les multiples adhérences, acte qui aurait dû accroître sa vigilance en raison de l’apparition des signes cliniques inhabituels et lorsqu’il a eu en sa possession le résultat du scanner du 19 janvier et en ne décidant pas d’une intervention urgente à partir de ce moment
Les manquements du chirurgien gynécologue ont provoqué un retard de prise en charge et sont directement en lien avec les douleurs occasionnées pendant deux jours supplémentaires, d’après les experts. Ils sont également en lien direct avec le choc septique qui aurait pu être évité.
En revanche, s’agissant du docteur Dr B. qui est intervenu le 18 janvier après le chirurgien gynécologue et alors que le chirurgien digestif avait également émis un avis, le tribunal considère qu’aucun manquement fautif ne peut lui être imputé.
S’agissant du Dr A. qui est intervenu le 19 janvier alors que le chirurgien gynécologue suivait sa patiente et que le chirurgien digestif avait donné un avis, le tribunal considère qu’aucun manquement fautif ne peut, également, lui être imputé.
Les experts ne se sont pas prononcés sur un partage de responsabilité dans les préjudices.
Au vu de ces éléments, la part de préjudice imputable à l’aléa thérapeutique sera fixée à 80 %, les 20 % restant étant imputables aux fautes du chirurgien gynécologue (…)."
Indemnisation de 148 742 €.
Vous avez des questions, des réactions concernant ce cas clinique ? |