Dans la nuit, ce patient âgé de 62 ans, récemment retraité qui séjourne chez sa fille, se plaint « de difficultés pour respirer, de douleurs dans la poitrine et de vomissements, d’après le mémoire qui sera ultérieurement rédigé » ou de « nausées et vomissements, douleur épigastrique et douleur au niveau du bras gauche » d’après la famille, tels que reporté dans le rapport d’expertise.
Il est traité pour une HTA (Physiotens®) et a une hypertriglycéridémie (sans précision); son tabagisme non sevré est estimé à 40 paquets/année (avec la consommation actuelle de 4 cigarettes par jour depuis sa retraite soit un an) et il est en surpoids (187 cm/87 Kg soit un IMC de 27,5).
La famille prend contact avec un médiateur de la République puis initie une demande de conciliation devant la CCI.
EXPERTISE CCI (2012)
L’expert est anesthésiste réanimateur. Il rédige son rapport d’abord de façon factuelle, avec son analyse des faits.
Lors de l’expertise, l’épouse et la fille ont déclaré qu’elles se sentaient coupables d’avoir trop fait confiance aux médecins. ..Elles s’expriment sur les difficultés rencontrées pour obtenir les éléments du dossier, notamment le dossier du SAMU. L’épouse regrette d’avoir obtenu des bandes d’enregistrement incomplètes. Elle indique que lors de la conversation avec le SAMU, elle aurait parlé au médecin auquel elle aurait dit que son mari avait un risque cardiovasculaire important. Son mari aurait alors repris la conversation et le médecin lui aurait demandé : « qu’est-ce qu’elle fait votre femme ? » ce à quoi son mari aurait répondu : « elle a 40 ans d’ANPE ».L’épouse dit qu’elle a très mal vécu cette réponse et le fait que le médecin se soit montré rassurant en conseillant à son mari de prendre du paracétamol et de consulter son médecin traitant, distant de plusieurs centaines de kilomètres. Elle se déclare choquée qu’on ait refusé la communication de ce dossier à son fils, en prétextant qu’il n’était pas un ayant droit. A plusieurs reprises, elle déclare qu’elle n’est pas dans une démarche guerrière mais bien dans la recherche des causes du décès. « Ce sentiment qu’il y avait quelque chose de caché s’est également retrouvé chez SOS médecins quand on lui a dit que la bande d’enregistrement avait été détruite » dit l’expert.
Sur le fond, la fille/ou l’épouse avait clairement exprimé au médecin régulateur qu’ « il s’agissait d’une douleur thoracique. Les médecins l’ont rassurée en prétendant qu’il ne s’agissait que d’une gastro entérite alors que son instinct lui aurait recommandé de se rendre aux urgences.
Le médecin de SOS explique comment la fille est venue le chercher dans le jardin expliquant « vomissements, toux »; dans le contexte d’épidémie qui sévissait à ce moment, il a pensé à une gastro entérite. Il n’a pas fait d’ECG car il ne le fait pas systématiquement et au moindre doute transfère les patients aux urgences de l’hôpital le plus proche. Par prudence, avant son départ, il a recommandé de rappeler SOS ou le centre 15 en cas de douleurs ou de malaise. Il déclare qu’il est très sensibilisé aux urgences cardiovasculaires et hospitalise au moindre doute, via le centre 15, les douleurs thoraciques suspectes dans sa pratique quotidienne d’urgentiste.
Le médecin, défendant le SAMU, indique combien cette fonction de régulateur est difficile d’autant plus que le médecin peut être orienté par des signes extra cardiaques trompeurs.
Sur le plan de la responsabilité, l’expert résume : « ce patient présentait depuis plusieurs heures des nausées et vomissements , des douleurs au niveau du bras gauche. Après l’appel à 1h30, des vomissements et des diarrhées et une douleur au niveau du plexus., une douleur à la poitrine et dans les articulations des deux bras ».
Il fait la synthèse des hypothèses diagnostiques (en l’absence de cause certaine du décès , faute d’autopsie), en détaillant chacune de leur symptomatologie, les moyens diagnostiques et leur pronostic global.
- une ischémie mésentérique,
- une dissection aortique,
- un syndrome coronarien aigu,
- une gastro entérite.
« Bien que le recueil des signes diagnostiques ait été insuffisant, …dans ces hypothèses, le diagnostic de gastro entérite ne pouvait être envisagé qu’après avoir éliminé les causes les plus graves ». Il cite en les détaillant certains chapitres des recommandations de bonnes pratiques du SAMU, du SFMU et leurs guides de procédures.
Puis il ajoute : « l’absence de dossier (du médecin SOS) et donc de traçabilité ne permet pas de conclure sur le respect d’une attitude diagnostique en conformité avec la bonne pratique : température ? ECG ?
En conclusion, l’analyse des documents communiqués montre un manquement aux bonnes pratiques, concernant le SAMU et le MG, notamment en terme d’interrogatoire et d’examen clinique.
Ce patient est décédé une vingtaines d’heures après le premier appel du SAMU ; aucune décision d’envoi de moyens médicalisés n’avait été prise. Comme le médecin régulateur du SAMU, le MG de SOS Médecins, a conclu à tort à une gastro entérite.
On peut supposer , avec une forte probabilité, que la cause du décès est en lien avec les facteurs de risques cardiovasculaires ; Il pouvait s’agir d’une ischémie mésentérique, d’une dissection aortique, d’un IDM ; En aucun cas il ne pouvait s’agir d’une gastroentérite.
En réponse à la mission, il évoque une perte de chance de survie liée à ce retard diagnostique qui oscille entre 10/15 % (syndrome coronarien) et 40 à 60 % (dissection).
Le dommage résulte la sous-estimation de la gravité (SAMU) et d’une erreur de diagnostic (MG) mais nul ne peut scientifiquement affirmer que le pronostic aurait été différent en cas d’envoi d’un véhicule médicalisé ou d’une décision d’hospitalisation .
AVIS DE LA COMMISSION
La Commission estime que le comportement du SAMU n’a pas été conforme aux règles de l’art et qu’il en va de même pour le médecin de SOS qui a commis une erreur, qualifiée de négligence fautive, faute pour lui de ne pas s’être donné les moyens d’éliminer les hypothèses diagnostiques les plus graves.
Dès lors que l’expert reconnait qu’il n’est pas scientifiquement possible d’affirmer que le pronostic aurait été différent avec une autre prise en charge et que la cause du décès n’est pas connue, il est retenu une perte de chance de survie de 60 % , opposable au SAMU (pour 60 %) et au médecin de SOS ( pour 40 %).
Le dossier a fait l’objet d’une transaction.
Le diagnostic faussement porté de « gastro entérite » est un des problèmes résurgent en matière médico-légale, qu’il s’agisse à posteriori d’urgences cardiovasculaires (les premières à éliminer), d’urgences neurologiques ou abdominales.
Le contexte d’un weekend , dans ce cas, n’a peut-être pas eu tant d’importance mais il était de plus joint à une période d’épidémie virale…de « gastro entérite »…
Quelques soient l’efficacité et le professionnalisme des permanenciers et médecins des centres d’appels de régulation, il est certain que la multiplication des interfaces (fille/patient par exemple) ne simplifie pas la démarche diagnostique. De plus quand un patient « oublie » qu’une HTA ou un tabagisme peuvent être importants pour un médecin et s’autorise à se rassurer sur son état de santé avec « je suis chez ma fille, j’ai bien vécu depuis deux jours » ou invoquer le rôle du Coca-cola qu’il a bu, on comprend que son univers soit diamétralement opposé à un médecin qui gère aussi des urgences vitales, à tout âge ou des problèmes médicaux en apparence plus urgents.
Les plaintes dirigées contre les régulateurs ne sont pas si fréquentes, dans l’expérience du SOU/MACSF , étant donné le nombre des appels traités : elles sont de l’ordre de 10 à 15 par an. Il s’agit malheureusement souvent de plaintes pénales. Les enregistrements des communications parlent d’eux même mais ils sont déconnectés de la pression des appels du jour, de leur fréquence, de la confiance du médecin envers le permanencier présent, des urgences passées vitales à gérer, de l’heure de l’appel parfois dans un moment de fatigue compréhensible du médecin de garde…
Si l’organisation du système de soins d’urgence et sa régulation fait l’objet d’une abondante bibliographie, y compris de l’HAS, les « référentiels » des check lits des questions à poser sont plus difficiles à repérer, mais existent : elles traduisent, région par région, centre par centre, la formation indispensable donnée et relèvent en fait du bon sens d’un savoir médical maitrisé.
HAS
- RECOMMANDATIONS DE BONNE PRATIQUE DANS LE CADRE DE LA REGULATION MEDICALE, Mars 2011 http://www.samu-de-france.fr/documents/actus/129/677/regulation_medicale__recommandations.pdf
Les principales étapes de la gestion d’un appel : La gestion d’un appel se décline en plusieurs étapes dans le but de recueillir des informations précises et complètes de la part de l’appelant et de lui apporter une réponse claire, compréhensible et adaptée. Ces étapes sont partagées entre les missions de l’assistant de régulation médicale (ARM) et celles du médecin régulateur, soit : une étape d’écoute de l’appelant, en le laissant s’exprimer avec ses propres mots, sans tenter d’expliciter ses propos, et en prenant en compte le degré d’inquiétude de l’appelant ; une étape de questionnement de l’appelant, afin de lui faire préciser les motifs de son appel, le contexte et ses attentes ; une étape d’explication à l’appelant des hypothèses formulées sur son état de santé, des risques encourus, de la prise en charge proposée ; une étape de vérification afin de s’assurer que l’appelant a bien compris et accepte la prise en charge proposée.
- Modalités de prise en charge d’un appel de demande de soins non programmés dans le cadre de la régulation médicale, mars 2011.
Thèse : Kathryn Milns. Evaluation d’un protocole pour la régulation de la douleur thoracique au SAMU ´ 74. Médecine humaine et pathologie. 2009. HAL Id: dumas-00631118 http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00631118 Submitted on 11 Oct 2011,
Articles :
- Réception et régulation des appels pour les urgences médicales en dehors de l’hôpital, CONFERENCE D’EXPERTS , samedi 28 janvier 2006, par SAMU et Urgence de France, SFAR
- Manuel Belge de la Régulation Médicale,
- Régulation des douleurs thoraciques: expérience du SAMU 84 Dr. Privat.Chef de service: Bourgeois, 2014. S.